Un père se bat pour récupérer sa fille enlevée au Nigéria

Courts and Tribunal Judiciary

Siégeant à la High Court of Justice (Family Division), la juge Nathalie Lieven a rendu aujourd’hui une décision intéressante dans une affaire où un père, à défaut d’avoir pu encore récupérer sa fille, a fait condamner la mère pour outrage au tribunal parce qu’elle n’avait pas respecté quatre décisions judiciaires. Nonobstant certaines particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche, cette chronique pourrait intéresser certains de nos lecteurs.

Le contexte

En l’espèce, Sandra Atabo et Henry Emoni sont les parents, divorcés, d’une petite fille de onze ans, Nizana Emoni. Petit détail piquant : la mère est une avocate, officiant au Nigéria et au Royaume-Uni (§ 28). Un child arrangement order établi en juin 2016 avait précisé que l’enfant vivrait avec sa mère mais aurait des relations fréquentes avec son père (§ 39). Les parents étaient notamment convenus qu’aucun d’eux n’emmènerait l’enfant hors d’Angleterre sans l’accord de l’autre ou du tribunal (§§ 40-41). La mère avait cependant emmené l’enfant en octobre 2019 au Nigéria, où toutes deux étaient restées (§ 42).

À la demande du père, le juge Stephen Cobb plaça l’enfant sous la protection des juridictions anglaises en décembre 2019 et délivra un female genital mutilation protection order (§ 43). Le juge David Turner ordonna la semaine suivante à la mère de ramener l’enfant en Angleterre immédiatement (§ 44).

La mère revint au Royaume-Uni en février dernier, mais sans l’enfant. Ses passeports britannique et nigérian furent alors saisis par la police (§ 45). Le juge Alistair MacDonald demanda au mois de mai à l’ambassade du Nigéria à Londres de ne pas délivrer de nouveau passeport à la mère et interdit à icelle de demander également un nouveau passeport britannique jusqu’à nouvel ordre (§ 46). La juge Jennifer Roberts rejeta la semaine suivante la demande de la mère visant à récupérer ses passeports et lui ordonna de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le retour de l’enfant en Angleterre (§ 47).

L’affaire fut de nouveau entendue en juin dernier par la juge Nathalie Lieven, qui ordonna alors à la mère de charger ses avocats au Nigéria de remettre les passeports de l’enfant aux avocats du père et de demander à la grand-mère maternelle, chez qui vivait l’enfant, de remettre icelle à son père (§ 48). La juge Nathalie Lieven rendit le mois suivant une nouvelle ordonnance enjoignant aux avocats de la mère de remettre les passeports de l’enfant aux avocats du père et autorisant le père à demander un passeport d’urgence pour sa fille. Une nouvelle audience fut également prévue au mois de septembre (§ 50).

Usant de quelque stratagème, la mère réussit cependant à quitter le Royaume-Uni à la fin du mois de juillet pour retourner au Nigéria (§ 54), de sorte que le père dut mettre à jour sa requête (§§ 51-52). Le père se rendit au Nigéria en août pour tenter de récupérer sa fille, mais la grand-mère maternelle l’informa que la mère lui avait enlevé l’enfant et qu’elle ignorait leur nouveau lieu de résidence (§ 94).

Une procédure en l’absence d’une partie

Lors de l’audience qui s’est tenue aujourd’hui par visio-conférence, la juge Nathalie Lieven a d’abord dû déterminer s’il était opportun de prendre une décision en l’absence de la mère. Se fondant sur les principes exposés par le juge Stephen Cobb dans sa décision Sanchez v Oboz & Anor [2015] EWHC 235 (Fam) (§§ 4-5), la juge Nathalie Lieven a retenu que la mère avait reçu tous les documents nécessaires par courrier électronique, y compris la convocation à l’audience (§ 7), qu’elle avait eu suffisamment de temps pour se préparer à la procédure (§ 8), qu’elle n’avait aucune raison de n’être pas présente à l’audience (§ 9), qu’elle avait simplement choisi d’être absente (§ 10) et qu’un nouvel ajournement ne garantirait pas sa présence (§ 11). La juge Nathalie Lieven a admis qu’il était certes très dommageable que la mère ne soit pas présente pour déposer oralement, mais que cette absence volontaire pourrait être palliée par un certain nombre de pièces déjà en possession du tribunal (§ 12). Enfin, la présente procédure étant en cours depuis pratiquement un an, tout retard supplémentaire serait préjudiciable à l’enfant et à son père (§ 13). La juge Nathalie Lieven a donc conclu qu’il était opportun de prendre une décision en l’absence de la mère (§§ 15-16).

La législation applicable (§§ 17-25)

« 17. Part 37 of the Family Procedure Rules deals with the procedure for contempt. It was recently amended by Family Procedure (Amendment No 2) Rules 2020 [SI 758/2020]. The new rules aim to simplify and clarify the process for contempt applications and to bring it closely into conformity with the new rules in the Civil Procedure Rules.

« 18. The relevant definitions for today are in r.37.2:

« “contempt application” means an application to the court for an order determining contempt proceedings;

« “order of committal” means the imposition of a sentence of imprisonment (whether immediate or suspended) for contempt of court;

« “penal notice” means a prominent notice on the front of an order warning that if the person against whom the order is made (and, in the case of a corporate body, a director or officer of that body) disobeys the court’s order, the person (or director or officer) may be held in contempt of court and punished by a fine, imprisonment, confiscation of assets or other punishment under the law.

