La Cour suprême du Queensland a rendu aujourd’hui un arrêt très intéressant dans une affaire qui rappellera aux plus attentifs de nos lecteurs les avanies subies par un malheureux père canadien en 2019 et 2020 (voir nos chroniques du 27 février 2019 et du 10 janvier 2020). Cependant, contrairement à Robert Hoogland, qui s’est battu pour défendre sa fille, le père australien qui va être ici évoqué aura brillé par son absence, et la Cour suprême du Queensland en a tiré prétexte pour décider qu’un jeune adolescent « transgenre » de treize ans peut recevoir un traitement médical bloquant sa puberté sans le consentement de son père.
En l’espèce, un petit garçon souffrant d’autisme avait commencé à s’identifier comme étant une fille à partir de l’âge de quatre ans. Il s’était mis à porter des vêtements pour filles, de préférence roses, quand il avait commencé à aller à l’école primaire publique. Il avait également choisi un prénom féminin, et son école avait respecté son choix. Scolarisé par la suite à domicile, ses résultats sont au-dessus de la moyenne, en dépit de « massive meltdowns » liés à son autisme (§ 7).
Condamné à plusieurs reprises pour toxicomanie et violence, le père avait été éloigné de son fils et de la mère au printemps 2017. Tout contact avait alors cessé entre eux, et personne ne sait où se trouve le père (§§ 9…12).
Estimant que son fils avait besoin d’un traitement pour bloquer l’apparition de sa puberté, la mère avait demandé à la Cour suprême du Queensland de pouvoir y procéder de toute urgence, sans le consentement du père – normalement requis pour un tel traitement.
Sa requête était notamment étayée par un affidavit du pédopsychiatre en charge de l’adolescent. Exprimant sa crainte que la puberté n’ait un impact négatif sur la santé mentale de son patient, lequel aurait affirmé que la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue en tant qu’homme (§ 14), le spécialiste déclarait :
« 15. […] I have formed the view that [the child] has been insistent, persistent and consistent in her female gender identity for six years, first disclosing to Mum at age 4 that she was a girl. She initially for some time would not wear anything other than full length clothes and did not like to reveal her body. One day they went shopping and found clothes that were more female and felt comfortable. She is socially transitioned, and her friends know her as [her female name].
« 16. […] She is […] clear about her female identity and desire to be female through feminising surgeries and gender affirming hormone treatment in the future. »
N’ayant pas eu accès au dossier et n’ayant aucune compétence en la matière, nous nous garderons bien d’émettre ici un avis tranché sur la prise de position de ce pédopsychiatre. Nous ne pouvons cependant nous empêcher de nous demander si l’aversion alléguée du jeune adolescent pour le sexe masculin ne résulte pas du désastreux comportement paternel, dont le retentissement ne peut qu’être destructeur sur un enfant autiste…
Une endocrinologue disposée à mettre en œuvre le traitement demandé avait également fourni un affidavit, où elle reconnaissait notamment que « the physical examination was consistent with a normal male in early puberty » et que « it was unlikely that there was an endocrine or genetic reason to explain [the child]’s gender dysphoria » (§ 22). Elle estimait également que son patient n’était pas en mesure de comprendre toute la portée d’un traitement à risques multiples (§ 25).
Quoi qu’il en soit, la juge Ann Lyons a dû, préalablement à sa décision, se prononcer sur sa compétence en l’espèce. La requête de la mère invoquait en effet le principe du parens patriæ. En vertu de ce principe de droit du régime de common law, l’État peut se substituer à un parent ou à un tuteur abusif ou négligent pour protéger un enfant ou toute personne vulnérable. La juge Ann Lyons exprime très bien la portée de ce principe, encore plus redoutable lorsqu’il est combiné avec la notion d’intérêt supérieur de l’enfant :
« 27. This application is bought in the parens patriæ jurisdiction of this Court. There is no doubt that the jurisdiction is exercised to protect children who are unable to look after their own interests and the court is placed in a position to act as a parent of the children. It must exercise its jurisdiction in the manner in which a wise, affectionate and careful parent would act for the welfare of a child.
