La paternité confrontée aux troubles de l’identité sexuelle (2)

British Columbia Court of Appeal & Supreme Court (© D.R.)

Nous nous sommes déjà fait l’écho des mésaventures de Robert Hoogland, un père canadien confronté aux troubles de l’identité sexuelle dont souffre sa fille, et nous renvoyons nos lecteurs les plus récents – ainsi que les plus anciens dont la mémoire serait fatiguée – à notre chronique du 27 février 2019 pour qu’ils saisissent bien le fond de la présente (les plus curieux pourront également chercher « Robert Hoogland » dans notre revue de presse quotidienne). La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rendu aujourd’hui un arrêt qui replace l’affaire dans l’actualité.

Robert Hoogland avait fait appel de trois décisions rendues l’année dernière par la Cour suprême de la Colombie-Britannique. La première, en date du 27 février 2019 et qui a fait l’objet de la chronique susmentionnée, avait estimé que sa fille – alors âgée de treize ans – avait valablement consenti au traitement médical de sa dysphorie de genre et que la volonté de Robert Hoogland d’exercer ses droits parentaux constituait une « family violence ».

La seconde, en date du 15 avril suivant, était une ordonnance de protection rendue par la juge Francesca Marzari, dont il faut retracer brièvement la genèse. Aussitôt après que la décision précédente eût été rendue, Robert Hoogland avait accordé un entretien au site américain The Federalist, au cours duquel il avait constamment parlé de sa fille comme d’une fille, « because she is a girl. Her DNA will not change through all these experiments that they do. » Il avait par la suite demandé à son avocat Carey Linde de porter plainte contre Wallace Wong – psychologue militant LGBT bien connu – auprès du College of Psychologists of British Columbia pour manquement à l’éthique professionnelle. Le traitement à la testostérone de la fille de Robert Hoogland ayant alors commencé, les avocats d’icelle s’étaient emparés de ces éléments pour demander que le père fût réduit au silence. Militante féministe avérée, la juge Francesca Marzari avait répondu favorablement à leur requête et rendu une ordonnance de protection, menaçant Robert Hoogland d’arrestation immédiate s’il contrevenait à cette injonction :

« 2 […] Robert Hoogland […] shall not directly or indirectly through an agent or third party share information or documentation relating to [his daughter]’s sex, gender identity, sexual orientation, mental or physical health, medical status or therapies, other than with the following: i) sis retained legal counsel; ii) retained legal counsel for [his daughter], [his wife], ansd [sic] the named respondents in the Petition currently filed as Vancouver Dupreme Court Registry File Number S191565; iii) The Court; iv) medical professionals engaged in [his daughter]’s care or Robert Hoogland’s […] care; v) any other person authorized through written consent of [his daughter]; and vi) any other person authorized by order of this court.

[…]

« 5. Any Peace Officer, including any R.C.M.P. Officer, having jurisdiction in the Province of British Columbia, who has reasonable and probable grounds believes that [Robert Hoogland] is in breach of the terms of this order may immediately arrest that person and bring him before a Judge of the Supreme Court promptly after the arrest, to be dealt with on an inquiry to determine whether he has commited a breach of this order or is in contempt of court, pursuant to section 188 of the Family Law Act, and Rule 21-7 of the Supreme Court Family Rules.

« DISOBEYING THIS ORDER IS A CRIMINAL OFFENCE UNDER SECTION 127 OF THE CRIMINAL CODE PUNISHABLE BY FINE OR IMPRISONMENT

« TAKE NOTICE THAT any police officer, including any R.C.M.P. officer having jurisdiction in the province of British Columbia, having reasonable and probable grounds to believe that the person against whom this order is made has contravened a term of this order may take action to enforce the order, whether or not there is proof that the order has been served on the person and, if necessary for the purpose of enforcing the order, may use reasonable force. Enforcement action may include arresting the person against whom this order is made without warrant in accordance with section 495 of the Criminal Code »

La troisième décision, en date du 4 juillet 2019 et qui n’a pas été publiée, avait rejeté une procédure parallèle engagée par Robert Hoogland.

La question en litige devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique était de savoir si ces décisions étaient conformes à la législation en vigueur ou si elles violaient les droits fondamentaux de Robert Hoogland, garantis par la Canadian Charter of Rights and Freedoms.

