Interview d’Hippolyte Romain

Hippolyte Romain (© D.R.)

Bonjour Hippolyte. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je viens d’une famille vraiment modeste, que j’ai quittée tôt. Je suis devenu père d’un petit garçon, Yann, à dix-sept ans. La maman et moi sommes restés dix ans ensemble, puis nous nous sommes séparés et mon fils est venu vivre avec moi – en fait, c’est moi qui l’ai élevé. Lors de cette séparation, j’ai tout laissé, ou presque : je suis parti avec deux chemises, deux cuillers, deux fourchettes, et une timbale en argent pour mon fils. Nous avons dû recommencer une vie ensemble, en repartant de zéro. Nous avons habité dans un petit studio, où nous dormions dans le même lit. Yann a aujourd’hui cinquante-trois ans, il est photographe et vit en Chine.

L'Illustration du 23 juin 1900Par ailleurs, complètement autodidacte, j’ai toujours eu envie d’être artiste. Je pensais au début être écrivain. Je voulais surtout écrire des pièces de théâtre. Mais cela ne se fait pas du jour au lendemain quand on a dix-sept ans et quelques soucis à régler ! J’ai donc exercé plein de métiers, tout en commençant à écrire des petits articles que j’allais porter à des journaux, comme pigiste. Mais je me suis rendu compte qu’il fallait quelque chose de plus pour que cela soit intéressant, et j’ai donc commencé à les illustrer avec des petits dessins. En fait, mon rêve était de devenir grand reporter comme dans L’Illustration. Mais c’était la grande époque de la photographie et tout le monde me riait au nez ! J’ai été voir les rédactions de tous les journaux de France et de Navarre pendant de nombreuses années, ce qui m’a au moins appris comment fonctionnait la presse. Je tentais de m’améliorer au fur et à mesure mais cela continuait à faire rire tout le monde. Je me suis quand même obstiné. J’ai été jusqu’à vendre mes dessins sur le trottoir pour améliorer mon ordinaire : de mai à octobre, tous les soirs du vendredi au dimanche, j’accrochais mes dessins aux grilles de Saint-Germain-des-Prés ! J’ai ainsi vu passer plein de gens et écouté plein de choses.

Et puis mon petit garçon a commencé à lire des bandes dessinées. Le grand journal de l’époque, c’était Pilote, et je suis allé voir le rédacteur en chef, Guy Vidal, avec un reportage dessiné intitulé « Saint-Germain-des-Prés ». Il y avait une grande aquarelle, assez proche de Raoul Dufy, et une planche de bande dessinée avec un petit texte. Ce n’était pas du tout dans l’esprit de Pilote ni des grands dessinateurs de l’époque, comme Claire Bretécher, et Vidal m’a dit : « Vous savez, nous, nous ne faisons que de la bande dessinée. Mais c’est quand même intéressant. On va voir… » Et puis il l’a publié ! Nous sommes même devenus assez amis. Mais un mois plus tard, il m’a dit que mon style faisait « jaser ». J’ai quand même continué d’apporter un nouveau reportage tous les mois pendant plus d’un an, jusqu’au jour où il m’a demandé d’arrêter. Je raconte cela parce que trente ans plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui, les deux tiers des dessinateurs de bandes dessinées font des reportages dessinés comme je les faisais, ce qui me fait sourire avec bonheur.

Pilote, nº 46, mars 1978, p. 58

Pilote, nº 46, mars 1978, p. 58

J’ai donc continué à regarder l’ours de toutes les publications pour aller voir les rédacteurs en chef. À force, je connaissais toutes les rédactions ! Mais sans aucun succès… Je suis allé par exemple à Avignon en stop pour ramener un reportage au Nouvel Observateur, mais ce n’était pas non plus leur truc. Et c’est encore grâce à mon petit garçon qu’une nouvelle opportunité s’est offerte à moi. Il écoutait de la musique, il voulait même devenir batteur de rock – ce qui me posait quelques problèmes –, et il lisait Rock & Folk. Je suis allé leur proposer de faire des reportages dessinés sur le rock, et ils m’ont répondu : « Une fois de temps en temps, pourquoi pas ? » On m’a associé à un journaliste, j’ai fait la Fête de L’Humanité, quelques autres dessins. Des petites choses, mais cela commençait quand même à sortir.

Album, nº 1, juillet 1978Puis j’ai commencé à travailler pour Prosper Assouline, qui était alors un tout jeune homme de dix-huit ans. Issu d’une dynastie de la presse, il éditait une très belle revue intitulée Album Magazine, pour laquelle il m’a demandé de dessiner, mais sans me payer. Un jour, il m’a téléphoné et m’a dit : « Une boîte de nuit vient de se monter rue du Faubourg-Montmartre, Le Palace. Il y a des concerts et des fêtes. On a engagé deux photographes, mais ce serait formidable d’avoir aussi un dessinateur. Es-tu prêt à passer toutes tes nuits à dessiner au Palace ? Tu seras payé modestement, au dessin, mais tu seras payé. » J’ai accepté et une grande aventure a commencé : j’ai dessiné mille nuits au Palace pendant cinq ans.

