Siégeant à la High Court of Justice (Family Division), le juge Stephen Cobb a rendu aujourd’hui une nouvelle décision dans une affaire internationale assez embrouillée dont nous nous sommes déjà fait l’écho – voir notre chronique du 6 novembre 2020, dont nous reprenons l’essentiel ci-dessous. Nonobstant certaines particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche, cette chronique pourrait aussi intéresser certains de nos lecteurs.
Contexte
En l’espèce, une femme bulgare et un homme possédant la double nationalité britannique et bulgare s’étaient rencontrés en 2014. Mariés en septembre 2016 en Bulgarie, ils vivaient à Londres, où une petite fille était née de leur union au printemps 2018. Le mariage s’était délité peu après, chacun des époux accusant l’autre de violences conjugales, ce qui avait rapidement provoqué l’intervention de la police et des services sociaux. Le couple s’était séparé à la fin de l’année 2019. Lors d’un séjour commun de la famille en Bulgarie au tout début de l’année dernière, le père avait sollicité auprès des autorités locales une interdiction de sortie du territoire pour sa fille. La mère avait alors lancé une procédure de divorce en Angleterre en janvier 2020, et le père avait fait de même le mois suivant en Bulgarie.
La bataille judiciaire s’était emballée et de nombreuses procédures avaient été engagées sur divers fondements devant différentes juridictions anglaises et bulgares, le tout dans une extrême confusion car les parties agissaient parfois sans avocat et les notifications à l’autre partie n’étaient pas toujours faites.
Pour revenir à la chronologie de l’affaire, la mère avait engagé en mars 2020 une procédure en urgence pour demander :
- qu’il fût acté que la résidence habituelle de l’enfant était en Angleterre ;
- que l’enfant fût placée sous la protection des juridictions anglaises ;
- que le père fournît à la mère une autorisation écrite permettant à l’enfant de quitter la Bulgarie et retourner en Angleterre ;
- une interdiction de sortie du territoire anglais pour l’enfant ;
- la confiscation des passeports de l’enfant et de son père.
Statuant à titre provisoire, en urgence et sans contradictoire, la juge Frances Judd avait fait droit aux demandes de la mère. Elle avait cependant omis de faire figurer les coordonnées du père sur l’avis pénal joint à l’une de ses deux ordonnances – un détail qui aura son importance par la suite.
Le père avait rapidement remis sa carte d’identité bulgare et son passeport britannique, mais il n’avait remis le passeport britannique de sa fille qu’à la fin du mois d’août, expliquant qu’il avait dû aller le chercher en Bulgarie. Seul manquait son propre passeport bulgare, dont il avait signalé la perte au début du mois de septembre.
Dans l’intervalle, et parmi d’autres péripéties procédurales, le père avait demandé l’annulation de l’ordonnance relative aux passeports, au motif qu’elle avait été prise dans un but coercitif inadmissible en l’absence de tout risque avéré d’enlèvement et que la mère aurait pu beaucoup plus simplement solliciter les juridictions bulgares afin de faire lever l’interdiction de sortie du territoire en vigueur là-bas. Au surplus, il avait soutenu que les juridictions anglaises n’étaient pas compétentes en l’espèce.
De son côté, la mère avait demandé l’incarcération du père pour non-respect des deux ordonnances rendues par la juge Frances Judd – le passeport britannique de l’enfant et le passeport bulgare du père n’avaient alors pas encore été remis – et s’était opposée à l’annulation de l’ordonnance relative aux passeports, au motif que le père n’avait toujours pas fourni son autorisation écrite permettant à l’enfant de quitter la Bulgarie et retourner en Angleterre.
Les problèmes à résoudre
L’affaire avait été entendue entendue en novembre 2020 par le juge Stephen Cobb, siégeant à la High Court of Justice (Family Division), qui avait d’abord dû démêler l’imbroglio procédural et identifier les problèmes à résoudre :
- Un différend fondamental sur la compétence juridictionnelle, les parties n’étant pas d’accord sur la résidence habituelle de l’enfant et la chronologie des multiples requêtes n’ayant pu être clairement établie.
- Les allégations mutuelles de violence conjugale et les requêtes croisées pour des ordonnances de protection, toujours en suspens.
- La requête du père visant à l’annulation des ordonnances obtenues par la mère en mars 2020.
- La requête de la mère visant à l’incarcération du père pour non-respect de ces deux ordonnances.
Le juge Stephen Cobb avait traité les deux derniers points ainsi que, par la force des choses, le premier.