L’affaire était d’importance : outre la jeune fille et sa mère, étaient également assignés le British Columbia Children’s Hospital, le district scolaire de Delta, le ministère de l’Éducation et le procureur général de la Colombie-Britannique, ainsi que le docteur Brenden Hursh et le psychologue Wallace Wong. Plusieurs associations militantes avaient également été autorisée à intervenir : Association for Reformed Political Action et Justice Centre for Constitutional Freedoms d’un côté, Canadian Professional Association for Transgender Health, Egale Canada Human Rights Trust et West Coast Legal Education and Action Fund de l’autre. Il n’est pas inintéressant de remarquer au passage qu’aucune association de défense des pères ne s’est manifestée…

La décision rendue aujourd’hui est clairement un échec pour Robert Hoogland sur l’essentiel. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé qu’une jeune fille de treize ans était assez âgée pour consentir à des injections de testostérone malgré les objections de son père qui soutenait que sa fille, psychologiquement fragile, avait été influencée par des militants LGBT [1] et n’était pas à même de comprendre les conséquences à long terme de sa décision. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a toutefois reconnu que les décisions rendues en vertu de la section 37 du Family Law Act, concernant l’intérêt supérieur de la jeune fille et la « family violence », ainsi que l’ordonnance de protection du 15 avril 2019 n’étaient pas bien juridiquement fondées, mais elle a procédé aux substitutions nécessaires…

Ainsi, le consentement de la jeune fille au traitement médical a été valablement fait en vertu de la section 17 de l’Infants Act :

« [118] Clearly the issue of an infant’s best interests in matters of health care, by statute, is within the purview, at least initially, of the child’s “health care provider” under s. 17 of the Infants Act. This is clear from a reading of s. 17 itself, and importantly, it is buttressed by the specific direction in para. 41(f) of the [Family Law Act] that parental responsibilities are expressly subject to s. 17 of the Infants Act.

[…]

« [136] The court’s approach to that review must be deferential given the legislative intent behind s. 17 to recognize the autonomy of mature minors and the expertise and good faith of the health care providers.

« [137] […] The relief sought in CD’s petition is vastly beyond the scope of permissible review of a s. 17 determination. The Infants Act has made it clear that health care professions, not judges, are best placed to conduct inquiries into the state of medical science and the capacity of their patients when it comes to questions of minors’ medical decision-making. »

La publication de toute information qui pourrait permettre d’identifier les parties en cause ayant été rigoureusement prohibée par les autorités judiciaires de la Colombie-Britannique, la jeune fille, son père et sa mère sont respectivement désignés par les initiales AB, CD et EF dans le texte des décision rendues publiques.

Les considérations du juge Gregory T.W. Bowden sur la « family violence » ont été revues et l’ordonnance de protection de la juge Francesca Marzari a été annulée, mais leur ont été substitué un conduct order (« ordonnance de conduite », spécificité de la législation familiale de la Colombie-Britannique), fondé sur la section 227 (c) du Family Law Act, qui fait toujours injonction à Robert Hoogland de reconnaître que sa fille, maintenant âgée de quinze ans, est un garçon, d’utiliser des pronoms masculins lorsqu’il se réfère à elle et de l’appeler par le prénom masculin qu’elle a choisi :

« [213] While of course CD is fully entitled to his opinions and beliefs, he cannot forget that AB, now a mature 15-year-old, with the support of his mother and his medical advisors, has chosen a course of action that includes not only hormone treatment, but a legal change of his name and gender identity.

« [214] It is our view that in these circumstances, a limited conduct order, made with the objective of protecting the best interests of AB, is consistent with the Charter values […]. CD has the right to his opinion and belief about AB’s gender identity and choice of medical treatment. His right to hold a contrary opinion would not be unduly affronted by an order that CD respect AB’s choices by acknowledging them in his communications with AB and publicly with third parties, both generally and in respect of these proceedings. His right to express his opinion publicly and to share AB’s private information to third parties may properly be subject to constraints aimed at preventing harm to AB. However, we would not restrict CD’s right to express his opinion in his private communications with family, close friends and close advisors, provided none of these individuals is part of or connected with the media or any public forum, and provided CD obtain assurances from those with whom he shares information or views that they will not share that information with others.

[…]

« [218] In the result, we would allow the appeal of the Bowden Order on the limited basis described above and set aside the declarations made in paras. 1(a)–(c) and 2(a) and (c) of that order.

