Entretien avec Pierre-Luc Marville

Pierre-Luc Marville (© D.R.)

Bonjour Pierre-Luc, et merci de m’accueillir chez-vous. Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Pierre-Luc Marville (© D.R.)

Pierre-Luc Marville (© D.R.)

J’ai cinquante-cinq ans, je suis père de trois enfants et professionnel de santé. J’étais installé auparavant en région parisienne, et j’avais un travail très prenant : entre cinquante-cinq et soixante heures par semaine, du lundi au samedi. J’ai pris conscience qu’il me fallait changer d’environnement si je voulais voir mes enfants grandir, et nous sommes partis dans le Val de Loire. Là, j’ai pu travailler à mi-temps, élevant mes enfants – qui étaient encore petits – l’autre mi-temps. Mon ex-épouse travaillait également à mi-temps, de sorte que nous percevions tous les deux une allocation parentale d’éducation. Cela marchait très bien, jusqu’au moment où je me suis aperçu que cette démarche ne plaisait pas du tout à mon ex-épouse.

Le fait que vous vous occupiez de vos enfants ?

Oui. Elle n’approuvait pas, et cela lui est devenu insupportable. Elle était jalouse de l’affection que je prodiguais à mes enfants, aussi bien que de l’attention que j’accordais à mes clients. C’est devenu infernal et la séparation a eu lieu : me faisant croire qu’elle partait simplement en vacances, elle est en fait retournée chez sa mère, en enlevant les enfants. En me renseignant par la suite auprès de l’école, j’ai découvert qu’elle en avait radié les enfants pour les inscrire ailleurs. Lorsque je lui ai demandé des explications, elle m’a répondu que nous nous expliquerions devant un juge… Le ton était donné !

Il m’a fallu régler toutes sortes de problèmes matériels pendant un an. Cela a vraiment été difficile de tenir la tête hors de l’eau, mais il fallait que je me remette sur pieds afin de pouvoir me battre pour mes enfants. Malheureusement, avec deux plaintes et des signalements de psychiatres, rien n’a été possible.

Je pense que c’est un parcours relativement commun et je ne vais pas entrer dans le détail d’un enchaînement de huit ans, mais le traitement réservé aux pères dans les tribunaux – en tout cas au tribunal de grande instance de Versailles – m’a paru assez ahurissant : les droits inscrits dans le code civil et le code pénal ne sont pas respectés, les juges ont ordonné des décisions en inventant des articles pour me retirer l’autorité parentale alors que je n’avais subi aucune condamnation, etc.

Au bout de huit ans, après avoir tout essayé, j’ai réalisé que j’étais en train de me démolir et qu’il fallait que j’arrête ces procédures si je ne voulais pas y passer. Il y a eu ensuite l’épisode du père qui s’est perché sur une grue du port de Nantes : là, j’ai pris conscience que je n’étais pas tout seul dans ce cas-là et qu’il fallait écrire pour raconter ce qui se passe dans les tribunaux. On ne peut pas le savoir sans expérience personnelle.

Entre cette décision et la mise en application, il s’est passé quatre ans. J’avais tenu un journal dans lequel je relatais quotidiennement ce que je vivais, mais une séparation, aussi difficile soit elle, oblige à se pencher sur sa propre histoire. J’ai alors fait un peu de psychogénéalogie et j’en suis arrivé à une sorte de journal à quatre voix : la mienne, celle de mes ancêtres – qui ont aussi vécu des choses peu reluisantes et sont morts à la guerre conjugale, ce que je ne voulais pas pour moi –, celle de mes enfants, et celle de la résilience, pour se remettre en route après de telles épreuves. J’ai tout arrangé pour que cela soit un peu cohérent. Je n’ai pas non plus voulu simplement dénoncer ce qui se passe dans les tribunaux, je voulais aussi quelque chose de constructif, et il y a donc une partie qui propose des améliorations, notamment pour la justice des enfants, qui est une horreur.

Pourquoi n’avez-vous pas fait publier ce livre sous votre véritable nom ?

Comme il s’agit de choses très personnelles, je ne veux pas qu’il y ait de retombées sur ma vie professionnelle.

Avez-vous facilement trouvé un éditeur ?

Non, cela m’a aussi pris quatre ans. J’ai contacté quarante-cinq éditeurs, qui m’ont presque tous opposé des refus plus ou moins polis. Je m’étais résolu à tout publier sur un blog, quand un dernier m’a répondu favorablement, à ma grande surprise.