Des défilés de haute couture et de prêt-à-porter étaient organisés au Palace. Quand ont eu lieu les défilés d’Yves Saint Laurent, Prosper Assouline m’a demandé de les dessiner. J’ai donc suivi mes premiers défilés de mode à quatre pattes devant les podiums, aux côtés des photographes – j’étais le seul dessinateur, cela faisait rire tout le monde. J’ai dû faire près de cinq cents dessins en cinq jours ! C’était encore l’époque de la photographie argentique, et quand les photographes partaient faire développer leurs films, moi, j’avais fini mes aquarelles, parce que je dessinais très vite. Prosper a décidé de toutes les exposer dans les couloirs du Palace. Le destin a voulu qu’il y ait ce soir-là une grande fête avec le monde de la mode, notamment Karl Lagerfeld et sa muse Anna Piaggi, qui était la rédactrice en chef de Vogue Italia. Elle a vu mes dessins, elle les a aimés et, quelques temps plus tard, elle m’a téléphoné pour me demander de venir dessiner pour elle à Milan. Elle s’occupait aussi d’un magazine intitulé Vanity, un trimestriel entièrement en dessins, mais elle n’avait qu’un seul dessinateur, Antonio Lopez, un grand dessinateur américain qui avait été le compagnon de Jerry Hall, future femme de Mick Jagger. Pauvre comme Job, j’ai accepté et je suis parti quinze jours à Milan. Anna Piaggi a découpé son magazine en deux : quarante pages pour Antonio Lopez, quarante pages pour moi.

Quand je suis revenu à Paris avec cette publication en couleurs, on a commencé à me prendre un peu plus au sérieux, parce que c’était quand même énorme. J’ai continué à faire des petits reportages dessinés à droite à gauche et, au fil des années, je suis devenu l’œil de Vogue Paris avec mes dessins de défilés de mode. Ma carrière était lancée. J’ai commencé à être payé et à gagner un peu d’argent.

ReportagesPuis une amie qui avait une friperie porte de Clignancourt m’a proposé de peindre sur des vêtements. Elle achetait des robes de mariée ou des imperméables tâchés, et je leur donnais une nouvelle vie avec de la couleur et des dessins. Trois fois par semaine, tôt le matin, j’étais porte de Clignancourt pour exposer mes productions. Régine Deforges est passée un jour et a aimé ce que je faisais. Elle venait d’avoir un gros succès en librairie avec La Bicyclette bleue et avait décidé de créer une maison d’édition avec l’argent gagné. Elle m’a contacté par l’intermédiaire de L’Express, où je dessinais de temps en temps. J’ai oublié de la rappeler, elle est revenue à la charge, et j’ai fini par la rencontrer au mois de juillet 1985. Elle était mariée avec Pierre Wiazemsky, qui dessinait au Nouvel Observateur sous le pseudonyme de Wiaz. Elle m’a dit qu’elle voulait faire un livre avec moi et m’a demandé si j’avais quelque chose de prêt. J’avais tous mes reportages qui n’avaient pas été publiés. Nous sommes tombés d’accord, sans même signer de contrat, et mon premier livre, Reportages, est paru en septembre. C’est Prosper Assouline qui avait fait la maquette.

Je continuais à faire le tour des rédactions, où, me voyant tirer les sonnettes depuis des années, tout le monde me connaissait. Comme on voyait que mes dessins commençaient à marcher, les portes s’ouvraient plus facilement. Travaillant beaucoup dans la mode, je pouvais faire des piges partout : j’étais publié aussi bien par La Croix que Libération. Un jour, le rédacteur en chef des pages culturelles de La Croix, un type absolument adorable, m’a conseillé d’aller voir un de ses amis qui suivait les défilés de mode. Cet ami m’a à son tour conseillé de proposer mes dessins au Gai Pied, un journal homosexuel qui marchait très bien. Pourquoi pas ? Et Le Gai Pied a accepté de publier une petite bande dessinée, intitulée « Les chéries », chaque semaine pendant plus de deux ans. Mais le plus extraordinaire, c’est que j’ai découvert à cette occasion que toute la presse lisait Le Gai Pied, et voyait donc « Les chéries », ce qui a contribué à faire avancer mon travail sans doute davantage que ce que je faisais pour Vogue ! Les années passant, j’ai commencé à pouvoir imposer des grands reportages et à travailler pour des grands journaux, comme Madame Figaro ou L’Événement du jeudi.

Un type est passé me voir un jour aux Puces et a proposé de m’exposer dans une galerie qu’il possédait rue de la Grange-Batelière. C’était Jean-François Aittouarès, qui est devenu mon marchand. J’ai fait ensuite de plus en plus d’expositions de peintures, j’ai continué à écrire des livres, je suis devenu beaucoup plus connu pour mes grands reportages et je gagnais de l’argent. Après pratiquement quinze ans d’effort, ma vie s’en trouvait facilitée : quand j’appelais une rédaction, on ne me passait plus une vague assistante pour m’éconduire !

La rédactrice en chef de Madame Figaro m’a téléphoné un jour pour m’informer que son journal était partenaire d’un grand événement au Petit Palais, « La Cité Interdite, vie privée, vie publique des empereurs ». Elle allait envoyer deux journalistes en Chine et avait pensé que je ferais mieux l’affaire qu’un photographe pour illustrer le reportage, au motif que je dessinais « comme un Chinois ». Je suis donc parti en Chine, je suis tombé amoureux de Pékin, et j’y suis retourné un mois plus tard. Mon fils aîné est venu m’y rejoindre et a fini par y trouver une maison, où il vit depuis dix-huit ans. C’est là que j’ai commencé à écrire sur la Chine.

