Quatre députés membres des Républicains ont présenté deux séries identiques de trois amendements à la proposition de loi nº 307, relative au principe de garde alternée des enfants, en vue de leur examen par la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République le mercredi 22 novembre prochain : Xavier Breton, Patrick Hetzel et Frédéric Reiss hier (voir notre article du 16 novembre 2017), Thibault Bazin aujourd’hui (voir notre article de ce jour).
Le texte de ces amendements démontre amplement que leurs auteurs sont les suppôts de la cause féministe, ce qui leur vaut déjà de figurer sur notre liste noire. Qui plus est, et ceci expliquant cela, nous les prenons en flagrant délit de mensonge : « Cette mesure introduit une résidence alternée de principe après séparation mais sans tenir compte des besoins de l’enfant » (exposé des amendements CL3 et CL7).
L’assertion est manifestement fausse, soit que ces quatre députés n’aient pas lu l’exposé des motifs de la proposition de loi nº 307, soit que, l’ayant lu, ils ne l’aient pas compris, soit que, l’ayant lu et compris, ils aient eu à dessein de le travestir (hypothèse la plus vraisemblable). Ledit exposé affirme en effet que la proposition de loi vise simplement à instaurer « le principe général de résidence des enfants chez chacun de leurs parents », de sorte que soit établi un « équilibre des domiciles parentaux », mais sans impliquer une « stricte égalité de temps ». Très concrètement, il s’agit tout uniment d’une double domiciliation administrative, qui ne modifiera en rien la situation actuelle de la majorité des pères divorcés ou séparés dont les liens avec leurs enfants se réduisent à quatre jours par mois (un weekend sur deux). Cette double domiciliation ne sera même pas créatrice de droits « économiques » (détermination du quotient familial ou service des prestations familiales, par exemple), puisque ceux-ci, en l’état actuel du droit, sont liés à la notion très précise de « résidence par alternance », telle que définie par l’actuel article 373-2-9 du code civil, et que cette proposition de loi supprime (voir notre article du 17 octobre 2017) ! Nous sommes donc à mille lieues d’« une résidence alternée de principe après séparation », qui suppose, sinon une « stricte », à tout le moins une certaine « égalité de temps » passé par l’enfant auprès de ses deux parents.
Par ailleurs, le même exposé des motifs constate que :
« de nombreux enfants (1,5 million selon l’INSEE) sont confrontés à la question du lieu de leur résidence, qui – en l’état actuel du droit – consiste à se résigner à devoir choisir en faveur de l’un des parents, et par conséquent au détriment de l’autre, principalement le père. »
Or, s’il est bien un besoin fondamental de l’enfant, c’est celui de pouvoir bénéficier des deux parents qui l’ont projeté dans la grande aventure humaine, afin de pouvoir devenir à son tour, dans les meilleures conditions, un adulte autonome, libre et responsable. Ce besoin est même tellement fondamental que la Convention internationale des droits de l’enfant l’a érigé en droit dans son article 7 : « L’enfant [a], dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux. » La proposition de loi nº 307 tient donc bien compte des besoins de l’enfant, même si c’est d’une façon fort insuffisante de notre point de vue.
Mais les quatre faussaires ne s’arrêtent pas là et avancent qu’« un rapport de la Direction des affaires civiles et du sceau (DACS) souligne les dangers d’une résidence alternée, spécialement pour l’enfant en bas âge ». Un minimum de rigueur dans la citation des sources serait bienvenue. Heureusement, la Direction des affaires civiles et du sceau n’a publié ces dernières années que deux rapports sur le sujet qui nous occupe ici, et il est manifeste qu’aucun n’a été lu par les faussaires. Le premier (Guillonneau Maud, Moreau Caroline, La résidence des enfants de parents séparés. De la demande des parents à la décision du juge. Exploitation des décisions définitives rendues par les juges aux affaires familiales au cours de la période comprise entre le 4 juin et le 15 juin 2012, Paris, Ministère de la Justice, novembre 2013), indépendamment des manipulations statistiques perpétrées par ses deux auteurs, n’évoque nulle part « les dangers d’une résidence alternée », quel que soit l’âge de l’enfant. Le second (Collectif, Comment assurer le respect de la coparentalité entre parents séparés, Rapport sur les réflexions du Groupe de travail sur la coparentalité, Paris, Ministère de la Justice – Ministère des Affaires sociales et de la Santé, 7 janvier 2014) mentionne bien ces prétendus « dangers », mais uniquement dans la recension des avis formulés par les différents membres du groupe de travail sur la coparentalité. Ainsi, « pour SOS les MAMANS, la résidence alternée pour les tout-petits constituerait une forme de “maltraitance” » (p. 21). Il ne s’agit là aucunement de la position finale du groupe de travail, dont le rapport constate qu’« il n’est pas parvenu à dégager une position commune » (ibid.), mais de l’expression d’une poignée d’hystériques – dont la représentativité est inversement proportionnelle au très large subventionnement public qu’elles reçoivent.