Discussion et décisions du 6 novembre 2020
Il nous paraît opportun de reproduire ici l’intéressante argumentation du juge Stephen Cobb relative à la confiscation des passeports, notamment parce que les principes dégagés sont d’application très large :
« 31. A Tipstaff passport order is a useful tool in the judicial armoury, particularly in circumstances where: (i) a court needs to take urgent action to try to prevent a parent from removing a child out of the country […]; (ii) where there is an assessed risk that a foreign parent may misuse a period of contact in England in order to remove a child overseas […]; (iii) where (as here) the court wishes to ensure the attendance of a person at a court hearing within the jurisdiction, and there is a risk that, absent such an order, the person may flee the country before doing so […]; and (iv) where without such an order the execution of an interlocutory order may be stymied […].
« 32. But a passport order is a potent order, with significant implications, whose use it seems to me should be tightly controlled; thus:
« i) A passport order should only ever be made for a finite period of time (this is likely to be, as it was in this case, for a period of six months before it would have expired unexecuted) […];
« ii) A passport order should not be made where the sole purpose is to coerce the respondent into action of a particular kind […].
« Furthermore, once granted and passports are seized:
« iii) The passport order is unlikely to endure beyond the conclusion of the proceedings in which the order is made […]. If an order for a passport to be held indefinitely can ever be justified (i.e. after the conclusion of proceedings), it is likely only to be in an unusual and probably quite extreme case where it can be demonstrated, after a close evaluation of the degree of risk to the children and of the harm to which they will be exposed if the risk becomes a reality, that such a serious invasion of the passport-holder’s rights is proportionate and necessary […];
« iv) Consistent with the principles above, and the observations from the authorities, it seems to me to be incumbent on the court to keep under careful review during ongoing proceedings the need to deprive a person of their passport, under a tipstaff passport order; such an order should not remain in place for any longer than is necessary to achieve the legitimate desired protection or outcome.
« The removal of an individual’s passport, even on a temporary basis, be that of an adult or child, is a very significant incursion into the individual’s freedom and personal autonomy. It is never an order that can be made lightly […]; a passport order should in my judgment rarely if ever be more than a very temporary measure.
[…]
« 34. On the particular facts of this case, on the father’s application to discharge the passport order, I have reached the following conclusions.
« 35. First, the father has rightly and properly argued that a passport order is the draconian measure to which I have referred, which should be imposed only in limited circumstances. While I fully understand that, on the evidence presented by the mother at the without notice hearing on 16 March 2020, it may well have been in Judd J’s mind that, absent such an order, the father may not engage in, or attend court for, these proceedings, I am satisfied that the father has now shown that he is actively engaging and participating in the proceedings, and that such an order is no longer necessary to secure the father’s active engagement.
« 36. Secondly, while Judd J was provisionally persuaded, albeit on the very limited information presented by the mother only, that the father was a “flight risk”, on the totality of the evidence now available, I am satisfied that this assertion is not now made out. The father has lived in the UK for over 10 years; he became a citizen in 2016. The father co-owns a property in London, he has a career in the UK in a secure and senior position on a permanent full-time contract with the National Health Service. His employer has confirmed that he has not given notice to terminate his employment. The assertion that the father has told the mother that he wishes to work and/or establish a new family in Germany is not supported (unlike many other allegations in this case) by any corroborative evidence.
« 37. Thirdly I do not regard it as appropriate to order the continued retention of the father’s passport in an attempt to secure his compliance with the requirement to execute the necessary documents to facilitate the mother in leaving Bulgaria with [their daughter], as argued by counsel for the mother at the earlier hearing […]. A more effective and legitimate form of compulsion will be the renewal of the order made by Judd J requiring him to execute the necessary documents, buttressed by an effective penal notice, and a time-limit for compliance […]. If the father does not comply with the obligation to execute the necessary document within the required time, the mother may apply to have him committed for contempt, and if such an application is made, I shall list it before me if I am available.
« 38. Fourthly, eight months have already passed since this order was made; it is unclear how much longer these proceedings may last. It would be disproportionate to continue the order simply to await the ultimate outcome of the case when the future of the proceedings is so uncertain.
« 39. For the reasons given above, I shall therefore direct that the father’s British passport and Bulgarian ID card shall be returned to him forthwith.