Aujourd’hui, j’ai écrit plus de soixante-dix livres, et fait autant d’expositions à travers le monde. Je suis retourné dernièrement à mes premières amours, en écrivant une première pièce de théâtre. J’en ai écrit quatre au total, dont deux que j’ai jouées. Je suis à l’âge de la retraite, mais je continue à écrire et à peindre, pour un petit garçon dont je n’ai pas encore parlé, alors qu’il est si important dans ma vie…

Vous en parlez beaucoup dans votre livre, que vous lui avez d’ailleurs dédié, et les lecteurs ne pourront que constater la qualité de votre affection paternelle, payée au prix fort… Cette deuxième paternité, tardive cette fois, était-elle volontaire ?

Avant qu’il arrive, alors que j’avais soixante ans, je ne pensais pas du tout avoir d’autre enfant que mon fils aîné qui, lui, avait quarante-cinq ans ! Mais ce que femme veut… J’aimais une femme, j’ai accepté de changer la fin de ma vie, et je me suis retrouvé de nouveau papa.

Les deux demi-frères se connaissent ?

Oui, le petit est déjà allé quatre fois en Chine. J’ai fait une exposition il y a trois semaines dans une galerie parisienne, rue Mazarine, où j’ai pu exposer, outre mes œuvres, celles de mes deux enfants : trois photographies de mon fils aîné et trois dessins de mon petit garçon de dix ans, qui dessine très bien. J’étais surtout fier de pouvoir présenter leurs œuvres !

Vous évoquez l’association SOS PAPA dans trois chapitres de votre livre. Comment l’avez-vous connue ?

Par la radio. SOS PAPA avait été mentionnée au printemps 2013 à propos de je ne sais plus quel événement. Mes problèmes avaient commencé en 2011, j’étais alors au creux de la vague, j’ai pensé que je pourrais y trouver des renseignements utiles et rencontrer d’autres pères dans la même situation. J’ai trouvé les coordonnées sur internet, j’y suis allé, j’ai adhéré, et j’ai découvert un univers bien plus large que le mien. Il y avait des situations redoutables – des papas étrangers dans une totale confusion, sans logement ni papiers. D’autres étaient mieux structurés, plus « professionnels ». Chacun avait son propre lot. C’était intéressant, parce que j’ai rencontré des gens en détresse dont on n’entend jamais parler. On ne sait pas qu’ils existent. Quand on traverse une de ces crises malheureuses, on n’a pas envie de raconter à autrui ce qui arrive ; non qu’on en ait honte, mais on a l’impression qu’ils ne vont pas comprendre, et on ne veut pas les encombrer de son chagrin. Le père divorcé est aussi perçu comme coupable de n’avoir pu maintenir son couple. Par pudeur, on ne dit rien, l’isolement s’accroît, on se renferme encore davantage sur soi, comme l’alcoolique qui n’ose dire qu’il est malade, alors qu’il faut en parler, d’une façon ou d’une autre.

Moi, j’ai beaucoup écrit. Pendant quatre ans, j’ai tenu un journal quotidien sur un cahier – j’en ai rempli trois ou quatre – et j’ai fait des aquarelles, afin de garder une trace des appels téléphoniques manqués, des convocations, des cris de mon cœur, des déchirures, des larmes, de tous les événements désagréables qui laissent vraiment perdu. Je ne pourrais pas relire facilement aujourd’hui ces cahiers, mais ils existent. Si j’ai besoin d’une date pour vraiment savoir quand s’est passé tel événement, mes cahiers sont là. À l’instar du Petit Poucet, il m’a paru extrêmement utile de semer des petits cailloux derrière moi. Je ne peux que conseiller aux papas à qui arrivent ces choses terribles de tout noter au fur et à mesure, tous les jours, au moins la date et deux ou trois lignes. Avec le temps, on s’aperçoit que c’est un aide-mémoire incroyablement utile. Même si elles n’ont pas de qualités littéraires, ces petites confessions peuvent au moins aider à soulager.

Aviez-vous des attentes particulières vis-à-vis de SOS PAPA ?

Non, j’ai simplement pensé que cela pouvait m’aider. On se retrouve avec des problèmes devant la justice, on se dit qu’on n’a peut-être pas emprunté la bonne voie, on ne sait pas comment gérer son dossier, etc. Face au coût financier – la justice est chère – et au flou juridique, on n’a malheureusement pas les moyens de vraiment se défendre. Quand vous êtes parisien et que vous avez besoin d’un avocat à Lille, Strasbourg ou Vannes, vous prenez l’annuaire et vous téléphonez au hasard ; si l’avocat est tordu, vous le saurez trop tard. Malheureusement, quand on va à SOS PAPA, les choses sont entamées depuis très longtemps, la justice s’est déjà emparée de votre histoire, un déménagement a provoqué un changement de juridiction, etc., et les dégâts sont là. Vous courrez après les choses sans pouvoir les attraper. Cependant, cette association est comme un point d’ancrage, un port, et c’est bien qu’elle existe. On n’est plus dans le vide absolu, plein de pudeur et replié sur soi parce qu’on cache sa douleur.

Indépendamment de ce contexte douloureux, vous avez donc gardé une impression plutôt positive des permanences de SOS PAPA.

