Communication faite à l’assemblée générale de P@ternet tenue ce jour à Paris.
Soyons lucides : l’année 2019 aura été une nouvelle année sombre pour la paternité, sans même la moindre raison d’être peu ou prou optimiste quant à son avenir – au moins dans notre pays. Ce triste constat peut être illustré par trois faits majeurs.
Pas d’avancée pour le congé paternité
Visant entre autres à inciter les hommes à prendre un congé parental ou de paternité et à assumer davantage leurs responsabilités familiales, la directive européenne (UE) 2019/1158 du 20 juin 2019 concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants a été pratiquement émasculée – notamment sous la pression du gouvernement français – et ne changera rien pour les pères de notre pays [1].
Sur le plan intérieur, le même gouvernement français n’a pas non plus manifesté le moindre empressement pour envisager de modifier la durée légale du congé paternité et toute réforme éventuelle en ce domaine a été reportée sine die. Il avait pourtant été demandé à l’Inspection générale des affaires sociales de réaliser une évaluation du congé paternité, laquelle a donné son titre à un rapport remis au Premier ministre Édouard Philippe le 15 juin 2018 et qui recommandait d’allonger le congé paternité à quatre semaines [2].
À la décharge du gouvernement, force est de reconnaître que l’allongement du congé paternité n’est manifestement pas considéré comme une priorité par l’opinion publique, et notamment par les pères eux-mêmes. Pis, l’action de la poignée de pères engagés pour faire avancer ce dossier n’a guère été relayée que par des associations et médias féminins et féministes – tel le collectif PA.F (collectif pour une parentalité féministe). Comme il fallait s’y attendre, le microcosme des associations prétendant défendre « les droits des pères » a été totalement silencieux sur ce sujet, alors que les initiatives pouvant favoriser l’implication précoce des pères dans la vie de leurs enfants devraient être encouragées.
Norvège | 10 à 39 semaines |
Suède | 60 à 480 jours |
Finlande | 54 jours |
Danemark | 2 à 34 semaines |
Espagne | 8 semaines (16 en 2021, soit autant que les mères) |
Bulgarie | 15 jours |
France | 11 jours |
Slovénie | 10 jours |
Grèce et Italie | 2 jours |
La réforme des régimes de retraite
Un autre sujet d’importance aurait également mérité que les prétendus défenseurs des « droits des pères » s’expriment : la réforme des régimes de retraite projetée par le gouvernement. On a beaucoup entendu et lu que les femmes en général, et les mères en particulier, seraient pénalisées par cette réforme. Nous n’en doutons pas, mais est-ce à dire que les hommes en général, et les pères en particulier, seraient quant à eux favorisés ? Sans entrer dans le détail d’un dossier qui excède nos compétences, il ne semble pas que ce soit le cas : la réforme envisagée pénalisera vraisemblablement la majeure partie de la population laborieuse sans distinction de sexe, pour le plus grand profit des magnats de la finance internationale.
Cette réforme pourrait toutefois mettre un terme au scandale que constitue le versement d’une pension de réversion à un ex-conjoint (ex-épouse, la plupart du temps). Rappelons que la pension de réversion est une part (un peu plus de la moitié) de la pension de retraite d’un assuré décédé reversée au conjoint survivant. Or, en cas de divorce, le régime actuel donne également au conjoint divorcé survivant le droit à cette pension de réversion. Pire encore, si le défunt était remarié, la pension de réversion est partagée entre son conjoint survivant et son précédent conjoint, au prorata de la durée de chaque mariage. Autrement dit, la communauté conjugale perdure au-delà du prononcé du divorce, et même du décès d’un des conjoints, contrairement à ce que stipule l’article 227 du code civil :
Le mariage se dissout :
1° Par la mort de l’un des époux ;
2° Par le divorce légalement prononcé.
Or, le rapport rendu l’été dernier par le haut-commissaire à la Réforme des retraites Jean-Paul Delevoye préconise de mettre un terme à ce droit à réversion pour l’ex-conjoint(e) :
« Les droits des ex-conjoints à une pension de réversion seront fermés pour les divorces qui interviendront après l’entrée en vigueur du système universel. Il appartiendra en effet aux juges des affaires familiales d’intégrer la question des droits à retraite dans les divorces, en particulier dans le cadre des prestations compensatoires qui pourront être majorées. Pour les divorces intervenus avant l’entrée en vigueur du nouveau système, la pension de réversion sera proratisée en fonction de la durée de chaque mariage, si les conjoints divorcés ne sont pas remariés au moment du décès de leur ancien époux. »
Il y avait bien là du grain à moudre pour les défenseurs des pères divorcés mais toujours enchaînés à leur ex-moitié. Le grain n’a pas été moulu, mais le lobby féministe n’en fait pas moins sa farine…
La filiation matrilinéaire
Last but not least, les prétendus défenseurs des « droits des pères » ont brillé par leur absence dans les débats animés qui se sont déroulés, et se déroulent encore, autour d’un autre projet de loi : la révision des lois de bioéthique, comportant notamment l’accès des couples de femmes et des femmes seules à la procréation médicalement assistée, avec pour corollaire l’établissement d’une filiation exclusivement maternelle. Autant dire que le législateur s’apprête à consacrer dans le code civil l’inutilité fondamentale du père.