Il y a effectivement des pères qui créent des sites pour exposer leurs malheurs personnels ; pourquoi ne pas vous être contenté de cette solution ?

Je voulais absolument un livre, sur du papier, avec mon nom sur la couverture.

Comme vous avez pris un pseudonyme, c’est un peu raté !

C’est un vieux rêve d’enfant.

Entre l’éditeur classique et internet, il y a l’autoédition.

Oui, mais autoéditer un vrai livre coûte cher, beaucoup plus que la formule numérique, et la diffusion n’est pas la même.

Depuis sa publication le mois dernier, avez-vous déjà eu des échos du livre ?

Pour l’instant, que des personnes de connaissance.

Il n’y a pas encore eu d’articles dans la presse ?

Non. En fait, pour le moment, je fais le mort, je n’en parle pas, parce qu’il y a un délai de trois mois après parution pour la prescription des poursuites en diffamation. J’attends la fin du délai en novembre. À l’origine, j’avais cité les noms des magistrats auxquels j’ai eu affaire. Comme on peut être emprisonné pour outrage, et que je ne tiens pas à aller en prison, j’ai éliminé leurs noms, sauf les médiatiques Philippe Bilger, Fabrice Burgaud, Jean-Yves Monfort (président du tribunal de grande instance de Versailles) et Éric de Montgolfier.

Et vous avez laissé les noms des experts…

Oui, notamment un très médiatique expert-psychiatre versaillais.

J’en ai d’ailleurs été un peu étonné, car il est rare que les pères disent du mal de lui.

Que Dieu ait pitié de nousJe sais. J’ai lu le livre de l’abbé Dominique Wiel, qui avait été emprisonné lors de l’affaire d’Outreau ; il se plaint des expertises psychiatriques subies, et dit que cela aurait été autrement pour lui avec cet expert versaillais. Moi, j’ai été extrêmement surpris par la façon dont il m’a reçu. Je n’ai rien compris à sa façon de faire, qui était en dehors des clous, du début à la fin. Quand j’ai voulu lui parler, il m’a dit : « Laissez votre femme parler, dire sa vérité », et je n’ai pas pu placer trois phrases. Pour un expert, c’était incroyable. Il était là pour écouter les uns et les autres, en donnant du temps à chacun. Il a fallu en arriver à ce qu’on m’interdise de voir mes enfants pour que j’obtienne une écoute correcte, en étant reçu seul par un autre expert.

Avez-vous l’intention de travailler vous-même à la promotion de votre livre ?

Oui.

Est-ce vous qui avez choisi l’illustration de couverture ?

Oui. C’est Le Jugement dernier du peintre flamand Jérôme Bosch.

No man's land

On peut supposer que c’est vous qui êtes dans la cage…

Exactement. Avec tous les supplices imaginables.

Vous citez un verset biblique au début de chaque chapitre. Êtes-vous chrétien ?

Je suis catholique baptisé, mais pas intégriste. La religion a tenu une place importante dans mon éducation, et m’a soutenu dans cette épreuve.

La religion avait-elle aussi sa place dans la crise de votre couple ?

Oui. Notamment lorsque j’ai découvert les origines de notre maison aux archives départementales. Ma recherche historique a été considérée comme un gros délire, et m’a fait placer dans la catégorie « secte ».

Effectivement, dans les écrits des experts que vous citez, il est fait mention à plusieurs reprises de votre appartenance à une secte…

Je l’avais lu dans le rapport d’assistance éducative que j’avais consulté au greffe du tribunal pour enfants, et j’en avais parlé à l’éducatrice spécialisée qui l’avait rédigé. Elle m’a répondu que c’était le juge qui l’avait évoquée. J’ai alors contacté le juge, qui m’a répondu à son tour qu’il n’y avait aucune mention en ce sens dans le dossier… Cela montre bien que ces rapports sont bricolés.

Vous faites allusion à plusieurs reprises à l’éventuelle responsabilité de la franc-maçonnerie dans vos déboires personnels, qui aurait contribué à vous enfoncer un peu plus. Pouvez-vous m’en dire davantage ?

Il n’y a pas tellement à en dire plus. J’ai déposé une plainte contre une loge maçonnique, et tous mes ennuis ont démarré dès ce moment. On m’a envoyé voir un expert psychiatre, etc. Quand vous savez qu’une bonne partie des magistrats et des directeurs d’hôpitaux sont francs-maçons, vous avez la réponse. Dès que vous vous attaquez à ces gens-là, le retour de bâton arrive très vite.