« 28. Children and minors are incapable of giving informed consent until they achieve sufficient understanding and intelligence to enable them to understand fully what is proposed. Until that time, a parent generally has power to consent to treatment on a minor’s behalf. The parens patriæ jurisdiction permits the court to make orders contrary to the wishes of a child’s parents if it is satisfied it is in the best interests of the child to do so. »
La juge Ann Lyons ayant exprimé sa conviction que le principe du parens patriæ s’appliquait bien aux circonstances de l’espèce, il lui restait un obstacle à éliminer pour donner raison à la mère. Une récente décision de la Family Court of Australia a en effet édicté qu’un traitement destiné à bloquer la puberté d’un enfant doit être consenti par les deux parents (Re: Imogen (No. 6) [2020] FamCA 761, 10 septembre 2020). Au terme de son raisonnement (§§ 29-36), la juge Ann Lyons a estimé que le traitement pour bloquer la puberté était conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant puis a fait fond sur l’absence et le désintérêt apparent du père pour se passer de son consentement :
« 37. (h) There will be considerable delay in ascertaining the views of the father in relation to the proposed treatment; and
« (i) Delaying treatment to seek and obtain [the child]’ father’s consent is not in the best interests of [the child].
« 38. I am satisfied that orders should be made in the terms sought as it is clearly in the best interests of [the child] that treatment should commence without delay. »
Nonobstant les particularités du régime de common law, il est effrayant qu’un juge puisse prendre une telle décision pour un jeune adolescent souffrant de graves troubles psychiques et manifestement incapable de comprendre les tenants et aboutissants de la requête maternelle, alors que la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant a été faite à partir de deux attestations médicales, sans aucune expertise contradictoire.
Nous n’apprendrons sans doute rien à nos lecteurs en soulignant qu’une telle omnipotence, doublée d’omniscience, est largement répandue chez les magistrats français en charge des affaires familiales, auxquels il est demandé de déterminer l’intérêt supérieur d’un enfant dont ils ne savent absolument rien – ils ne seraient même pas capables de donner un âge ou un prénom sans le secours de leurs notes d’audience – au regard de parents qu’ils ne connaissent pas davantage, si ce n’est par les éventuelles médisances de l’un sur l’autre…
Alors que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait s’interpréter au regard de multiples facteurs (économiques, éducatifs, médicaux, psychologiques, etc.), et avec l’aide d’experts, sa détermination a été livrée à l’arbitraire des juges aux affaires familiales et juges des enfants. On ne peut qu’être effrayé à la lecture des réponses données par le ministère de la Justice à différentes questions parlementaires. Par exemple :
« L’intérêt de l’enfant est apprécié grâce à un examen exhaustif de la situation familiale en cause, souvent à la suite de mesures d’investigations, en tenant compte de l’âge du mineur, de ses besoins et de ses sentiments. »
« Le seul critère qui guide le juge aux affaires familiales, pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, est celui de l’intérêt de l’enfant. Celui-ci est apprécié grâce à un examen exhaustif de la situation familiale en cause, souvent à la suite de mesures d’investigations confiées à des professionnels de l’enfance, en tenant compte de l’âge du mineur, de ses besoins et de ses sentiments. »
Ignorance des réalités judiciaires, mauvaise foi ? Sans doute un peu des deux. Quoi qu’il en soit, chacun sait – ou devrait savoir – qu’un juge aux affaires familiales n’a pas le temps de procéder au moindre « examen exhaustif de la situation familiale en cause », lors d’audiences dont la durée moyenne est de dix-huit minutes [1]. Par ailleurs, l’assertion « souvent à la suite de mesures d’investigations » est totalement mensongère puisque, d’après une étude publiée par le ministère de la Justice lui-même, « le taux de recours à l’expertise […] atteint le seuil de 2 % dans les affaires familiales [2] ».
Notes
- Cf. Collectif Onze, Au tribunal des couples. Enquête sur les affaires familiales, Paris, Odile Jacob, 2014, p. 15.
- Collectif, Les expertises civiles devant les tribunaux de grande instance et les cours d’appel (2010-2017), Paris, Ministère de la Justice (Direction des affaires civiles et du sceau, Pôle d’évaluation de la justice civile), janvier 2018, p. 1.
- Références
- Supreme Court of Queensland (Trial Division)
Audience du 18 décembre 2020
Re a Declaration Regarding Medical Treatment for “A” [2020] QSC 389
Jugement archivé au format PDF (355 Ko, 10 p.).
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