Contrôle inopiné de l’instruction en famille et droit au respect de la vie privée et familiale

Conseil d'État

La loi nº 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a modifié les dispositions relatives à l’instruction en famille, en prévoyant notamment à l’article L131-10 du code de l’éducation une procédure de contrôle. Les modalités d’application de cet article ont été fixées par le décret nº 2019-823 du 2 août 2019 relatif au contrôle de l’instruction dispensée dans la famille ou dans les établissements d’enseignement privés hors contrat et aux sanctions des manquements aux obligations relatives au contrôle de l’inscription ou de l’assiduité dans les établissements d’enseignement privés, lequel a notamment créé les articles R131-15 à R131-16-4 du code de l’éducation et instauré la possibilité pour les services académiques d’organiser des contrôles inopinés dans le cadre de l’instruction en famille.

L’association Les Enfants d’Abord avait formé en octobre 2019 un recours devant le Conseil d’État demandant l’annulation de ce décret pour excès de pouvoir, aux motifs que ces contrôles inopinés au sein des familles constituaient une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, entraînaient une rupture d’égalité devant la loi – certains délais étant différents selon les modalités du contrôle (annoncé ou inopiné) – et portaient atteinte à la liberté d’enseignement.

Le Conseil d’État a rejeté aujourd’hui la requête de l’association Les Enfants d’Abord et confirmé la possibilité de mettre en œuvre des contrôles inopinés dans le cadre des contrôles de l’instruction en famille, du fait notamment de l’objectif poursuivi et des garanties apportées aux familles par le pouvoir règlementaire :

« 6. En premier lieu, si l’association requérante soutient que les dispositions attaquées méconnaissent la liberté de l’enseignement en raison du caractère éventuellement inopiné du contrôle de l’instruction dans les familles, ce caractère ne remet pas en cause la possibilité pour les personnes responsables de l’enfant de procéder elles-mêmes à son instruction. Le moyen tiré de la méconnaissance de la liberté de l’enseignement ne peut, dès lors, en tout état de cause, qu’être écarté.

« 7. En deuxième lieu, l’association requérante soutient que l’instauration de contrôles inopinés porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Toutefois, ces contrôles, qui constituent une des modalités du contrôle annuel de l’instruction dans les familles, prévu au troisième alinéa de l’article L. 131-10 du code de l’éducation, ont pour objet légitime de s’assurer qu’il n’est pas porté atteinte au droit à l’instruction de l’enfant et que l’instruction dispensée au même domicile l’est pour les enfants d’une seule famille. Par ailleurs, des garanties suffisantes d’information préalable portant sur les modalités précises de ce type de contrôle sont apportées aux personnes responsables de l’enfant aux différentes étapes de la procédure. Dès lors, la possibilité d’effectuer un contrôle inopiné apparaît proportionnée aux motifs d’intérêt général poursuivis.

« 8. En dernier lieu, le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un comme dans l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la norme qui l’établit.

« 9. L’association requérante soutient que le dispositif institué par le décret attaqué créerait une rupture d’égalité, dans l’hypothèse d’un refus légitime opposé à un contrôle par les personnes responsables de l’enfant, selon que ces personnes opposent un refus dans le cadre d’un contrôle annoncé ou d’un contrôle inopiné, dès lors que l’administration ne peut organiser, dans la première hypothèse, un nouveau contrôle que dans un délai qui ne peut être inférieur à une semaine, alors que, pour les contrôles inopinés, elle peut organiser sans délai un nouveau contrôle. Toutefois, si les personnes responsables de l’enfant, préalablement informées du contrôle et opposant un motif légitime de refus, disposent d’un délai minimum d’une semaine, après acceptation du motif de refus par l’administration, avant qu’un nouveau contrôle soit organisé, celles qui sont soumises à un contrôle inopiné disposent d’un délai de quinze jours, après réception de la demande de justification du refus que leur adresse l’administration, pour justifier ce refus, un nouveau contrôle inopiné pouvant être organisé dès qu’elles ont été informées de l’acceptation de leur motif de refus. Dès lors, il apparaît que la différence de traitement est en rapport avec les caractéristiques différentes des procédures en cause et n’est pas manifestement disproportionnée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité ne peut qu’être écarté. »

Les plus attentifs de nos lecteurs se souviennent probablement que l’association Les Enfants d’Abord avait déjà vainement formé en décembre 2016 un recours contre le décret nº 2016-1452 du 28 octobre 2016 relatif au contrôle de l’instruction dans la famille ou des établissements d’enseignement privés hors contrat – voir notre chronique du 19 juillet 2017.

Références
Conseil d’État
3e–8e chambres réunies
Lecture du 2 avril 2021
Décision nº 435002

Pro memoria :

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