Le débat confisqué, de Christian Flavigny – Note critique de lecture

Le débat confisqué

Christian Flavigny défend dans ce livre la filiation comme reposant sur la complémentarité des sexes, et, face à la procréation médicalement assistée sans père, affirme la nécessité du père. Pourtant, pour Christian Flavigny, suivant la théorie psychanalytique sur laquelle il base sa pensée, le père est essentiellement un rôle. Il semble difficile dans un même mouvement de défendre la paternité tout en reléguant le père à n’être qu’un rôle ; car qui dit rôle dit acteur, figurant plus ou moins substituable, plus ou moins fragile par essence. C’est pourtant ce que Christian Flavigny tente de faire.

Sur ces bases, contre lesquelles pour ma part je m’inscris en faux, tout l’enjeu est alors dans le plus ou le moins de substituabilité, d’interchangeabilité, dans l’incarnation de ce rôle du père.

Pour la procréation médicalement assistée sans père, il suffit qu’une sorte de rôle du père soit assuré quelque part autour de l’enfant. Et dès lors, ne s’agissant que d’un rôle, sur le contenu et l’importance duquel d’ailleurs les avis divergent, pourquoi une femme, actrice auprès de l’enfant, ne pourrait-elle pas le jouer ? Une interchangeabilité totale, ou quasi-totale : n’importe qui peut remplacer le père, quasiment n’importe quand, sans véritable enjeu de durée, de stabilité ou de cohérence.

Christian Flavigny s’insurge de cette dérive de la notion psychanalytique de rôle du père. Il affirme pour sa part que si ce dont l’enfant a besoin est bien d’un rôle du père, ce rôle ne peut être tenu que par un homme ; et cet homme, solidement et durablement investi physiquement et symboliquement auprès de l’enfant, doit nécessairement s’inscrire dans une substitution « crédible » de la complémentarité des sexes nécessaire à l’engendrement – ce qui, par exemple, est le cas dans l’adoption plénière par un couple en âge de procréer : l’homme et la femme institués père et mère pourraient de manière crédible être père et mère engendrant. Pour Christian Flavigny, il y a bien une forme d’interchangeabilité, mais très encadrée, limitée à la substitution du père biologique (décédé, définitivement absent, ou bien dénié par construction comme dans le cas de la fécondation dite avec donneur) par un père social crédible (un homme qui aurait pu, de manière crédible compte tenu de sa situation et de son âge, engendrer). Une fois ce père social institué, celui-ci n’est plus interchangeable, et Christian Flavigny s’élève à juste titre contre les tentatives, dans les séparations parentales, de remplacement du père par le nouveau compagnon de la mère [1].

Mais pour Christian Flavigny, l’homme que l’on institue père doit être radicalement, absolument, dissocié du père biologique (qui, pour Christian Flavigny, ne mérite d’ailleurs pas même le nom de père, tout juste celui de géniteur). Le père biologique doit être radicalement supprimé, effacé, nié.

D’où un positionnement qui, selon moi, est contradictoire.

D’une part, Christian Flavigny rappelle inlassablement l’importance de l’ancrage dans une double lignée maternelle et paternelle ; en cela, il s’inscrit dans une pensée que l’on pourrait appeler « conservatrice », par opposition au sens que le terme « progressiste » a spécifiquement pris aujourd’hui sur ces questions.

D’autre part, Christian Flavigny insiste constamment sur une vision extrême, radicale, du primat du social sur le biologique ; en cela, il s’inscrit dans une pensée « progressiste » – toujours selon la même acception contemporaine spécifique et étriquée.

Christian Flavigny s’élève haut et fort – et de manière très pertinente dans certains passages – contre l’aveuglement idéologique et destructeur de ceux qui voient un « progrès » dans la fabrication d’enfants sans père. Mais dans le même temps il vénère ce qui en constitue la base pragmatique : l’idée selon laquelle le biologique n’est absolument rien, toute trace de filiation basée sur le biologique devant être soigneusement éliminée.

Car il y a selon moi un continuum de l’éviction radicale du biologique à l’éviction radicale du père [2]. Comme dans tout débat nature/culture, les positions enkystées à 0 % ou à 100 %, radicalement d’un bord ou d’un autre, sont absurdes – c’est ce qu’on nomme : positions idéologiques. La position défendue par Christian Flavigny n’échappe pas à cette critique.

De longs passages du livre sont consacrés à défendre l’adoption plénière, qui efface toute trace biologique – alors que l’adoption simple permet une double filiation en équilibre entre parenté sociale et parenté biologique.

De longs passages du livre sont consacrés à défendre l’anonymat du don de gamètes, Christian Flavigny pourfendant ceux qui demandent sa levée. En particulier, il s’en prend violemment à Arthur Kermalvezen, né de fécondation in vitro avec donneur, qui a récemment réussi à retrouver son « donneur » par l’intermédiaire d’un test ADN, initier une rencontre, puis nouer une relation avec lui [3].

Après de telles charges contre ceux qui luttent contre l’absence institutionnalisée d’une partie de leurs racines, comment s’élever efficacement contre la procréation médicalement assistée sans père alors que, pour une part, elle n’en est que le prolongement ? La fécondation in vitro avec donneur anonyme fabrique des enfants sciemment coupés de leur ascendance masculine (et, plus rarement, féminine). Cette voie ouverte, la procréation médicalement assistée sans père en est une continuation logique, même si indirecte. Il m’apparaît contradictoire de s’opposer à la seconde sans reconsidérer, repenser, la première – ainsi que, pour la même raison, l’adoption plénière.

Cette note critique est focalisée sur mes divergences d’avec les thèses du livre. Il m’est important de terminer en précisant que, cependant, Le combat confisqué est un livre intéressant, écrit par un psychanalyste qui a réfléchi à la question des relations hommes-femmes et de la filiation – même si, vous l’aurez compris, je ne suis pas toujours d’accord avec lui.

Notes
  1. À propos des nouveaux compagnons (p. 69) : « Ils/elles sont troisièmes dans la relation, non pas tiers. Il peuvent jouer un rôle externe dans la vie de l’enfant, pas dans sa vie psychique au titre de personnes figurant pour lui son scénario de l’originaire. »
  2. S’agissant d’une note de lecture du livre de Christian Flavigny, je ne développerai pas plus avant cette idée ici.
  3. Christian Flavigny va jusqu’à écrire à propos d’Arthur Kermalvezen (p. 130) : « Sa démarche illustre la recherche d’un lien filiatif de compensation, cela traduisant un malaise dans sa filiation, en soi compréhensible mais pouvant être aidé et soulagé. » Difficile d’être plus méprisant ! Traduisons : M. Kermalvezen (et bien d’autres nés par fécondation in vitro avec donneur) cherche désespérément à retrouver son ascendance biologique masculine dont il a été privé par fabrication ; cela n’est que malaise dans sa ψυχή (et c’est un psychanalyste qui le dit !) ; surtout, ne questionnons pas la fabrication d’enfants sans ascendance biologique ; mettons plutôt M. Kermalvezen sur un divan : nous arriverons bien à lui faire oublier ce vide abyssal avec lequel nous l’avons créé…
Références
Auteur : Flavigny (Christian)
Titre : Le débat confisqué. PMA, GPA, bioéthique, « genre », #metoo…
Édition : Paris, Salvator
Description : 183 pages
EAN : 9782706718083
Parution : juin 2019
Prix : 17,90 €

Le débat confisqué

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