Un second argument d’autorité prétend conforter la thèse des coquins :
« Les psychologues, pédopsychiatres et spécialistes de l’enfance s’accordent pour montrer que la résidence alternée n’est pas souhaitable pour l’enfant qui a besoin de stabilité pour se développer comme tout être humain. »
La tournure générique de la phrase est à souligner, puisqu’elle laisse entendre que tous « les psychologues, pédopsychiatres et spécialistes de l’enfance » de la terre entière « s’accordent pour montrer que la résidence alternée », en soi, de façon générale, est dommageable pour tout enfant, quel que soit son âge. Nous laissons à d’autres le soin de vérifier si le « besoin de stabilité » ici invoqué l’est aussi à l’encontre des chantres libéraux de la mobilité géographique des travailleurs… En tout état de cause, le présent argument renvoie à la pétition « Danger législatif : la résidence alternée imposée à tout âge », lancée au début de l’année 2014 par un groupuscule de psychastrologues et médiatisée de façon à faire croire que tous ses signataires étaient des « spécialistes de l’enfance ». Comme chacun pourra le constater, n’importe qui peut signer, autant de fois qu’il le veut, cette pétition (toujours active), et, de fait, n’importe qui l’a signée, sans doute plusieurs fois pour certain(e)s. Les plus courageux de nos lecteurs pourront également entreprendre de comptabiliser le nombre effectif de « spécialistes de l’enfance » parmi les signataires… La supercherie a été suffisamment démontée en son temps par notre camarade Pierre Laroche (« Pétition des 5500 charlatans, loi famille et psychanalyse ! », Mediapart, 25 mai 2014) pour qu’il ne soit pas utile d’insister davantage ici. Nous rappellerons par contre que de vrais « spécialistes de l’enfance », issus du monde universitaire anglo-saxon, aux compétences et titres reconnus, ont publiquement soutenu à la même époque une thèse radicalement inverse [cf. Warshak (Richard Ades), « Social science and parenting plans for young children: A consensus report », Psychology, Public Policy, and Law, Vol. 20, nº 1, février 2014, pp. 46-67].
Le thème de la « stabilité » est rejoué dans l’exposé des amendements CL5 et CL9 :
« Le principe de résidence alternée des enfants peut être extrêmement déstabilisant pour des enfants, tout particulièrement les plus jeunes. La continuité des personnes et des lieux est un besoin fondamental pour les jeunes enfants. Plusieurs études démontrent les risques liés à la résidence alternée jusqu’à l’âge de cinq ans inclus et la nocivité de la discontinuité. Des professionnels de santé soulèvent des problèmes de santé psychique. »
Et, plus sobrement, dans l’exposé de l’amendement CL7 :
« Sans remettre en cause le besoin fondamental d’un enfant de voir son père et sa mère, il convient de reconnaître que ce mode de vie peut être déstabilisant pour un enfant et particulièrement pour un jeune enfant. »
Outre que les (très) jeunes enfants semblent bien s’accommoder de la discontinuité des lieux et des personnes lorsqu’ils sont gardés dans des établissements d’accueil ou par des assistantes « maternelles », il est pour le moins surprenant que les auteurs de ces amendements ne distinguent pas les causes des effets, prenant même les uns pour les autres. En effet, ce n’est pas « le principe de résidence alternée [qui] peut être extrêmement déstabilisant pour des enfants », mais la séparation parentale – dont les innombrables méfaits ont été amplement démontrés depuis des décennies par des chercheurs du monde entier. Nous ne considérons pas la résidence alternée comme une panacée et sommes bien conscients qu’elle génère de nombreuses contraintes, tant pour les enfants que pour les parents. Elle ne peut qu’être un moindre mal, permettant justement de satisfaire « le besoin fondamental d’un enfant de voir son père et sa mère » ou, mieux, de respecter « le droit [de l’enfant] de connaître ses parents et d’être élevé par eux » (article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant).