Oui, et j’ai trouvé que les animateurs étaient très courageux, et très méritants de donner ainsi de leur temps. Quand on est sous l’emprise de l’émotion, on peut poser des questions peut-être un peu bêtes sans être jugé. On peut recevoir des conseils plus humains qu’avec un avocat, pour qui la loi est la loi. Tous les pères qui vont divorcer devraient savoir qu’existent des associations comme SOS PAPA et qu’il faut y aller dès que commence la dérive. On aide les alcooliques et les drogués, pourquoi n’aiderait-on pas les papas ?! C’est aussi nécessaire, et cela devrait être soutenu par les pouvoirs publics.

N’avez-vous pas eu envie de vous engager dans cette association ?

Lors des permanences, je disais : « Tout ce que je sais faire, c’est dessiner et écrire. Dès que possible, je vais essayer d’écrire un livre pour qu’on parle de tout cela. » Je ne suis qu’un tout petit maillon de la chaîne, mais je veux parler, à ma façon, de ce phénomène de société. Et j’ai écrit ce livre. J’ai aussi pensé à un spectacle itinérant pour le prolonger. Dix personnes ici, vingt là, cinquante ailleurs, sur le long terme c’est mieux qu’un petit article très gentil avec votre trombine. Et mettre ce problème en scène, c’est rendre la douleur acceptable : on ne rase pas les gens comme lorsqu’on raconte seulement ses malheurs, et c’est extrêmement important. C’est comme cela que je peux être utile.

J’ai apprécié la légèreté et le recul dont est empreint votre récit, qui porte pourtant sur un sujet grave. J’ai cependant été étonné de l’absence d’humeur à l’égard du personnel judiciaire, avocats et juges aux affaires familiales, qui jettent souvent de l’huile sur le feu au lieu de l’éteindre.

C’est volontaire. Pour le succès de ma démarche, je n’ai pas envie de mes les mettre à dos. Je suis un tout petit pot de terre contre un gros pot de fer. Si je les attaque de front en disant qu’ils constituent une bande d’enfoirés assez remarquables vivant de la misère d’autrui, ils vont évidemment se braquer, et ce n’est pas du tout ce que je veux. Et puis il y a de tout. Aux consultations juridiques gratuites du Palais de justice de Paris, par exemple, j’ai quand même vu de braves avocats débordés se dévouer, sans être payés, pour des foules de gens venus demander plein de choses. C’est comme les médecins : certains se déplacent gratuitement pour faire le bien, tandis que d’autres opèrent sans raison pour le moindre truc et arrachent des boyaux, ou vous tuent, pour des sommes monumentales.

Je ne proteste même pas contre la justice. Le moins qu’on puisse dire est qu’il faudrait se lever tôt pour la réformer vu l’état où elle est aujourd’hui ! Personne ne se rend compte qu’elle ne fonctionne plus depuis longtemps, ou tellement mal que cela permet à des crapules de ne jamais être jugées. Les dossiers sont tellement entassés que votre divorce est une blague. La justice elle-même n’est que le reflet de notre société. Beaucoup de jeunes femmes qui font des études de droit ne deviennent pas de grandes avocates parce qu’elles n’ont pas de place pour défendre de grandes causes ; alors elles se spécialisent dans le divorce. C’est facile, c’est le premier degré, la médecine généraliste du droit, et leurs clientes sont plus à l’aise puisqu’elles sont entre femmes. Les magistrates de province ne sont pas non plus le top du panier, elles ne deviennent pas procureur général. La magistrature les utilise parce qu’il en faut et qu’il n’y a pas beaucoup de candidats. Du coup on se retrouve dans un goulet fabriqué par la société. Je pense donc que le vrai problème est au-delà de la justice.

Réformer les mentalités n’est pas non plus de la tarte, mais il faut déjà qu’on parle du problème, qu’on en prenne conscience. Quand un papa se plaint en disant qu’on lui arrache le cœur et qu’on est en train de lui voler un pan de sa vie, qu’on ne dise plus qu’il fait chier, mais que, effectivement, cela doit être un peu douloureux. Si j’arrive déjà à cela, je n’aurai pas trop mal travaillé. Mais je ne veux entrer en conflit ni avec les femmes ni avec ce personnel. Sans stigmatiser qui que ce soit, j’ai simplement signalé qu’avocats et juges sont toujours des femmes, et qu’il est clair que le papa a assez peu de place dans l’opération…

Je dis souvent qu’il tient la place de l’eunuque du harem…

C’est un peu cela ! Et c’est un énorme problème, qui ne va pas s’arrêter demain, alors qu’il touche tous les âges et toutes les couches de la société. Je veux en parler et en faire parler, avec mes moyens, en douceur. Un spectacle permet justement de raconter plus de choses qu’un livre : l’écrit reste, le spectacle s’envole. Je peux me permettre d’y ajouter une scène avec une avocate abrutie et une juge débile, cela ne touchera que les spectateurs. Dans le livre, j’ai raconté mon histoire avec légèreté ; je ne voulais pas qu’on me prenne pour un militant fou furieux qui va s’accrocher à des grilles. Parce que là, vous êtes immédiatement étiqueté comme un extrémiste à trois francs cinquante et vous êtes un raté de la vie complet. Je veux être efficace, et pour être efficace il faut prendre les voies les plus utiles. Les dessins de Daumier illustrent parfaitement cette façon de faire.