« 19. Rule 37.4(1) provides that unless and to the extent that the court directs otherwise, every contempt application must be supported by written evidence given by affidavit or affirmation.

« 20. Rule 37.4(2) sets out matters which must be included in the contempt application. The FPR does not specify the form to use for contempt applications in family proceedings. However, I am satisfied the applicant has used the appropriate form N600 to make this application.

[…]

« 23. FPR r.37.8(1) states all hearings of contempt proceedings shall be listed and heard in public unless the court directs otherwise. This hearing has been in public.

« 24. Rule 37.8(7) states the judge and advocates shall appear robed. I am robed but gave [father’s counsel] dispensation from wearing robes given that this is a remote hearing. »

Jurisprudence (§§ 26-34)

La juge Nathalie Lieven s’est aussi appuyée sur les principes – « helpful and sensible » – exposés par la juge Lucy Theis à la fin de la décision Re L (a Child) [2016] EWCA Civ 173 (§ 26) :

« 78. Before any court embarks on hearing a committal application, whether for a contempt in the face of the court or for breach of an order, it should ensure that the following matters are at the forefront of its mind:

« (1) There is complete clarity at the start of the proceedings as to precisely what the foundation of the alleged contempt is: contempt in the face of the court, or breach of an order.

« (2) Prior to the hearing the alleged contempt should be set out clearly in a document or application that complies with FPR rule 37 and which the person accused of contempt has been served with.

« (3) If the alleged contempt is founded on breach of a previous court order, the person accused had been served with that order, and that it contained a penal notice in the required form and place in the order.

« (4) Whether the person accused of contempt has been given the opportunity to secure legal representation, as they are entitled to.

« (5) Whether the judge hearing the committal application should do so, or whether it should be heard by another judge.

« (6) Whether the person accused of contempt has been advised of the right to remain silent.

« (7) If the person accused of contempt chooses to give evidence, whether they have been warned about self-incrimination.

« (8) The need to ensure that in order to find the breach proved the evidence must meet the criminal standard of proof, of being sure that the breach is established.

« (9) Any committal order made needs to set out what the findings are that establish the contempt of court, which are the foundation of the court’s decision regarding any committal order.

« 79. Counsel and solicitors are reminded of their duty to assist the court. This is particularly important when considering procedural matters where a person’s liberty is at stake. »

Sur ces différents points, la juge Nathalie Lieven a notamment retenu que la mère, étant – comme précisé supra – une avocate, officiant au Nigéria et au Royaume-Uni, ne pouvait ignorer ses droits, notamment la possibilité d’obtenir une aide juridictionnelle et une représentation légale (§ 28). La mère s’était certes déjà plainte de la juge Nathalie Lieven, mais n’avait pour autant jamais formulé de demande de récusation (§ 29). Elle avait également été informée de son droit de garder le silence et de ne pas s’incriminer elle-même (§ 30). Par ailleurs, la charge de la preuve incombe à la personne qui allègue l’outrage au tribunal et la norme en l’espèce est bien la norme pénale (§ 31).

La juge Nathalie Lieven s’est également appuyée sur les principes exposés par le juge David Williams dans sa décision Egeneonu v Engeneonu [2017] EWHC 2336 (Fam) (§ 32-33) :

« 21. […] b) To have penal consequences, an order needs to be clear on its face as to precisely what it means and precisely what it prohibits or requires to be done. Contempt will not be established where the breach is of an order which is ambiguous, or which does not require or forbid the performance of a particular act within a specified timeframe. The person or persons affected must know with complete precision what it is that they are required to do or abstain from doing. It is not possible to imply terms into an injunction. The first task for the judge hearing an application for committal for alleged breach of a mandatory (positive) order is to identify, by reference to the express language of the order, precisely what it is that the order required the defendant to do. That is a question of construction and, thus, a question of law.

[…]

« e) Contempt of court involves a contumelious that is to say a deliberate, disobedience to the order. If it be the case that the accused cannot comply with order then he is not in contempt of court. It is not enough to suspect recalcitrance. It is for the applicant to establish that it was within the power of the defendant to do what the order required. It is not for the defendant to establish that it was not within his power to do it. That burden remains on the applicant throughout but it does not require the applicant to adduce evidence of a particular means of compliance which was available to the accused provided the applicant can satisfy the judge so that he is sure that compliance was possible. »

Conclusions

Bien qu’ayant notamment fourni au tribunal cinq attestations de témoins, la mère n’avait pas daigné se présenter aux trois dernières audiences. L’inconsistance de son comportements et des pièces fournies a amené la juge Nathalie Lieven à mettre en doute la crédibilité de la mère (§§ 54-57).

La juge Nathalie Lieven a retenu que la mère, d’après les pièces qu’elle avait elle-même fournies, avait été informée de l’ordonnance lui enjoignant de renvoyer l’enfant au Royaume-Uni avant qu’elle y revienne seule en février dernier, et qu’il n’y avait donc aucun doute qu’elle avait délibérément enfreint ladite ordonnance (§§ 62-67).

La juge Nathalie Lieven a également retenu que la mère avait tout aussi délibérément enfreint les ordonnances lui enjoignant de remettre les passeports de l’enfant à ses avocats nigérians et d’organiser leur transfert aux avocats du père afin d’empêcher icelui de ramener sa fille au Royaume-Uni (§§ 68-95).

Références
England and Wales High Court (Family Division)
Date : 1er décembre 2020
Décision : Emoni v Atabo [2020] EWHC 3322 (Fam)

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