Vous évoquez à plusieurs reprises la Fédération des mouvements de la condition paternelle, vous citez même un de leurs tracts sur les fameuses fausses allégations d’abus sexuel, et vous écrivez que vous avez participé à certaines de leurs réunions à Orléans. Vous souvenez-vous comment vous avez connu l’existence de cette association ?

Il me semble que j’ai connu la Condition paternelle par l’intermédiaire de SOS PAPA. Je suis allé aux réunions parce qu’elles étaient les plus proches de mon domicile – cent kilomètres quand même ! J’y ai rencontré un avocat, qui m’a tout de suite communiqué le montant de ses honoraires, mais cela ne m’a pas aidé. Et les discussions que j’ai eues avec d’autres pères et les animateurs n’arrangeaient pas mon cas personnel. Je ne voyais pas d’amélioration possible. J’étais sans doute trop englué dans mes propres problèmes. Dans ces moments-là, on se dit que personne ne peut rien pour soi.

Si, à l’époque où vous avez pris contact avec Condition paternelle à Orléans, vous étiez seulement à la recherche de solutions à vos problèmes personnels, comme les autres pères que vous avez pu y côtoyer, cela ne pouvait effectivement pas donner grand-chose. Des pères s’imaginent que, grâce à Condition paternelle ou SOS PAPA, ils vont trouver l’avocat qui va résoudre leurs problèmes, comme si c’était seulement une question d’avocat ! Les associations comme Condition paternelle ou SOS PAPA sont confrontées à des pères qui les contactent seulement pour essayer de trouver des solutions à des problèmes personnels ; il est difficile de leur faire comprendre que ces problèmes personnels ont leur cause profonde dans un problème de société, et que le seul véritable combat intéressant à mener est un combat politique, pour changer le fonctionnement des institutions. D’ailleurs, peut-être n’a-t-on pas essayé de vous délivrer un message politique – pour autant que je sache, Condition paternelle a malheureusement déserté ce terrain depuis assez longtemps. Mais dans le cadre juridique et législatif actuel, il n’y a pas vraiment de solution à ces problèmes personnels. Si vous êtes en situation de force devant le juge, parce que vous êtes disponible pour vous occuper de vos enfants, que vous avez un logement, que la mère ne peut pas s’occuper des enfants parce qu’elle est hôtesse de l’air sur long-courriers et s’envole cinq jours d’affilée, etc., vous pouvez trouver une solution tout seul et vous n’avez pas besoin d’une association. Mais si vous êtes dans une situation plus lambda, c’est la mère qui est en situation de force, et une association ne peut rien faire pour vous. Vous-même avez fini par comprendre que vos problèmes étaient la conséquence d’un dysfonctionnement du système judiciaire…

Oui, je suis allé au bout !

À la page 98, vous évoquez ceux qu’on appelait « les Pères de Pontoise », ce groupe de pères du Val-d’Oise qui ont été l’objet de fausses accusations d’attouchements sexuels. Ils s’étaient regroupés dans un collectif, avec le soutien très actif de Condition paternelle et SOS PAPA, et avaient créé un site internet – qui existe d’ailleurs encore, même s’il n’est plus actif, et où on trouve toutes les archives de leur combat. À force d’articles de presse et d’émissions télévisées, ils ont réussi à faire avancer un peu les choses. Avez-vous essayé de prendre contact avec eux ?

Non, je n’avais pas leurs coordonnées.

Vous avez évoqué tout à l’heure ce père monté sur une grue à Nantes en février 2013, Serge Charnay. Vous n’avez pas non plus essayé de prendre contact avec lui ?

Non. Il a été condamné à de la prison ferme pour ne s’être pas soumis à un droit de visite un samedi tous les quinze jours et un mercredi tous les quinze jours, car il estimait que ce « droit de visite progressif » accordé le tenait « trop éloigné du quotidien » de son fils. Pour moi, c’était deux heures par mois, non progressif, et il a été aussi déchu de l’autorité parentale. Dans cette spirale infernale, que reste-t-il comme issue, le suicide ou la prison ? J’ai choisi l’écriture.

Ne vous est-il pas venu à l’idée, à un moment, de militer dans une association comme Condition paternelle ou SOS PAPA, ou même d’en fonder une vous-même – vous n’auriez pas été le premier à le faire –, afin de mener un combat collectif ?

Non. Je me suis toujours dit que j’écrirais un livre un jour, et que ce serait ma participation au combat collectif.

Et vous pensez que votre livre peut contribuer à changer quelque chose ?