Puis, au bout de tout cela, il y a quand même les enfants. Nous souffrons, mais eux sont les victimes. Et mon idée, c’est de faire entrer dans la tête des gens que le père est aussi indispensable que la mère.

Voilà justement qui m’a laissé sur ma faim après avoir lu votre livre. Vous racontez de façon aussi légère que réaliste une histoire que je connais bien moi-même, mais ensuite, comme disait Lénine, que faire ? Que faire concrètement pour que ce qui se passe mal aujourd’hui se passe, sinon bien, en tout cas mieux demain ?

Il faut déjà qu’on parvienne à amener le débat sur la place publique, et de façon durable. Pas avec une brève de comptoir ou une information télévisée sur un père qui s’est suicidé hier à cause d’un divorce, ou qui mène une grève de la faim, ou cinquante papas désespérés qui se sont attachés quelque part : on ne connaît pas l’histoire parce qu’on n’y consacre que deux minutes avant de passer à autre chose, et cela ne compte pas. Je pense qu’il faut faire passer le message par d’autres moyens que l’information classique pour que le problème devienne un sujet de conversation ordinaire. On n’en est pas là, et les papas encore moins. J’ai fait ce livre et je veux faire un spectacle afin de parler de la place des papas dans les histoires de divorce que tout le monde connaît mais dont on ne parle jamais. Je connais plein de journalistes, qui traitent de politique, de tourisme, etc., mais pas de notre sujet – même en société – parce que c’est un sujet un peu dérangeant, qu’on préfère rejeter dans une espèce de no man’s land silencieux. La société a conscience du problème, mais mauvaise conscience, comme dans La tête des autres de Marcel Aymé : on est tous d’accord mais on ne va pas en parler.

Les papas existent, mais, globalement, on ne leur donne pas la parole – il faut quand même être objectif. Alors il faut trouver le moyen de leur donner la parole pour qu’ils puissent s’exprimer. Le spectacle est une des façons de le faire. C’est un relais possible. Imaginons qu’on puisse monter un ballet Sauvons les papas avec un grand chorégraphe, et que la chorégraphie explique cette histoire-là : le fait de pouvoir en parler amènerait toute une discussion sur la place publique, en dehors du spectacle. Il y a eu une petite tentative avec Kramer contre Kramer. Dans ce très beau film, qui se passe aux États-Unis, Dustin Hoffman est formidable. J’ai vu l’adaptation qui en avait été faite au théâtre à Paris, mais elle a eu très peu de succès alors que cela touchait vraiment le problème.

Votre objectif est donc qu’on parle de ce sujet comme d’un vrai sujet de société. Or c’est exactement ce qui s’est passé en 2013 et 2014. Le problème de la discrimination judiciaire des pères lors des divorces et des séparations a alors occupé le débat public, et pourtant rien n’a changé.

Non, parce que, à mon avis, même si c’était très fort, on a toujours considéré qu’il s’agissait d’extrémistes, d’un groupuscule, d’une minorité militante. Or le mot « militant » effraye la conscience de monsieur et madame Tout-le-Monde. Quand les parents ont rompu, la mère a le gosse et le père n’a qu’à travailler pour payer la pension alimentaire – c’est le grand leitmotiv : qu’il paye ! Et le système n’a pas du tout envie que cela change : si tous les mecs pouvaient payer tranquillement sans rien dire, ce serait idéal, la société aurait réglé un vrai problème. On se demande pourquoi ces cons font chier : ils ne veulent pas tout le temps payer, et en plus ils protestent ! Mais quand ils ne sont pas d’accord et qu’ils protestent, ce sont des indiens avec des plumes, une minorité. Et quand en plus ils descendent dans la rue, pour une manifestation publique plus ou moins violente, la masse silencieuse les rejette : les pères deviennent extrêmement dangereux, ce sont des extrémistes, on en met trois en taule et on ne les écoute même plus. Barrière totale dans la presse et silence radio. Quelles que soient les actions menées pour faire avancer les choses, le public reste infiniment silencieux : on passe à autre chose et on n’en parle pas. Il faut continuer de le faire, mais je pense que le militantisme tel qu’il a été pratiqué ne marche pas. Tout le problème est d’essayer de ne pas passer pour des extrémistes en demandant simplement l’égalité – un mot qu’on balade partout, mais qui fait peur.

Inconsciemment, et quand même assez lâchement, toute la société – donc beaucoup de femmes – participe à cet état de fait. C’est pour cette raison que les papas ont du mal à trouver un relais : pour des raisons différentes mais qui se rejoignent, la société entière est totalement d’accord pour qu’il en soit ainsi. Voyez ce qui se passe avec la gendarmerie et la police : vous les emmerdez déjà quand vous voulez porter plainte parce qu’on vous a cambriolé et que la liste de ce qu’on vous a piqué les fait vraiment chier. Alors vous poussez le bouchon un peu loin quand vous voulez déposer plainte parce qu’on ne vous a pas présenté votre enfant : vous emmerdez tout le monde parce qu’il va falloir remplir un papier, qu’il faudra en remplir un autre dans quinze jours, et qu’ils ont autre chose à foutre.