« [219] We would substitute therefore a declaration that in respect of the gender transition treatment proposed for AB (and already begun), s. 17 of the Infants Act has been complied with, AB’s consent to that treatment is valid, and no further consent from his parents, in particular CD, is required in that regard. AB’s consent to fresh treatment modalities is not before the court at this time, and would in any event require fresh consent.

« [220] With respect to paras. 1(b) and (c) of the Bowden Order, we would substitute a conduct order under s. 227(c) of the [Family Law Act] that CD:

« i. acknowledge and refer to AB as male and employ male pronouns, both generally and with respect to any matters arising in these proceedings; and

« ii. identify AB by the name he has chosen, both generally and with respect to matters arising in these proceedings.

« [221] Paragraph 2(b) should remain as is, with the language respecting declarations removed. Allowing a child to conduct a proceeding without a litigation guardian is a straightforward order of the court and requires no declaration.

« [222] We would also allow the appeal of the Marzari Order and set aside the protection orders made. We would substitute a conduct order under s. 227(c) of the [Family Law Act] that CD shall not, directly or indirectly through a third party, publish information or provide documentation relating to AB’s gender identity, physical and mental health, medical status or treatments, other than with:

« i. his retained legal counsel;

« ii. retained legal counsel for AB or EF;

« iii. medical professionals engaged in AB’s care or CD’s care;

« iv. any other person authorized by AB’s written consent; and

« v. any other person authorized by court order.

« [223] This order should not restrict CD’s right to express his opinion in his private communications with family, close friends and close advisors, provided none of these individuals is part of or connected with the media or any public forum, and provided CD obtain assurances from those with whom he shares information or views that they will not share that information with others.

« [224] The conduct orders should be effective for a one-year term commencing from 15 April 2019, subject to any extension on application to the Supreme Court. »

La publication de toute information qui pourrait permettre d’identifier les parties en cause ayant été rigoureusement prohibée par les autorités judiciaires de la Colombie-Britannique, la jeune fille, son père et sa mère sont respectivement désignés par les initiales AB, CD et EF dans le texte des décision rendues publiques.

Si elle n’a pas de portée pénale, contrairement à l’ordonnance de protection, cette ordonnance de conduite constitue évidemment une grave atteinte à la liberté d’expression et de pensée de Robert Hoogland, dont on remarque notamment que l’exercice en est désormais soumis au bon vouloir de sa propre fille… Tierce partie en appel, le Justice Center for Constitutional Freedoms avait mis en garde contre le totalitarisme d’un État qui prétend dicter ou faire dicter les pensées des citoyens afin qu’ils voient blanc ce qui est noir :

« The state cannot lawfully compel parents to voice agreement and support for a Treatment which the parent with good reason believes is dangerous, harmful and against the interests of impressionable children. The state cannot compel parents to forget their daughters and remember sons in their stead. »

Justice Center for Constitutional Freedoms, Factum, août 2019, § 29.

Mettant un terme à une procédure d’appel qui aura duré près d’un an, cette décision ruine, probablement d’une façon définitive, l’espoir qu’entretenait Robert Hoogland d’éviter les effets irréversibles du traitement hormonal subi par sa fille. Dans l’entretien accordé au site américain The Federalist mentionné supra, Robert Hoogland avait affirmé : « We’re gonna fight this right up to the Supreme Court of Canada. » C’est effectivement son dernier recours, mais nous ignorons s’il donnera suite à ce dessein exprimé il y a un an.

Qu’il nous soit enfin permis de souligner que cette affaire, qui a été suivie avec attention tant au Canada qu’aux États-Unis, a été très largement ignorée en France. Nous avons été, semble-t-il, les seuls à nous en être fait l’écho, et nos lecteurs trouveront ci-dessous une partie notable du dossier que nous avons archivé.

Références
British Columbia Court of Appeal
Magistrats : Robert Bauman, Harvey Groberman, Barbara Fisher
A.B. v. C.D., 2020 BCCA 11, 10 janvier 2020
Note
  1. On remarque notamment le nom de Barbara Findlay, militante queer de longue date, parmi les avocats de la fille de Robert Hoogland.

Pro memoria :

Mise à jour du 14 janvier 2020
Mise à jour du 16 janvier 2020

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