Petite chronique de jurisprudence : contrat de mariage, liquidation de communauté, prestation compensatoire

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 23 juin 2021, la Cour de cassation a rendu trois arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.

Exigibilité de la prestation compensatoire

En l’espèce, un père divorcé reprochait à la cour d’appel de Rouen d’avoir décidé qu’il verserait une prestation compensatoire à compter de la signification d’un arrêt rendu en décembre 2019. Il avait formé un pourvoi en cassation, soutenant notamment que :

« La prestation compensatoire n’est due qu’à compter de la date à laquelle la décision prononçant le divorce prend force de chose jugée, c’est-à-dire est insusceptible de recours suspensif ; […] en matière de divorce, le pourvoi est suspensif ; […] en [le] condamnant […] à régler le capital de 17 000 euros mis à sa charge au titre de la prestation compensatoire à compter de la signification de l’arrêt, la cour d’appel a violé les articles 260 du code civil et 500 du code de procédure civile. »

L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation au visa des articles 260 du code civil, 500 et 1086 du code de procédure civile :

« 4. Selon le premier de ces textes, le mariage est dissous par la décision qui prononce le divorce à la date à laquelle elle prend force de chose jugée.

5. Aux termes du second, a force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution. Le jugement susceptible d’un tel recours acquiert la même force à l’expiration du délai du recours, si ce dernier n’a pas été exercé dans le délai.

6. Aux termes du dernier, le délai du pourvoi en cassation suspend l’exécution de la décision qui prononce le divorce. Le pourvoi en cassation exercé dans ce délai est également suspensif.

7. L’arrêt décide que le règlement de la prestation compensatoire se fera à compter de sa signification.

8. En statuant ainsi, alors qu’en l’absence d’acquiescement antérieur des époux, l’arrêt ne pouvait avoir acquis force de chose jugée à la date de sa signification, qui constituait le point de départ du délai de pourvoi, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 23 juin 2021
Nº de pourvoi : 20-12836

Liquidation de communauté post-divorce

En l’espèce, le divorce d’un couple marié sans contrat préalable avait été prononcé en juin 2011. Des difficultés s’étaient élevées à l’occasion de la liquidation des intérêts patrimoniaux : les ex-époux s’opposaient notamment sur le projet d’état liquidatif dressé par le notaire chargé des opérations de partage, sur la valeur vénale d’un bien immobilier ainsi que sur le sort de dommages-intérêts alloués à l’épouse pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et l’ex-époux avait assigné son ex-épouse en partage. La cour d’appel de Riom ne lui ayant pas donné satisfaction en septembre 2019, l’ex-époux avait alors formé un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation.

L’ex-époux faisait grief à la cour d’appel de Riom de n’avoir pas statué sur sa demande au titre des récompenses en raison de leur absence de chiffrage dans le dispositif de ses conclusions. L’arrêt a été confirmé sur ce point :

« 5. Selon l’article 1375 du code de procédure civile, le tribunal statue sur les points de désaccord des copartageants sur le projet d’état liquidatif dressé par le notaire chargé des opérations de partage.

« 6. Aux termes de l’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

« 7. Il en résulte que la cour d’appel ne statue que sur les contestations relatives au projet d’état liquidatif énoncées au dispositif des conclusions.

« 8. Après avoir relevé que [l’ex-époux], qui contestait le montant des récompenses dues par lui à la communauté et celles dues à lui par celle-ci, telles qu’évaluées par le notaire chargé de la liquidation, ne chiffrait aucune récompense dans le dispositif de ses écritures, la cour d’appel en a déduit à bon droit qu’elle n’avait pas à statuer sur ces contestations dont elle n’était pas saisie. »

C’est ici l’occasion de rappeler que les justiciables doivent être particulièrement vigilants à la rédaction du dispositif des conclusions par leur avocat, en première instance comme en appel, au risque de voir un juge refuser de trancher un litige.

L’ex-époux faisait également grief à la cour d’appel de Riom d’avoir fixé la valeur vénale d’un bien immobilier en refusant d’examiner un rapport d’expertise qu’il avait commandité unilatéralement. L’arrêt a été cassé sur ce point au visa de l’article 16 du code de procédure civile : :

« 14. Il résulte de ce texte que le juge ne peut pas refuser d’examiner un rapport d’expertise établi unilatéralement à la demande d’une partie, dès lors qu’il est régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire. Il lui appartient alors de rechercher s’il est corroboré par d’autres éléments de preuve.

« 15. Pour fixer la valeur vénale du bien immobilier situé à […] à la somme de 280 000 euros sur la seule base de vente de maisons similaires dans le même secteur géographique entre 2012 et 2015, l’arrêt retient qu’il n’est pas contesté que [l’ex-époux] a mis en échec les opérations d’expertise ordonnées avant dire-droit pour déterminer la valeur vénale de ce bien et qu’il n’a pas permis au notaire de [l’ex-épouse] de pénétrer dans les lieux, de sorte qu’il n’est pas fondé à produire une expertise non contradictoire aux fins de contester la valeur fixée par le premier juge.

« 16. En statuant ainsi, alors que ce rapport d’expertise, régulièrement versé aux débats, avait été soumis à la discussion contradictoire des parties, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

La Cour de cassation rappelle ici qu’une expertise privée est un élément de preuve comme un autre.