Autre exemple : à cause des attentats, vous devez aujourd’hui obligatoirement demander à la maman l’autorisation de sortie du territoire pour que votre enfant parte à l’étranger avec vous, alors qu’on pouvait auparavant se baguenauder tranquillement en Europe. Si la maman veut vous embêter gentiment, elle n’a qu’à refuser cette autorisation : vous aurez le droit d’aller à Bezons et Courbevoie, mais pas plus loin. On nous dit que c’est à cause du terrorisme, mais se promener en Europe avec son enfant sans demander l’autorisation de l’autre parent n’est pas un acte terroriste ! L’air de rien, on a ajouté cela, et personne ne s’est plaint, alors qu’on vient d’ajouter une nouvelle barrière et un nouveau droit à la dépositaire de l’enfant.

Mais les deux parents sont concernés par cette autorisation de sortie du territoire…

Bien sûr, mais on ne l’aurait pas rétablie que personne n’aurait été embêté. On n’était pas forcé d’ajouter une mèche pour emmerder un peu plus les pères.

Cela fait malheureusement partie des dégâts collatéraux du terrorisme.

Certes, mais il y a énormément de choses qui se construisent comme cela. Pour l’instant, dans notre société, les pères n’arrivent pas à trouver l’accroche pour simplement exister. Nous sommes là, les femmes sont là, mais nous ne parlons pas de la même chose. Les mères parlent de leur enfant, elles ont mis l’enfant au monde, elles sont les meilleures pour pouvoir l’élever. Le père vient après, et s’il n’est plus là, il n’a qu’à payer pour régler le problème financier, et c’est tout. Pour la société, c’est comme cela, mais pas pour l’enfant, qui est le grand absent du débat. Il faut donc réussir à convaincre les femmes en général et les mères en particulier qu’il fait partie du contrat, et c’est cela le plus dur.

Il y en a beaucoup qui sont concernées et sensibilisées, notamment les nouvelles compagnes et les grand-mères.

Bien sûr, c’est incontestable, et c’est pour cela qu’il faut les associer complètement à notre travail, les mettre presque en première ligne, en disant : c’est le problème des papas, mais aussi des mamans. Moi, papa, j’en parle, mais des femmes aussi, qui sont d’accord avec nous, et ce n’est pas moi qui les ai poussées à participer et à témoigner. Je pense que plus on arrivera à associer les femmes – et c’est pour cela que j’ai pris une actrice et non un acteur pour lire mon texte – mieux ce sera, parce qu’elles sont quelque part dépositaires de la même histoire que nous. Les nouvelles compagnes parce qu’elles souffrent de leur côté, les grand-mères parce qu’elles ont vu des choses se passer avec le temps, toutes soutiennent votre action parce qu’elles voient bien que vous êtes des honnêtes hommes. Pour paraphraser Aragon, les femmes qui sont conscientes de cela sont aujourd’hui l’avenir des papas. C’est évident. On doit beaucoup plus les associer, d’autant qu’elles arriveront mieux que nous à parler à d’autres femmes.

C’était d’ailleurs l’intuition de Michel Thizon, le fondateur de SOS PAPA, qui avait demandé à l’actrice Anny Duperey d’être la marraine de l’association. Et c’est la sociologue Évelyne Sullerot qui a pris la suite en 2006.

C’est absolument évident et plus il y en aura plus la cause sera entendue. Elles sont une part du pouvoir et, dans la mesure où elles seront elles-mêmes militantes pour que les choses ne se passent plus comme avant, elles seront extrêmement utiles à la cause. C’est clair, c’est vraiment indispensable. Il faut expliquer que ce n’est pas qu’un problème d’hommes : c’est un problème d’hommes, de femmes et d’enfants. Plus je pourrai associer de femmes de renom au spectacle, pour en parler, pour jouer, pour participer, plus cela fera avancer l’égalité parentale.

Vous avez déjà évoqué ce projet de spectacle à plusieurs reprises au cours de notre entretien. Pouvez-vous en dire davantage ?

Le titre n’en sera pas Au mieux trois fois par semaine, mais Sauvons les papas. Des passages de mon livre seront lus et je raconterai une histoire autour. Je le monterai à la rentrée, en le rôdant deux ou trois fois avant de voir si un petit théâtre veut bien me prendre en assurant la communication. Pour le rendre amusant, j’ai ajouté des choses que je n’avais pas mises dans le livre, comme certaines pérégrinations. Par exemple, je suis allé quinze jours à New York pour essayer de trouver une galerie qui pourrait vendre mes œuvres, parce que j’avais vraiment besoin d’argent ; je me suis retrouvé dans une petite pension de famille de Manhattan, où les clients à l’année ressemblaient beaucoup aux personnages de Bukowski, et j’en ai fait six feuillets. Je raconte aussi un bout de voyage, comment on a le cœur en sautoir quand on est loin. Je vais essayer de rendre ce spectacle le plus léger possible, sans perdre le fil de la lecture, avec des petits moments très sentimentaux qui passeraient moins dans un livre. Je sais comment je veux le construire : il faudra une bande son, qu’un ami va me faire – j’ai eu un cirque dans une autre vie où j’ai eu longtemps un accordéoniste, un ami très proche. On a fait plein de spectacles ensemble, et c’était formidable parce que c’est le genre de musique qui touche les gens. Il faut les faire vibrer, il faut qu’ils soient émus. La mise en scène est très simple : je peins, une dame raconte, un peu de musique, et c’est tout.