Oh oui ! Vous allez voir ! Une fois qu’il sera entre les mains des journalistes, il fera un petit peu de bruit.

L’individualisme forcené dans lequel nous vivons tous est un véritable problème de société. Chaque père veut « défendre son beefsteak » dans son coin. Il y a déjà eu un certain nombre de livres tels que le vôtre et aucun n’a jamais connu le moindre succès de librairie. Ne pensez-vous pas que votre voix serait mieux entendue en association avec d’autres pères plutôt qu’en restant seul ?

Dans mon cas, il ne s’agit pas d’individualisme mais d’isolement. L’épreuve isole. Et j’ai répondu à l’isolement par la plume. Mais je ne suis pas fermé au combat collectif. S’il faut mener un combat politique, pourquoi pas ?

Il y a longtemps que vous êtes installé ici ?

Cela fait plus de vingt ans.

Vous êtes donc ancré dans le terroir…

Oui, complètement.

Et vous devez donc connaître pas mal de gens. À l’instar d’un médecin, un professionnel libéral de santé peut être considéré comme un notable, non ?

Non, j’ai surtout été considéré comme un pestiféré, pas comme un notable. Toutes les rumeurs dont j’ai été l’objet m’ont beaucoup coûté, qu’il s’agisse de ma clientèle ou de ma réputation.

Êtes-vous en contact avec d’autres pères ayant traversé les mêmes épreuves que vous ?

Non.

Vous n’allez quand même pas me faire croire que vous êtes le seul père divorcé de cette ville ! Combien y a-t-il d’habitants ?

1 700.

Statistiquement, il doit bien y avoir quatre ou cinq divorcés…

Oui, j’ai quelques amis qui sont aussi divorcés, des femmes et des hommes, mais ils n’ont pas connu les mêmes difficultés que les miennes.

Ce n’est pas forcément une consolation mais je peux vous garantir que vous n’êtes pas le seul. Comme bon nombre de pères, vous avez dû partir dans cette bataille en pensant que la règle du jeu était honnête, qu’elle valait pour tout le monde, et vous avez fini par vous apercevoir que les dés étaient pipés, que ces dames avaient des avantages que nous n’avons pas, et que le système fonctionnait de travers. Comment s’est effectuée cette prise de conscience ?

Dès le début, dès ma première rencontre avec un juge aux affaires familiales, qui m’a dit que j’avais déjà été condamné pour outrage à magistrat. Certes, mais ce n’est pas une cause de divorce ! Il n’avait pas à me faire cette réflexion. Et la plupart des autres magistrats que j’ai vus ensuite se sont pareillement permis des réflexions partiales du même genre, alors qu’ils sont là pour écouter les parties de façon impartiale avant de rendre une décision.

Malgré tout, même si vous avez compris dès le début que cela ne fonctionnait pas bien, vous ne vous êtes pas découragé, au point de mener huit ans de procédures diverses et variées…

Il fallait quand même que je me batte, et je suis allé jusqu’au bout de ce que je pouvais faire, jusqu’au moment où j’ai réalisé que je n’arriverais plus à rien, et qu’il fallait que je me préserve. Et cela a duré huit ans.

On sent bien que vous avez énormément souffert au cours de ces années-là, ce qui est tout à fait compréhensible. Aujourd’hui, avez-vous pu parvenir à une forme de résilience, à prendre un certain recul par rapport à tout cela, à vous reconstruire ?

Ah oui ! Sinon, je ne pourrais pas en parler.

Avez-vous pu maintenir quand même un contact avec vos enfants ?

Mes enfants sont maintenant majeurs. Sur les trois, j’en vois deux une ou deux fois par an. Le troisième est toujours entre les mains de la psychiatrie, pour le manœuvrer avec sa mère, et tenter de lui faire déposer une nouvelle plainte contre moi. Ce qui est dingue dans cette histoire, c’est que les troubles de mes enfants m’ont été imputés, alors que je ne les voyais pratiquement plus, c’est quand même fort ! J’ai vu mes enfants vingt heures en cinq ou six ans, c’est inadmissible. Tout cela parce que la mère ne voulait pas les présenter, et je ne pouvais pas déposer de plainte parce qu’il n’y avait pas de calendrier prévisionnel de rencontres. Je les aurais peut-être vus davantage si j’avais été en prison.

Vous êtes donc potentiellement encore dans les rouages du système judiciaire ?!

Oui, jusqu’à la fin des études de mes enfants.

