Proposition de loi relative à la médiation familiale et au principe de résidence alternée des enfants de parents séparés

Proposition de loi nº 628

Deux initiatives prises par la sénatrice Hélène Conway-Mouret au printemps dernier avaient déjà suscité notre intérêt : une question écrite sur l’élargissement du droit de visite et d’hébergement pendant la période de confinement liée à l’épidémie de Covid-19, ainsi qu’un communiqué publié peu après sur le même sujet. Quoique la question écrite ait été adressée à Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, et non à Nicole Belloubet, ministre de la Justice et donc seule interlocutrice légitime en la matière, l’intention n’en était pas moins louable.

Hélène Conway-Mouret (© D.R.)

Hélène Conway-Mouret (© D.R.)

Hélène Conway-Mouret a déposé aujourd’hui une proposition de loi (nº 628) relative à la médiation familiale et au principe de résidence alternée des enfants de parents séparés, également empreinte d’intentions tant généreuses que louables, et nous ne pouvons qu’être reconnaissants à son auteur de l’intérêt ainsi manifesté à une cause qui nous est chère. Il nous semble cependant que cette nouvelle initiative n’aura guère de portée pratique. Outre que la sénatrice est la seule signataire de sa proposition, et qu’elle n’a donc pu obtenir aucun soutien, y compris de son propre groupe parlementaire, le dispositif n’est pas très convaincant.

Le recours aux modes alternatifs de règlement des différends, dont la médiation familiale, est extrêmement séduisant et ne peut que recueillir notre approbation de principe [1]. Cette pratique d’origine anglo-saxonne peine cependant à s’introduire dans le contexte culturel et judiciaire français, et son efficacité paraît assez limitée [2]. L’expérimentation d’une tentative de médiation familiale préalable obligatoire instaurée par l’article 7 de la loi nº 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est actuellement en cours d’évaluation et, d’après nos informations, le constat qui sera dressé risque fort d’être accablant. En tout état de cause, nous ne voyons pas en quoi rendre obligatoire un simple entretien d’information préalable sur la médiation familiale avant toute saisine du juge aux affaires familiales pourrait apporter une plus-value.

Par ailleurs, la nouvelle rédaction proposée de l’article 373-2-9 du code civil nous paraît poser davantage de problèmes qu’elle ne prétend en résoudre. Ainsi est-il question de violences « alléguées », et non prouvées – une allégation est une simple assertion. Il suffirait donc à l’un des parents (la mère, par hypothèse) d’alléguer des violences pour mettre en échec la demande de résidence alternée de l’autre. Dans le même ordre d’idée, nous ne voyons pas comment et par qui pourrait être constatée l’« emprise manifeste » exercée par l’un des parents sur l’autre. La notion de « résidence en alternance de manière égalitaire » se heurte à la jurisprudence, qui a entériné depuis longtemps que la résidence en alternance n’implique pas nécessairement un temps de présence égal de l’enfant chez ses deux parents [3]. La motivation spéciale exigée du juge aux affaires familiales s’il refuse la résidence en alternance ne saurait être qu’un vœu pieux : à défaut d’être de grands écrivains, les magistrats ont l’imagination fertile, notamment lorsqu’on les renvoie à l’intérêt (supérieur) d’enfants dont ils ne savent rien, ne les ayant jamais rencontrés. Enfin, le texte laisse subsister la notion discriminatoire de « droit de visite et d’hébergement », qui n’est rien d’autre qu’une déchéance parentale : le parent « bénéficiaire » se trouve ainsi réduit au rang de « visiteur-hébergeur », recevant la visite de ses propres enfants et les hébergeant, mais sans qu’il y ait de vie commune, laquelle suppose une communauté de résidence.

La troisième et dernière partie de la proposition de loi nous paraît également déficiente. Si son objet, tout à fait louable, est de garantir la stabilité de l’enfant et prévenir son déplacement durable, la nouvelle rédaction proposée de l’article 373-2 du code civil n’est guère dissuasive. Sauf circonstances exceptionnelles, la charge des déplacements et les frais afférents devraient peser sur le seul parent ayant changé de résidence, surtout s’il s’agit aussi de la résidence de l’enfant. Par ailleurs, le traitement des entraves à l’exercice de l’autorité parentale (dont la plus courante est la non représentation d’enfant, ignorée par la proposition de loi) sera toujours inopérant tant que les sanctions resteront dans l’ordre pénal (articles 227-5 à 227-11 du code pénal), donc hors du champ d’action du juge aux affaires familiales : en effet, un tribunal correctionnel ne peut décemment condamner une mère (par hypothèse) à une peine de prison ferme, puisqu’il ne saurait que faire des enfants, ni la condamner à une amende au risque d’attenter au bien-être des enfants. Enfin, il semble qu’une coquille typographique soit passée inaperçue aux yeux des rédacteurs car nous ne comprenons pas en quoi l’entrave à l’exercice de l’autorité parentale « par des agissements répétés ou des manipulations diverses ayant pour objet la dégradation voire la rupture du lien familial » relèverait de l’article 227-2 du code pénal, lequel vise le délaissement de mineur.

Notes
  1. Rappelons ici que l’introduction en France de cette pratique née aux États-Unis dans les années 1970 a été largement due à des défenseurs de la cause paternelle, notamment Stéphane Ditchev († 2018).
  2. Cf. Moreau (Caroline), Munoz-Perez (Brigitte), Serverin (Evelyne), La médiation judiciaire civile en chiffres. Situation au 31 octobre 2001, Paris, Ministère de la justice (Direction des affaires civiles et du sceau), décembre 2002 ; Moreau (Caroline), Munoz-Perez (Brigitte), Serverin (Evelyne), « La médiation familiale et les lieux d’exercice du droit de visite dans le secteur associatif en 2003 », Infostat Justice, nº 84, 1er août 2005 ; Collectif, Rapport sur le développement des modes amiables de règlement des différends, Paris, Ministère de la Justice (Inspection générale des services judiciaires), avril 2015.
  3. Cf. Cour de cassation, Chambre civile 1, 25 avril 2007, pourvoi nº 06-16886.

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