Conflit parental entre l’Angleterre et les États-Unis

Courts and Tribunal Judiciary

La Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles a fait aujourd’hui échec à une décision rendue en février dernier ordonnant le retour aux États-Unis de deux jeunes enfants enlevés en Angleterre par leur mère. Nonobstant les particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche, il nous paraît intéressant de signaler cette décision à l’attention de nos lecteurs.

Contexte

En l’espèce, un Américain était venu travailler en 2014 en Angleterre, où il avait rencontré une Anglaise l’année suivante. Marié en décembre 2015, le couple avait eu deux enfants, en 2017 et 2018 – la femme était déjà mère d’une petite fille née d’une précédente relation. Rappelé par son employeur, le père avait dû repartir travailler aux États-Unis en janvier 2018. Sa femme et les trois enfants n’avaient pu le rejoindre qu’en novembre 2019, notamment en raison de l’opposition du père de l’aînée (§§ 5-10).

Les tensions s’étaient accrues très peu de temps après la réunion de la famille, entre les parents ainsi qu’entre le père et sa belle-fille. La situation étant devenue intenable, la mère avait enlevé clandestinement les trois enfants en mai 2020 et était retournée avec eux en Angleterre (§ 12).

Espérant une réconciliation avec sa femme, le père était revenu en Angleterre et avait fini par demander en septembre 2020 le retour de ses enfants aux États-Unis conformément à la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. La mère s’y était bien sûr opposé, soutenant que s’appliquaient les exceptions prévues à l’article 13 de ladite Convention : les enfants ne résidaient pas habituellement aux États-Unis à la date de leur enlèvement, le père avait consenti à ce qu’ils restent en Angleterre et, alléguant des violences physiques et psychologiques du père envers elle et deux des enfants, il y avait un risque grave que le retour des deux enfants communs aux États-Unis les expose à un danger physique ou psychique ou les place dans une situation intolérable (§§ 13-18). Elle avait aussi clairement affirmé qu’elle n’accompagnerait pas les deux enfants communs si le tribunal ordonnait leur retour aux États-Unis, ne voulant pas déraciner une fois de plus sa fille aînée, laquelle avait été « through a traumatic time » là-bas (§ 30).

La juge Frances Judd avait cependant balayé les arguments de la mère et ordonné le retour des deux enfants communs aux États-Unis en février dernier (§§ 40-59). La mère avait alors sollicité l’autorisation d’interjeter appel de la décision [1], soutenant que la juge Frances Judd n’avait pas correctement apprécié les questions de l’acquiescement paternel et du risque grave encouru pas les enfants, et que la position de la fille aînée n’avait pas suffisamment été prise en compte dans la procédure. La conclusion de la juge Frances Judd sur la résidence habituelle des enfants aux États-Unis à la date du déplacement n’a par contre pas été contestée.

Appel

Le juge Andrew Moylan a d’abord fait état des règles de droit applicables à l’espèce (§§ 81-99), notamment l’article 13(b) de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants qui vise le risque pour l’enfant en cas de retour (§§ 85-86). Le juge Andrew Moylan a estimé que l’effet de la séparation d’un enfant de son « taking parent » peut constituer un risque grave et que ce moyen de défense ne peut être exclu simplement parce que la situation résulte de la conduite dudit parent ayant enlevé l’enfant (§§ 88-90).

Le juge Andrew Moylan a ensuite établi la façon dont doit être évaluée l’exception prévue à l’article 13(b) de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants compte tenu de la nature sommaire des procédures afférentes, au regard notamment de Re E (Children) (Abduction: Custody Appeal) [2011] UKSC 27 (§§ 91-99). Un juge doit être extrêmement prudent lorsqu’il procède à l’évaluation d’allégations écrites (§§ 92-95) :

« 95. [A] judge must be careful when undertaking this exercise because of the limitations created by it being invariably based only on an assessment of the written material. A judge should not, for example, discount allegations of physical or emotional abuse merely because he or she has doubts as to their validity or cogency. »

Si le juge conclut que les allégations établissent l’existence potentielle d’un risque grave, il doit se demander comment l’enfant peut être alors protégé. Si cette approche n’est pas adoptée, les allégations risquent d’être considérées moins sérieusement qu’elles ne le méritent si elles sont avérées, et le tribunal n’envisagera pas correctement les mesures de protection disponibles (§§ 97-98) : « The clearer the need for protection, the more effective the measures will have to be » (Re E (Children) (Abduction: Custody Appeal) [2011] UKSC 27, § 52).

Le juge Andrew Moylan a ensuite estimé que la juge Frances Judd avait correctement apprécié l’absence d’acquiescement paternel (§§ 100-104), mais qu’elle n’avait pas abordé de façon appropriée l’exception prévue à l’article 13(b) de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (§§ 105-123) :

« 109. I […] do not consider that the Judge decided that she could confidently discount the possibility that the allegations gave rise to an Article 13(b) risk […]. They were allegations of a nature and of sufficient detail and substance to warrant a careful analysis, applying the Re E approach.

[…]

« 112. Instead, […] the Judge wrongly discounted the mother’s allegations. I agree […] that the Judge’s reliance on the absence of any reference in her messages to friends of the father physically abusing anyone; and her reliance on there being no mention of smacking; and her assessment of the recording were inapposite in this case having regard to the summary nature of the process and to the other evidence on which the mother relied, including the complaints made to the Police and child protection services.

« 113. I also agree that, significantly in this case, the Judge wrongly discounted the mother’s allegations […] on the basis that they were “issues that arose in the US (which were) the result of the particular situation in which the family found themselves” and […] on the basis that “the allegations made against (the father were) in the context of considerable stress”.

[…]

« 115. The result is that the Judge nowhere analysed whether the allegations, if true, would potentially create a grave risk within the scope of Article 13(b) nor how any such risk might be addressed. The stark consequence of the Judge’s order would be that very young children would be placed in the care of a parent against whom serious allegations of abuse have been made. The Judge did not address this outcome nor how the children might be protected. »

Le juge Andrew Moylan a finalement estimé que, si les allégations de la mère étaient avérées, il y aurait un risque grave de préjudice physique ou psychologique pour les enfants en les confiant à leur seul père et qu’aucune mesure de protection ne pouvait y parer. La mère avait par ailleurs une raison valable de ne pas retourner aux États-Unis et la séparation des enfants d’avec leur mère – bien qu’il n’ait pas été établi qu’elle pouvait constituer un risque grave – était un facteur à prendre en compte. L’appel de la mère a donc été accueilli et l’ordonnance de retour annulée (§§ 116-124).

Références
England and Wales Court of Appeal (Civil Division)
Date : 23 juin 2021
Décision : A (Children) (Abduction: Article 13(b)) [2021] EWCA Civ 939
Note
  1. La législation du Royaume-Uni (cf. section VIII des Civil Procedure Rules 1998 et sections 54 à 58 de l’Access to Justice Act 1999) prévoit une autorisation préalable pour pouvoir interjeter appel d’une décision judiciaire.

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