Un certain nombre de procédures que vous avez essayé de mener n’ont pas abouti, soit parce que vous n’avez pas su vous y prendre, soit parce que vous avez été mal conseillé – on ne peut malheureusement pas toujours compter sur un avocat pour avoir de bons conseils…

Pierre-Luc Marville (© D.R.)

Pierre-Luc Marville (© D.R.)

Effectivement, ce n’est pas un avocat qui m’aurait dit que les experts ne relèvent pas du droit commun ! Je l’ai découvert fortuitement et à mes dépens. C’est tout aussi fortuitement que j’ai découvert sur Légifrance qu’on pouvait contester les expertises. Aucun avocat ne m’en a parlé. Cela dit, si quelqu’un m’avait conseillé, face à l’Ordre des médecins par exemple, je ne sais pas si je l’aurais écouté ; comme je l’ai écrit dans mon livre, pour moi l’expérience est l’autorité suprême, et il fallait que j’y aille pour savoir vraiment, par moi-même, comment les choses se passent, et elles sont édifiantes.

Le système judiciaire est effectivement complètement opaque pour les justiciables. Bien que les textes de lois soient librement disponibles sur Légifrance, le fait est qu’ils sont difficilement compréhensibles pour les non-spécialistes, et que même les spécialistes se perdent dans une telle masse. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait simplifier les règles de procédures de sorte qu’elles soient aisément connues par tous les justiciables ? Par exemple, que les règles du jeu soient clairement exposées si on veut porter plainte contre un médecin en tant qu’expert judiciaire.

Oui, ce serait bien. Cela rejoint ma proposition d’établir des « maisons du droit », où seraient regroupées toutes les professions juridiques et judiciaires, fonctionnarisées, et où les justiciables pourraient venir se renseigner sur leurs droits. Comme vous l’avez dit, c’est un milieu complètement opaque – Éric de Montgolfier l’avait aussi dénoncé, lui qui déconseillait aux gens de saisir la justice parce qu’ils allaient s’y noyer.

C’est effectivement souvent ce qui se passe. Avez-vous envoyé votre livre à Montgolfier ?

Non.

Vous faites un certain nombre de propositions à la fin de votre livre, qui sont dans l’ensemble sympathiques. Vous les exposez en trois pages, mais – sans vouloir être inutilement agressif – il me semble qu’elles auraient mérité d’être davantage étayées. Par exemple : « Généraliser la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel par tout citoyen ». J’y adhère complètement, mais cette proposition est-elle réaliste ? Si on donne à trente millions de citoyens français la possibilité de saisir directement le Conseil constitutionnel, qui a déjà du mal à répondre rapidement aux saisines des parlementaires…

C’est juste ce qui m’est venu à l’esprit, et je ne suis pas un spécialiste des lois. Cela dit, cette proposition a déjà été partiellement mise en œuvre sous la présidence de Nicolas Sarkozy, avec l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité. Quand on a parlé d’ouvrir aux citoyens le recours auprès du Conseil constitutionnel, j’ai trouvé cela formidable. Par exemple, comme je le raconte dans mon livre, le principe de précaution a été complètement bafoué dans mon cas, et j’aurais bien eu besoin d’un tel recours.

Parmi les « professions à rente » que vous énumérez, les avoués ont disparu en 2012. Pour les autres, cela reste à faire. Mais transformer ces rentiers en fonctionnaires, avec un traitement beaucoup plus léger que leur rente actuelle, va poser des problèmes…

C’est bien le cas des magistrats !

Ces propositions n’iront pas bien loin si elles restent dans votre livre, alors que chacune mériterait de faire l’objet d’une proposition de loi, portée par un ou plusieurs parlementaires. Avez-vous déjà essayé, ou avez-vous l’intention, de le faire ? Vous est-il même déjà venu à l’esprit de mener un combat vraiment politique ?

Moi, je suis dans le témoignage, mais il est vrai que c’est un combat politique. Je m’y suis déjà essayé, et cela ne m’enchante pas vraiment. C’est un milieu qui est aussi bien verrouillé, même s’il y a eu beaucoup de changement lors des dernières élections. Il faudrait effectivement présenter ces propositions aux nouveaux députés, s’ils sont davantage ouverts.

Pour l’instant, on peut penser qu’une bonne partie d’entre eux sont susceptibles d’être ouverts, justement parce qu’ils sont nouveaux.

J’ai envoyé mon manuscrit à Emmanuel Macron et à Christiane Taubira. Ils savent donc tout.