Des esprits naïfs auraient pu s’attendre à ce que les thuriféraires de la résidence par alternance montent au créneau en rappelant haut et fort que l’enfant a droit à ses deux parents – entendus comme une mère et un père.
Il n’en a bien sûr rien été. Or, la revendication en faveur de la résidence par alternance est essentiellement étayée par le besoin (exprimé en droit) de l’enfant d’être élevé par deux parents de sexe différent [3]. Il est évident que l’argument sera de bien moindre portée – si tant est qu’il puisse encor en avoir – lorsque le code civil aura établi que la mère est seule indispensable.
Sans doute la personnalité de l’actuel président de l’association de « défense des pères » la plus connue en France n’est-elle pas indifférente au regard de cette inaction, et on peut penser que le fondateur de cette association, qui s’était intéressé très tôt aux questions bioéthiques, aurait eu une attitude beaucoup plus combative [4].
Quoi qu’il en soit, le terrain resté libre a été occupé par d’autres associations dont la légitimité à agir en la matière suscite quand même quelques interrogations. On peine en effet à comprendre l’intervention – au demeurant assez spectaculaire – d’une structure créée pour lutter contre l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, et ayant de surcroît perdu son combat. Quoique louable, cet intérêt soudain pour la défense de la paternité nous laisse perplexe : nous nous souvenons en effet fort bien des prises de position résolument hostiles de ladite structure aux timides avancées insérées dans la proposition de loi nº 1856 relative à l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 27 juin 2014. Je vous livre ici une petite anecdote : Alain Hugon et moi avions rencontré Ludovine de La Rochère le 9 avril 2018, et j’avais alors remis sous les yeux de la présidente de La Manif pour Tous quelques articles de presse parus à l’époque, qui l’avaient fort embarrassée. Par exemple, interviewée par Eugénie Bastié pour Le Figaro, Ludovine de La Rochère proclamait :
« Cette proposition de loi n’a qu’un seul objectif : faciliter la vie des adultes et non celle de l’enfant.
« À la rigueur, le seul point acceptable serait celui sur la médiation familiale, tout le reste est au mieux inutile, au pire dangereux. »
La même avait également cosigné un peu plus tôt une tribune publiée dans le même média par un collectif d’associations « pour la famille », intitulée « Résidence alternée : donnons la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant ». Outre Ludovine de La Rochère, figuraient notamment parmi les cosignataires Tugdual Derville (délégué général d’Alliance Vita), Franck Meyer (porte-parole des Maires pour l’enfance) et Aude Mirkovic (porte-parole des Juristes pour l’enfance), tous trois chevilles ouvrières du collectif « Marchons enfants ! » à l’initiative de la manifestation du 6 octobre dernier [5].
Participant avec Alain Hugon à la conférence de presse organisée le 24 juillet dernier pour lancer le collectif « Marchons enfants ! », j’avais d’ailleurs interpelé ses membres sur l’absence pour le moins étonnante de tout contact avec des associations de pères sur un sujet qui les concernait quand même au premier chef. Franck Meyer m’avait répondu qu’ils avaient manqué de temps pour ce faire mais qu’ils étaient disposés à accueillir toutes les bonnes volontés. La nôtre a dû être estimée mauvaise puisqu’aucune suite n’a été donnée à notre demande d’intégrer le collectif. Nous saurons nous en souvenir.
Notes
- Voir le communiqué du 13 juin 2019.
- Gosselin (Hervé), Lépine (Carole), Évaluation du congé de paternité, Paris, Inspection générale des affaires sociales, 15 juin 2018.
- On notera que le droit des pères à pouvoir élever leurs enfants est un point beaucoup plus rarement mis en avant.
- Voir par exemple : Thizon (Michel), « Un enfant sur catalogue (roman) 1er épisode », SOS PAPA Magazine, nº 5, janvier 1992, p. 8 ; « Un enfant sur catalogue (roman) 2ème épisode », SOS PAPA Magazine, nº 6, avril 1992, p. 12 ; « Un enfant sur catalogue (roman) 3ème épisode », SOS PAPA Magazine, nº 7, juillet 1992, p. 12 ; « Mémoire d’un fœtus », SOS PAPA Magazine, nº 13, janvier 1994, p. 4 ; « Un enfant sur catalogue », SOS PAPA Magazine, nº 18, juin 1995, pp. 4-5. Voir aussi : Kroll (Pascale), « Y a-t-il un avenir pour la paternité ? », SOS PAPA Magazine, nº 27, septembre 1997, p. 6 ; « Les conflits de filiation », op. cit., p. 7.
- Voir aussi : Abécassis (Éliette), Brunetti-Pons (Clotilde), Herzog-Evans (Martine), Lévy-Soussan (Pierre), « Loi famille : pourquoi la résidence alternée nuit à l’intérêt de l’enfant », Le Figaro Vox, 19 mai 2014 (Clotilde Brunetti-Pons est très proche de La Manif pour Tous et des Juristes pour l’enfance).