Plus surprenant encore de la part de quatre membres des Républicains est l’appel à des « autorités » de l’ex-majorité socialiste, dont sont cités des propos tenus lors des débats du 24 janvier 2014 autour de l’amendement nº 130 au projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes :
« M. Denaja avait émis des doutes sur la mise en place d’un tel dispositif. Lors des débats en séance publique, il avait déclaré : “[…] Très vite, je suis arrivé à la conclusion que ce n’était peut-être pas dans la loi relative à l’égalité entre les femmes et les hommes que ce sujet devait être débattu.
« Il est évident que, dès lors que l’on parle de résidence alternée, on touche au rapport entre le père et la mère, et donc entre les hommes et les femmes. Mais la conclusion à laquelle nous sommes rapidement arrivés en assistant à l’ensemble de ces auditions, c’est qu’avant la question du rapport entre les femmes et les hommes, et même au-dessus de cette question, il y a celle de l’intérêt de l’enfant, et même de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit être le seul guide dans ce type de situation.”
« Mme Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre en charge de ce projet de loi avait, quant à elle, estimé “qu’il ne peut pas y avoir d’automatisme en matière de résidence alternée. Il faut que le juge puisse juger en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et il est très difficile d’imposer une règle générale sur ces questions, sans prendre en compte la situation particulière des familles concernées.” »
À vrai dire, hormis l’aveu d’une collusion intellectuelle et morale entre les quatre faussaires et deux dignitaires de l’ancien régime, on ne voit pas très bien quel est l’intérêt de ces deux citations, qui relèvent de l’argumentum ad potentiam. Que Sébastien Denaja, alors rapporteur au nom de la Commission des lois de l’Assemblée nationale pour le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, ou Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des femmes, aient publiquement manifesté leur opposition à la résidence alternée, c’était leur droit – et il n’y avait là rien de surprenant. Mais, en tout état de cause, leurs propos respectifs n’expriment aucun argument objectif qui pourrait étayer les positions de nos quatre faussaires. A contrario, on trouve chez les uns et les autres une commune ignorance des pratiques judiciaires, notamment du mépris généralisé de « l’intérêt supérieur de l’enfant ».
Enfin, ne reculant devant aucun dépense pour satisfaire leurs commanditaires, les quatre larrons ajoutent une cerise avariée sur leur gâteau déjà bien indigeste :
« Plusieurs pays ont légiféré afin que la résidence alternée égalitaire ne puisse plus être imposée, comme le Danemark en 2012. »
L’assertion est de prime abord pour le moins étrange, puisque la « résidence alternée égalitaire » n’a jamais existé au Danemark… On retrouve en fait ici une fake news propagée par l’association L’Enfant d’abord sur la foi d’un article du Copenhagen Post Online, aussi mal rédigé qu’interprété. Ce journal danois anglophone a employé l’expression shared custody, littéralement « garde partagée ». Or, tout comme ses sœurs joint custody, joint parenting et shared parenting abondamment utilisées dans la littérature anglo-saxonne, l’expression peut rendre indifféremment deux notions bien distinctes en droit de la famille : l’exercice conjoint de l’autorité parentale et la résidence – alternée ou non – de l’enfant. C’est le contexte juridique particulier qui permet d’opter pour telle ou telle traduction.
