Petite chronique de jurisprudence : conflits successoraux

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 16 décembre 2020, la Cour de cassation a rendu deux arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.

Conflit d’intérêts avec l’administrateur légal non-héritier

En l’espèce, une mère originaire de Côte d’Ivoire était arrivée en France à la fin des années 1990 avec une fille née en mai 1996. Elle avait épousé un homme avec lequel elle avait eu une deuxième fille, puis s’était séparée du père en 2009, avant d’en divorcer. Le père était décédé en juin 2014, laissant pour lui succéder sa fille mineure, représentée par sa mère, icelle n’ayant aucune vocation successorale puisque n’ayant plus la qualité de conjoint survivant, mais intervenant dans le règlement de la succession en qualité d’administrateur légal de sa fille cadette.

Ayant identifié un risque de conflit d’intérêts entre la fille et sa mère, bien connue des services sociaux, le département de la Gironde avait saisi le juge des tutelles des mineurs en juillet 2017 sur le fondement de l’article 383 du code civil afin qu’il désigne un administrateur ad hoc pour représenter la mineure dans les opérations de liquidation de la succession de son père. La mère s’y était opposée, arguant qu’il ne pouvait exister de conflit d’intérêts puisqu’elle n’était pas elle-même héritière. La cour d’appel de Bordeaux avait cependant désigné en octobre 2018 l’Association des œuvres girondines de protection de l’enfance en qualité d’administrateur ad hoc. La mère avait alors formé un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été confirmé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« 4. Aux termes de l’article 383, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance nº 2015-1288 du 15 octobre 2015, lorsque les intérêts de l’administrateur légal unique ou, selon le cas, des deux administrateurs légaux sont en opposition avec ceux du mineur, ces derniers demandent la nomination d’un administrateur ad hoc par le juge des tutelles ; à défaut de diligence des administrateurs légaux, le juge peut procéder à cette nomination à la demande du ministère public, du mineur lui-même ou d’office.

« 5. L’arrêt relève que, si [la mère] n’est pas en opposition d’intérêts avec sa fille dans le règlement de la succession elle-même en ce que, n’étant pas le conjoint survivant [du père], elle ne peut prétendre à aucun droit dans sa succession, celle-ci a toutefois manifesté, devant l’assistante sociale, son intention d’utiliser les fonds de la succession revenant à sa fille pour régler des dettes personnelles et faire l’acquisition d’un véhicule. Il énonce qu’elle a retardé le règlement de la succession en interjetant appel du jugement de divorce avec [le père] deux ans après son prononcé, alors que ce dernier était remarié, qu’elle n’a transmis l’acte de décès de celui-ci au juge des tutelles que trois ans après le décès, en dépit des réclamations du magistrat, et qu’elle n’a pas répondu à l’initiative de l’AOGPE du 15 décembre 2017 tendant à l’associer aux démarches relatives à la liquidation de la succession. Il ajoute que, selon le notaire, [la mère] est responsable d’une “obstruction qui a considérablement ralenti” le règlement de la succession.

« 6. Ayant ainsi fait ressortir que, par son comportement, la mère avait perturbé le règlement de la succession dans un intérêt contraire à celui de sa fille, la cour d’appel, qui en [a] souverainement déduit l’existence d’un conflit d’intérêts entre elles, a légalement justifié sa décision. »

La Cour de cassation confirme ici une jurisprudence bien établie selon laquelle l’opposition d’intérêts entre le ou les administrateurs et le mineur relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond (voir par exemple : arrêt du 5 janvier 1999, pourvoi nº 96-19759 ; arrêt du 25 mars 2009, pourvoi nº 08-11552).

On ignore les circonstances du décès du père mais, dans la mesure du possible, il est toujours souhaitable de préparer sa succession. Le père aurait pu éviter de telles difficultés à sa fille en donnant un mandat à effet posthume à un tiers de son choix (article 812 et suivants du code civil) – un tel mandat n’étant toutefois valable « que s’il est justifié par un intérêt sérieux et légitime au regard de la personne de l’héritier ou du patrimoine successoral, précisément motivé » (article 812-1-1, alinéa 1, du code civil). Il aurait pu également donner ou léguer des biens à sa fille mineure « sous la condition qu’ils soient administrés par un tiers » (article 384 du code civil) ; ces biens auraient alors échappé à l’administration légale de la mère.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 16 décembre 2020
Nº de pourvoi : 19-19370

Conflit parental autour d’une succession

En l’espèce, un homme était décédé en janvier 2011 des suites d’un accident de la circulation, en laissant pour lui succéder ses parents, ainsi que ses demi-frères et sœurs issus d’une union ultérieure de sa mère. Un jugement ayant condamné l’auteur de l’accident et son assureur à payer diverses sommes à la succession du défunt, un désaccord était né entre les parents sur le partage de ces sommes et la mère avait assigné le père aux fins de voir fixer à une certaine somme le montant d’une créance contre la succession au titre de l’assistance qu’elle avait apportée à son fils avant son décès.

La cour d’appel de Lyon avait déclaré ses demandes irrecevables en janvier 2016 aux motifs qu’il n’était pas justifié d’une tentative de partage amiable, que l’ouverture des opérations de liquidation-partage n’avait pas été ordonnée judiciairement et que les droits respectifs des héritiers n’avaient pas été déterminés. La mère avait alors formé un pourvoi en cassation, critiquant la cour d’appel de Lyon pour n’avoir pas au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ces moyens relevés d’office. La première chambre civile de la Cour de cassation lui avait donné raison en juillet 2017 : l’arrêt avait été cassé et annulé, la cause et les parties avaient été remises dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et renvoyées devant la cour d’appel de Grenoble.

Icelle avait également déclaré la demande irrecevable en janvier 2019, au motif que la mère faisait valoir une créance sur la succession alors qu’elle était elle-même héritière et qu’une contestation relative au règlement d’une succession suppose – à défaut d’accord amiable entre les héritiers – un partage judiciaire. La mère avait alors formé un nouveau pourvoi en cassation, soutenant que « la reconnaissance de l’existence d’une créance détenue par un héritier sur la succession n’est pas subordonnée à l’ouverture des opérations de liquidation-partage de cette succession ».

Ce deuxième arrêt a été également cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« Vu les articles 873 et 1220 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance nº 2016-131 du 10 février 2016 :

« 4. Selon ces textes, chaque héritier est personnellement tenu des dettes de la succession pour la part successorale dont il est saisi. Il en résulte qu’est recevable l’action engagée par un héritier à l’encontre d’un seul de ses cohéritiers aux fins de voir fixer sa créance à l’encontre de la succession, la décision rendue sur celle-ci étant inopposable aux autres indivisaires à défaut de mise en cause de ces derniers.

« 5. Pour déclarer irrecevable la demande formée par [la mère] à l’encontre [du père], l’arrêt retient que cette dernière fait valoir une créance sur la succession, alors qu’elle est elle-même héritière, pour en déduire que sa demande s’analyse en une contestation relative au règlement de la succession qui suppose, à défaut d’accord amiable entre les héritiers, qu’un partage judiciaire ait été ordonné à l’encontre de tous les cohéritiers, ce qui n’est pas encore le cas.

« 6. En statuant ainsi, alors que la demande d’un héritier tendant à voir fixer sa créance à l’égard de la succession, qui ne tend ni à la liquidation de l’indivision successorale ni à l’allotissement de cet héritier, ne constitue pas une opération de partage et n’est, dès lors, pas subordonnée à l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 16 décembre 2020
Nº de pourvoi : 19-16295

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