C’est à peu près ce que vous avez fait en mai dernier au Théâtre Falguière pour la présentation de votre livre ?

Oui, mais un peu plus construit, un peu plus étoffé, avec un peu plus d’éclairage. Là, c’était un essai. Par nature, je suis très proche du théâtre de tréteaux : je fais et, en me rendant compte des réactions des spectateurs, j’adapte, je rature, je retravaille. Cela ne me gêne pas. Je n’ai pas l’impression de délivrer un message très fort, je veux que cela touche les gens, c’est ce qui m’intéresse.

Il ne faut pas que seuls des papas viennent. Il faut aussi que des mamans viennent, parce qu’elles ont été aussi victimes d’autres choses, et je pense tout à fait pouvoir sensibiliser un jour les femmes par ce spectacle. J’en ai rencontré et écouté des dizaines et des dizaines qui admettent tout à fait que certaines de leurs copines sont des monstres et que des braves types se sont fait étendre d’une façon épouvantable. Mais, psychologiquement, toutes les femmes ont plus ou moins mauvaise conscience. Il y a chez les femmes en général, les avocates et les magistrates en particulier, cette idée qu’on ne doit pas leur retirer un privilège. Quelque part, elles réagissent intérieurement en se disant : même s’il y a des mecs qui sont victimes, nous sommes nous aussi victimes de plein de choses. Nous sommes victimes du code masculin dans la vie sociale, il n’y a pas d’égalité salariale entre les femmes et les hommes, etc. Là, au moment d’une rupture, pour une fois c’est nous qui gagnons, nous avons un petit avantage, la justice nous traite un peu mieux, les juges nous sont un peu plus favorables, et tant mieux. Nous n’allons pas revenir là-dessus, perdre cette petite avance en la remettant en question, alors que nous sommes tellement perdantes par ailleurs.

Les femmes, qui sont quand même parties prenantes puisque ce sont elles qui ont mis au monde les gosses, ne veulent pas du tout entrer dans l’histoire. Elles ne tiennent à aucune égalité. On peut leur annoncer autant de suicides de mecs qu’on veut, ce n’est pas leur problème, elles n’en n’ont rien à foutre. D’autant qu’il y a une impunité morale : même si mes arguments sont pourris, ce n’est pas de ma faute puisque ce n’est pas moi qui ai décidé mais le juge. Or il faut faire prendre conscience aux femmes, leur mettre dans la tête, que l’égalité parentale ne leur fait pas perdre un avantage mais donne juste un avantage à nos enfants. Dans leur raisonnement, elles ne parviennent pas à comprendre que la justice ne doit ni avantager ni désavantager qui que ce soit, que leur petit avantage est un petit désavantage pour nos enfants, et que nous ne demandons pas l’égalité pour leur faire perdre, leur retirer ou leur voler quelque chose mais pour donner quelque chose à nos enfants. L’égalité parentale ne détruit rien, elle donne à nos enfants la chance d’avoir aussi un père : c’est une redistribution au bénéfice des enfants, pour qu’ils soient heureux.

En pensant que la femme est la plus défavorisée, la justice tranche mal, elle fonctionne pratiquement comme une caste. La question n’est pas que les femmes souffrent déjà tellement ; la question est de savoir si le papa a droit à sa place, c’est tout. Et ce n’est pas une revendication du papa, c’est un besoin de l’enfant. C’est une chose que les femmes occultent, ou qu’elles oublient, très facilement, parce que leur progéniture c’est d’abord elles. Eh non ! Moi, je lutte pour qu’elles aient un salaire égal à celui des hommes, mais elles doivent comprendre que je lutte aussi pour la parité parentale. Leur salaire, c’est leur travail ; là, il s’agit de l’avenir de nos enfants. Elles doivent bien comprendre qu’elles ne gagnent pas d’un côté tout ce qu’elles perdent de l’autre, parce que ce n’est pas un gain : c’est forcément dramatique. Elles le verront avec les années parce que cela finit toujours de la même façon : les enfants sans père le réclament un jour. Elles peuvent raconter ce qu’elles veulent, c’est comme cela, que cela leur plaise ou non. Il y aura une évolution énorme le jour où aura lieu cette prise de conscience, lorsqu’elles pourront admettre que tant des femmes que des hommes se conduisent mal, alors qu’il faudrait que tout le monde se conduise bien parce que les victimes sont les enfants. Pas elles ni nous. C’est la grande différence.

Mais il est très clair que ce n’est pas entré dans les mentalités, d’où cette omerta qui continue d’exister alors que les chiffres parlent, que l’évidence est là. On tombe sur quelque chose et cela glisse parce qu’il n’y a pas cette envie personnelle de percevoir ainsi le problème. À partir de là, il est évident qu’on ne peut pas avancer. Il faut donc réussir à travailler sur ce point, trouver les arguments pour impliquer les femmes, sans braquer qui que ce soit. Le problème est mal posé, pas dans les bons termes, et je pense que cela joue énormément contre l’évolution des mentalités. C’est vraiment cela qu’un spectacle permet d’expliquer, mais très légèrement, en ajoutant une petite saynète de cinq minutes.

Comment allez-vous monter ce spectacle ? Seul, avec un agent, d’autres artistes ?