S’ils l’ont lu…

Eux peut-être pas, mais leur cabinet oui. J’ai quand même reçu une réponse de celui de Christiane Taubira, qui disait que mon témoignage avait bien été pris en compte et que le mieux pour moi serait de recommencer des procédures, sous-entendant que cela ne serait plus comme avant. M’étant retrouvé au chômage, j’ai alors recommencé une procédure à Chartres pour faire diminuer la pension alimentaire – même si mes enfants sont majeurs, je leur dois encore une pension car ils sont étudiants. J’ai mis le paquet, justificatifs de Pôle Emploi à l’appui, et, pour la première fois, j’ai gagné ! C’était un grand miracle !

Vous y êtes allé sans avocat ?

Sans avocat, oui. Et il va maintenant falloir que je demande l’arrêt des pensions.

Quels sont vos projets pour les temps qui viennent ?

Je vais contacter des journalistes, participer à des salons du livre, parler le plus possible de ce qui m’est arrivé. Il faut que les gens sachent ce qui se passe dans les tribunaux et que cela ne continue pas.

Pour écrire ce livre, vous avez effectué des recherches, consulté un certain nombre d’auteurs, trouvé des articles de presse illustrant vos propos. Il y a là-dedans des choses qui pourraient être approfondies, et vos trois pages de propositions pourraient être développées. Après le témoignage personnel, envisagez-vous un deuxième livre, plus général ?

Je continuerai à écrire, c’est clair. Mais je ne sais pas encore quand ni quoi.

Maintenant que vous êtes dans la classe des anciens combattants, vous n’envisagez pas de rejoindre une association pour faire profiter les néophytes de votre expérience ?

Pourquoi pas ? Mais je ne sais pas si je peux me permettre de donner des conseils : comme nous le disions tout à l’heure, le milieu judiciaire est tellement fermé et opaque, et chaque expérience est si personnelle…

Avec l’expérience, on peut justement aider à « désopacifier » le système judiciaire. J’ai moi-même appris beaucoup de choses à mes dépens, et trop tard pour que je puisse en tirer un profit personnel, mais j’en fais maintenant profiter les autres.

Oui, je pourrais maintenant conseiller des gens qui veulent poursuivre des médecins. Le gros problème de l’affaire d’Outreau et le mien, ce sont les expertises. Ce n’est pas une question d’expert : c’est l’expertise en général qui ne va pas du tout. Mais comme je le disais tout à l’heure, on trouve tout sur Légifrance.

Un des problèmes majeurs posé par ces expertises psychologiques ou médico-psychologiques est qu’elles ne sont pas encadrées par un protocole, contrairement aux enquêtes sociales dont les diligences sont fixées par un arrêté de 2011 – que les justiciables ne connaissent pas, de sorte que l’enquêtrice sociale peut faire ce qu’elle veut, mais c’est un autre débat. Les expertises psy sont laissées à l’entier arbitraire du praticien, qui fait lui aussi ce qu’il veut, mais en toute légalité.

Le psychiatre est quand même soumis à un code de déontologie. En tant que professionnel de santé, je me suis tout de suite penché là-dessus, et j’ai vu que cela n’allait pas. Quand un expert reçoit deux personnes et qu’il n’en écoute qu’une, il y a un manque flagrant.

Encore faut-il pouvoir le prouver ! Et le code de déontologie ne dit rien de la rigueur méthodologique qu’un expert doit mettre en œuvre. Comme le justiciable, a priori, n’y connaît rien, n’importe qui peut faire n’importe quoi.

Je parle de l’assistance éducative en milieu ouvert dans mon livre. La façon dont l’éducatrice spécialisée est intervenue a été un fiasco total. Elle était missionnée pour enquêter sur les conditions de vie et d’éducation de mes enfants, et elle a mené deux interrogatoires à charge contre moi. Devant le juge des enfants, j’ai dû demander si elle connaissait la différence entre l’astrologie et l’astronomie ! En fait, j’ai passé mon temps à recadrer les experts, les intervenants sociaux, les enseignants, les magistrats.

Et cela s’est fatalement retourné contre vous, parce que voilà bien des gens qui ne supportent pas d’être recadrés par les justiciables.

Exactement !


No man's land

Références
Auteur : Marville (Pierre-Luc)
Titre : No man’s land. Voyage d’un père au bout de l’enfer médico-judiciaire
Édition : Paris, Fauves Éditions
ISBN 979-10-302-0063-8
Description : broché, 228 pages
Prix : 18 €
Sortie nationale le 22 août 2017

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