« 40. For the time being I propose to direct that [the child]’s passport shall remain in the possession of the Tipstaff. At present I do not consider that the mother needs this passport to travel with [the child]. If a compelling case can be made that [the child]’s travel would be made easier by her having the British passport in her possession, I would be prepared to review this. »
Le juge Stephen Cobb avait par ailleurs rejeté la requête du père visant à annuler l’ordonnance lui intimant de fournir à la mère une autorisation écrite permettant à l’enfant de quitter la Bulgarie et retourner en Angleterre. Le père avait notamment mis en avant la santé fragile de sa fille et sa crainte que le retour d’icelle en Angleterre favorise l’aliénation parentale. Le juge Stephen Cobb lui avait fait remarquer – à juste titre, nous semble-t-il – que cette argumentation était plutôt contre-productive :
« 45. The father has now not seen [his daughter] himself for about nine months. Shortly before announcing my decision and giving judgment, the father disclosed a further document: a statement in Bulgarian (with translation) dated 12 March 2020 which he had prepared for the Social Services Department of Child Protection in Bulgaria, in which he raised his concern that the mother was obstructing his contact with [his daughter], and raising what he described as “the serious risk of parental alienation of the child from the father”. It seems to me that stranding [the child] and her mother in Bulgaria is only likely to increase the difficulties for the father in having meaningful contact with his daughter. Given the current travel restrictions and quarantining requirements between the two countries caused by the coronavirus pandemic, should the father travel to Bulgaria now or over Christmas as he plans, he would have to dedicate a large proportion of his trip for self-quarantining before he could meet up with [his daughter]. By contrast, if [the child] were to be returned with her mother to this jurisdiction, then (after a period of quarantining here) he would be able far more easily and readily to spend time with her thus removing one clear obstacle to the restoration of their relationship. This not insignificant benefit to the father, and to [his daughter], was neither addressed nor acknowledged anywhere in his submissions; surprisingly, and contrary to the father’s stated concerns about alienation, I was told by [his counsel] that the father is “happy to wait” to see [his daughter]. »
La requête de la mère visant à l’incarcération du père avait également été rejetée, notamment en raison du vice de forme signalé supra.
Le juge Stephen Cobb avait enfin décidé de faire procéder préalablement aux clarifications nécessaires pour résoudre les questions de litispendance (compétence juridictionnelle, différend sur la résidence habituelle de l’enfant, litige familial concomitant dans deux juridictions) :
« 50. […] I regard it as necessary to clarify precisely what applications and issues are before the Bulgarian Court, when they were issued, and how far they have proceeded. I am keen to avoid duplication of judicial decision-making, and to achieve clarity vis-à-vis the Bulgarian courts on the issue of habitual residence and/or primary jurisdiction. In this regard, during the course of the hearing, I made contact with the International Family Justice Office (IFJO) to establish whether the Hague Network Judges could possibly liaise over these issues in accordance with the guidance “Direct Judicial Communications” (“DJC”) published by the Hague Conference on Private International Law (2013) […]. »
Ces différents points ont fait l’objet d’une nouvelle audience les 28 et 29 juillet derniers, d’où résulte la décision rendue aujourd’hui.
Décision du 16 août 2021
En raison des procédures engagées par la mère en Bulgarie, le juge Stephen Cobb a d’abord décidé de ne pas traiter la question de la résidence habituelle de l’enfant et de laisser ce soin aux juridictions bulgares (§ 14).
Les critères pour déterminer la résidence habituelle d’un enfant (« the place which reflects some degree of integration by the child in a social and family environment ») et celle d’un adulte afin d’établir la compétence juridictionnelle en matière de divorce (« centre of interests ») étant différents, le juge Stephen Cobb a ensuite considéré qu’il pouvait examiner la question des requêtes en divorce concurrentes sans affecter la future décision des juridictions bulgares concernant l’enfant (§§ 18-23)
Au visa des articles 16 et 19 du Règlement (CE) nº 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit « règlement Bruxelles II bis », le juge Stephen Cobb a relevé que la requête en divorce de la mère devant les juridictions anglaises avait été « lodged » par voie informatique plus de trois semaines avant celle du père devant les juridictions bulgares (§§ 24-38).
Le juge Stephen Cobb a ensuite relevé que le père – défendeur à la requête – réside bien habituellement en Angleterre puisque c’est là que se trouve son « centre of interests » (domicile et travail) depuis une dizaine d’années (§§ 39-48).
Le juge Stephen Cobb a conséquemment levé la suspension de la requête de la mère et autorisé icelle à la modifier pour fonder la compétence des juridictions anglaises sur la résidence habituelle du père (§ 50).
Nous ne manqueront pas de tenir nos lecteurs au courant des développements futurs de cette affaire si de nouvelles informations nous parviennent.
- Références
- High Court of Justice (England and Wales)
Date : 16 août 2021
Décision : P v P (Divorce: Jurisdiction) [2021] EWHC 2306 (Fam)
Jugement archivé au format PDF (239 Ko, 18 p.).
Pro memoria :
Jugement du 6 novembre 2020 archivé au format PDF (321 Ko, 15 p.).
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