On entre dans des conflits d’ego absolument démentiels avec les artistes. Au lieu de se retrouver pour une petite cause qui paraît passionnante, on voit apparaître l’ego et un tas de choses : combien cela me rapporte, où on va, etc. À ce moment-là, rien n’avance. Dans mon spectacle, je peins tandis qu’une comédienne lit. Ce serait très joli si je pouvais avoir aussi une danseuse et un violoncelliste, mais, à moins que ce soient des gens qui vous soient très dévoués pour des raisons X ou Y, on complique le bazar, on grossit la chose, elle se dilue, et on perd le fil de l’histoire. La danseuse veut ceci, le violoncelliste veut jouer cela, etc. Au bout d’un moment, cela finit par coûter de l’argent et du temps, il faut trouver un budget, une salle, etc., et on n’y arrive pas : cela ne peut pas marcher, tout coûte cher aujourd’hui et je n’ai pas de subventions. Il y a malheureusement plein de jolies choses qui échouent pour ces raisons.

Connaissant tout cet univers, j’ai donc fabriqué un monde où je gère tout, seul. J’ai tout dans ma tête, ma valise et mon pinceau. J’ai la chance de peindre, je peux donc faire les affiches et les décors, je peux écrire l’histoire, et je peux la jouer, sans même me faire payer. Il reste juste à trouver un lieu qui veuille bien m’accueillir, mais ce peut être n’importe où, dans l’arrière-salle d’un café ou sous un arbre. Je prendrai tous les lieux possibles, parce que tout me va. Je me suis donné suffisamment de légèreté pour ne pas perdre de vue le but de l’opération, le fil conducteur : l’histoire de ces papas et de ces enfants. Après, si des gens veulent venir se joindre au spectacle et l’enrichir, il n’y aura aucun problème, je les accueillerai avec grand plaisir. Mais globalement, il n’y a pas de dépendance. Tout est déjà là. Je n’attends rien.

Faire venir gratuitement trente ou quarante personnes dans une arrière-salle de café où ils siroteront de la limonade pendant que je leur raconterai une histoire, on peut le refaire aussi souvent qu’on veut, et cela peut être repris par un autre qui, à son tour, va écrire une histoire et la raconter dans un autre circuit. À force d’avoir des petites fourmis qui parlent de la même chose, cela finit par faire plein de circuits. J’y crois beaucoup, et j’ai le sentiment que c’est comme cela que je serai le plus utile, même si c’est modeste. Vingt ou quarante spectateurs, c’est modeste, mais c’est à chaque fois une petite pierre supplémentaire et, si ce projet fonctionne, cela peut devenir exponentiel. La presse peut s’emparer d’un modeste succès sur une rumeur. Si un journaliste en parle, un autre va en parler aussi, et ainsi de suite. Grâce au livre, au spectacle, et aux quelques relations que j’ai encore dans ces milieux, j’espère aussi réussir à faire de grandes émissions télévisées.

Je pourrais vous rétorquer que ce militantisme artistique se pratique depuis déjà longtemps et qu’il n’a pas fait avancer notre cause. Le monde du théâtre ne m’est pas le plus familier, mais je connais bien celui de la musique, où pas mal d’artistes, comme Daniel Balavoine, Cali, ou de nombreux rappeurs, ont mis en chansons l’absence de père sans que cela change quoi que ce soit dans la société.

Oui, bien sûr, mais Balavoine, par exemple, a milité pour plein de choses ; on a retenu quelques-unes de ses chansons, mais Mon fils ma bataille n’en était qu’une parmi d’autres. Coluche aurait aussi pu faire sans problème un très joli sketch là-dessus, mais qui aurait été noyé dans un ensemble, parce que tout le monde refuse d’accepter un problème aussi douloureux. Il est occulté, sans doute inconsciemment. Quand vous en parlez, c’est comme si vous ouvriez une plaie : plus elle est vivace, plus elle fait mal, plus elle fait peur, moins on veut la voir et plus vite il faut la refermer. On est d’accord mais on parle d’autre chose !

Mon idée, c’est d’essayer de prendre la tangente en racontant en douceur, par la bande, en zigzag, mais sans lâcher le morceau. C’est moins violent que le prendre de face, et je pense que la société aujourd’hui n’en est pas capable. Elle fuit une responsabilité qu’elle ne veut pas assumer. On ne veut pas voir qu’il y a aussi beaucoup d’intérêts économiques en jeu : par exemple, le divorce, c’est deux logements – les agents immobiliers ne sont pas très malheureux. La pension alimentaire fait vivre assez luxueusement pas mal d’avocats. Cela entretient toute une micro-économie parallèle, qui fonctionne très bien. Là non plus, on n’a pas du tout envie d’alléger ou de simplifier, au contraire : mine de rien, c’est très rentable. Alors, quand vous vous attaquez à ça…

Eh bien ! Nous comptons sur vous !

Au mieux 3 fois par semaine

Références
Auteur : Romain (Hippolyte)
Titre : Au mieux 3 fois par semaine
Édition : Paris, Erick Bonnier
EAN 9782367600918
Description : format 145×190, 128 pages, 15 illustrations de l’auteur
Prix : 15 €
Sortie nationale le jeudi 11 mai 2017
Pro memoria

« Au mieux trois fois par semaine », Paternet, 5 mai 2017.

Hippolyte Romain (© D.R.)

Hippolyte Romain (© D.R.)

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