En l’occurrence, l’exercice conjoint de l’autorité parentale est devenu la norme au Danemark pour tous les enfants en 2007 – soit cinq après la France. Bien que la résidence alternée soit effectivement mise en œuvre par un certain nombre de parents divorcés ou séparés, elle n’a pas de base légale : l’enfant ne peut avoir qu’une seule résidence officielle, très majoritairement fixée chez la mère, comme partout ailleurs. L’auteur de l’article du Copenhagen Post Online susmentionné maîtrisait manifestement aussi mal son sujet que sa lectrice de L’Enfant d’abord : en annonçant un projet de loi à venir, présenté par Karen Hækkerup (alors ministre des affaires sociales et de l’intégration) le 13 avril 2012, il donne effectivement à penser que la réforme visait à restreindre la résidence alternée alors qu’il s’agissait, pour l’essentiel, de mieux encadrer l’exercice conjoint de l’autorité parentale, notamment en cas de conflit entre les parents, ainsi que le changement de résidence de l’enfant. De surcroît, sa lectrice a compris que le vote avait eu lieu à la parution de l’article, alors que le texte (qui n’avait pas encore été présenté !) n’a été adopté que le 8 juin 2012…
En attendant que l’un de nos correspondants danois trouve le temps de rédiger un exposé détaillé sur le droit de la famille au Danemark, nos lecteurs pourront se reporter à l’article de la juriste Annette Kronborg, « Family Formation in Scandinavia: A comparative study in family law » (Utrecht Law Review, volume 12, nº 2, 2 juillet 2016, pp. 81–97), dont l’extrait suivant (p. 91) explique la spécificité de la législation danoise (la mise en gras est de notre fait) :
« In the Scandinavian countries a shared living arrangement for children after a divorce is common. This is legally reflected in the term shared residence. In contrast to Norwegian and Swedish family law this has not been implemented in the Danish Act on Parental Responsibility (Lov om Forældreansvar). As such Norwegian and Swedish law come to mirror the equal status of parents in modern parenthood and children’s status of having shared residence to a further extent than Danish law. In Danish law, the earlier legal distiction singling out a resident parent and a contact parent despite the fact that the child may share his or her time equally between the parents has been retained. Legally, only one of the parents is the resident parent of the child. The fact that public child support in Denmark is paid to the resident parent illustrates the public-private divide because it is not a public law matter that the child may reside equally with both parents. In Norwegian and Swedish law the perception of status has been extended to cover shared residence and has an impact on the regulation of public child support making the public-private law divide more complex. »
Nos lecteurs trouveront également ci-après la liste des principaux textes législatifs en la matière (attention : l’usage d’un outil de traduction en ligne est totalement déconseillé pour le danois) :
- Loi nº 499 du 6 juin 2007 sur l’autorité parentale, modifiée par :
- § 4 de la loi nº 349 du 6 mai 2009
- § 3 de la loi nº 494 du 12 juin 2009
- § 3 de la loi nº 628 du 11 juin 2010
- section 1 de la loi nº 600 du 18 juin 2012, issue du projet de loi L 157
- Loi nº 1073 du 20 novembre 2012
- Loi nº 1085 du 7 octobre 2014
- Loi nº 1820 du 23 décembre 2015
- Vejledning om forældremyndighed og barnets bopæl (Instructions sur la garde et le lieu de résidence de l’enfant), Børne- og Socialministeriet (ministère danois des enfants et des affaires sociales), 24 janvier 2017.
En guise de conclusion provisoire, nous suggérons aux quatre faussaires dénoncés ici de changer de source d’informations…
Amendement CL3 archivé au format PDF (6 Ko, 2 p.).
Amendement CL4 archivé au format PDF (4 Ko, 1 p.).
Amendement CL5 archivé au format PDF (3 Ko, 1 p.).
Amendement CL7 archivé au format PDF (6 Ko, 2 p.).
Amendement CL8 archivé au format PDF (4 Ko, 1 p.).
Amendement CL9 archivé au format PDF (3 Ko, 1 p.).
Article d’Annette Kronborg archivé au format PDF (373 Ko, 17 p.).
Pro memoria :
- Article du 17 octobre 2017
- Communiqué de la Fédération nationale Solidarité Femmes (2 novembre 2017)
- Communiqué de SOS Exclusion parentale (2 novembre 2017)
- Communiqué de SOS Exclusion parentale (3 novembre 2017)
- Article du 8 novembre 2017
- Communiqué du Collectif national pour les droits des femmes (10 novembre 2017)
- Communiqué de SOS LES MAMANS (10 novembre 2017)
- Communiqué du Collectif Osons l’égalité parentale pour nos enfants (11 novembre 2017)
- Article du 13 novembre 2017
- Article du 14 novembre 2017
- Article du 16 novembre 2017
- Article du 17 novembre 2017
Cet article détaille parfaitement les manœuvres et toute la mauvaise foi dont sont capables les opposants au principe d’égalité parentale.
Les ficelles sont si grosses qu’il est pour le moins étonnant que des positions aussi malhonnêtes aient pu être relayées dans les médias.