L’ex-époux faisait enfin grief à la cour d’appel de Riom d’avoir dit que la communauté devait récompense à son ex-épouse de la somme correspondant à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qu’elle avait reçue, en considérant la dite somme comme propre à l’ex-épouse alors qu’elle constituait un substitut à son salaire tombant en communauté. L’arrêt a été également cassé sur ce point au visa des articles 1401 et 1404, alinéa 1er, du code civil : :

« 18. Il résulte de ces textes que les indemnités allouées à un époux entrent en communauté, à l’exception de celles qui sont exclusivement attachées à la personne du créancier.

« 19. Pour dire que la communauté doit récompense à [l’ex-épouse] de la somme correspondant aux dommages-intérêts auquel son ancien employeur a été condamné à lui verser en raison d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient que cette somme était destinée à indemniser un préjudice personnel.

« 20. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si cette indemnité avait exclusivement pour objet de réparer un dommage affectant uniquement sa personne et non pas le préjudice résultant de la perte de son emploi, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

La Cour de cassation confirme ici une jurisprudence bien établie : les indemnités perçues en réparation d’un préjudice matériel ou moral consécutif à la rupture du contrat de travail entrent en communauté à l’exclusion de celles exclusivement attachées à la personne du créancier ; une indemnité mixte – réparant un autre dommage (tel la perte d’emploi) en plus du préjudice personnel – tombe également en communauté (voir par exemple : arrêt du 3 février 2010, pourvoi nº 09-65345 ; arrêt du 29 juin 2011, pourvoi nº 10-23373).

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 23 juin 2021
Nº de pourvoi : 19-23614

Présomption de propriété dans le contrat de mariage

En l’espèce, une femme était décédée en 2008, laissant pour lui succéder ses cinq enfants : une fille née d’un premier mariage et quatre autres enfants nés de son second mari, prédécédé en 1969 et avec qui elle avait été mariée en séparation de biens. Des difficultés étaient survenues dans le règlement de la succession : la fille aînée avait assigné en partage les quatre enfants nés du second mariage de sa mère afin que fût réintégré à la succession de la défunte le prix d’une collection d’étains constituée par le second mari et vendue en 1998.

La cour d’appel de Paris avait estimé en juin 2019 que ladite collection « relevait de la présomption simple de propriété instituée au profit de l’épouse » après avoir relevé que :

  • le contrat de mariage prévoyait que seraient réputés être la propriété exclusive de la future épouse « les meubles meublants, linge, argenterie et autres objets mobiliers quelconques, qui garniront l’habitation commune pendant le mariage comme à la date de sa dissolution » et qu’il n’y aurait d’exception que « pour ceux de ces objets sur lesquels le futur époux ou ses héritiers établiront leur droit de propriété par titres, factures de marchands ou tout autre moyen de preuve légal » ;
  • des articles de journaux ainsi que des photographies attestaient que les objets en litige avaient servi à décorer et garnir le logement commun de façon exceptionnelle ;
  • si les étains avaient été recherchés et choisis par le mari, il n’était justifié d’aucun acte d’achat ou facture y afférent et la déclaration de succession du mari ne faisait mention d’aucune collection, ni d’un inventaire de mobilier.

Les enfants du second mariage n’ayant pu rapporter la preuve contraire de l’appartenance de la collection en litige, ils avaient dû en restituer le prix de vente à la succession de leur mère. L’un deux avait alors formé un pourvoi en cassation, en faisant notamment valoir que la présomption simple de propriété ne peut s’appliquer aux collections d’œuvres d’art, « lesquelles ne sont ni des meubles meublants ni des meubles qui garnissent ou ornent un logement ».

La première chambre civile de la Cour de cassation a confirmé aujourd’hui l’arrêt d’appel :

« 7. […] C’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation et sans être tenue de s’expliquer sur les pièces qu’elle décidait d’écarter ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que la cour d’appel a estimé que les [enfants du second mariage] ne rapportaient pas la preuve contraire de l’appartenance de cette collection à leur auteur, de sorte qu’ils devaient en restituer le prix de vente à la succession. »

Rappelons ici que le code civil autorise des époux séparés de biens à stipuler dans leur contrat de mariage des présomptions de propriété ayant effet – sauf clause contraire – à l’égard de l’autre conjoint et des tiers. Une clause du contrat de mariage peut ainsi préciser que les éléments du stock d’un fonds de commerce sont la propriété présumée de l’époux exploitant ledit fonds ou que, comme en l’espèce, les meubles du domicile conjugal seront réputés appartenir au dernier vivant. De telles présomptions peuvent toutefois être renversées par les époux, leurs héritiers ou des tiers (créanciers, par exemple), « par tous les moyens propres à établir que les biens n’appartiennent pas à l’époux que la présomption désigne, ou même, s’ils lui appartiennent, qu’il les a acquis par une libéralité de l’autre époux » (article 1538, alinéa 2, du code civil). Cette preuve contraire relève cependant de l’appréciation souveraine des juges du fond. En l’espèce, les enfants du second mariage avait cru pouvoir prouver que la collection en litige était la propriété exclusive de leur père en produisant notamment des articles de presse décrivant leur père « comme la personne ayant acquis les étains pour les réunir dans une collection unique en Europe » et « le programme de la vente aux enchères, qui annonçait et détaillait la mise en vente de la “collection [désignée par le nom de leur père]” ». La cour d’appel de Paris a quant à elle considéré que la preuve de la propriété ne pouvait être rapportée qu’au moyen d’un acte d’achat, d’une facture y afférent ou de la mention de la collection dans la déclaration de succession.

Afin de prévenir ce genre de litige, un époux séparé de biens réalisant seul l’achat de collections d’objets ou de meubles aura donc intérêt à conserver les justificatifs de propriété y afférent et ses héritiers devront en faire mention lors de la succession.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 23 juin 2021
Nº de pourvoi : 19-21784

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