Un père se bat pour récupérer son passeport

Courts and Tribunal Judiciary

Siégeant à la High Court of Justice (Family Division), le juge Stephen Cobb a rendu aujourd’hui une décision intéressante dans une affaire internationale assez embrouillée. Nonobstant certaines particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche, cette chronique pourrait aussi intéresser certains de nos lecteurs.

Le contexte

En l’espèce, une femme bulgare et un homme possédant la double nationalité britannique et bulgare s’étaient rencontrés en 2014. Mariés en septembre 2016 en Bulgarie, ils vivaient à Londres, où une petite fille était née de leur union au printemps 2018 (§ 5). Le mariage se délita peu après, chacun des époux accusant l’autre de violences conjugales, ce qui provoqua rapidement l’intervention de la police et des services sociaux (§§ 6, 8). Le couple se sépara à la fin de l’année 2019 (§ 8). Lors d’un séjour commun de la famille en Bulgarie au tout début de cette année, le père sollicita auprès des autorités locales une interdiction de sortie du territoire pour sa fille (§§ 9-12). La mère lança alors une procédure de divorce en Angleterre en janvier dernier, et le père fit de même le mois suivant en Bulgarie (§ 13).

La bataille judiciaire s’emballa et le jugement rendu aujourd’hui rapporte qu’au moins deux procédures furent lancées devant les juridictions bulgares, et au moins huit devant trois juridictions anglaises différentes, sur divers fondements (Children Act 1989, compétence inhérente de la High Court of Justice, Family Law Act 1996) et traitées par au moins six juges. Le fait que les parties avaient parfois agi sans avocat et que les notifications à l’autre partie n’avaient pas toujours été faites n’avait bien sûr rien arrangé (§ 2). La confusion était telle que les conclusions déposées par les parties pour le jugement ici commenté ne portaient pas sur les points devant être débattus à l’audience (§ 3)…

Pour revenir à la chronologie de l’affaire, la mère avait engagé en mars dernier une procédure en urgence pour demander (§§ 14-15) :

  • qu’il fût acté que la résidence habituelle de l’enfant était en Angleterre ;
  • que l’enfant fût placée sous la protection des juridictions anglaises ;
  • que le père fournît à la mère une autorisation écrite permettant à l’enfant de quitter la Bulgarie et retourner en Angleterre ;
  • une interdiction de sortie du territoire anglais pour l’enfant ;
  • la confiscation des passeports de l’enfant et de son père.

Statuant à titre provisoire, en urgence et sans contradictoire, la juge Frances Judd fit droit aux demandes de la mère. Elle omit cependant de faire figurer les coordonnées du père sur l’avis pénal joint à l’une de ses deux ordonnances (§§ 16-17) – un détail qui aura son importance par la suite.

Le père remit rapidement sa carte d’identité bulgare et son passeport britannique. Il ne remit le passeport britannique de sa fille qu’à la fin du mois d’août, expliquant qu’il avait dû aller le chercher en Bulgarie. Seul manqua son propre passeport bulgare, dont il signala la perte au début du mois de septembre (§ 18).

Dans l’intervalle, et parmi d’autres péripéties procédurales (§§ 19-20), le père demanda l’annulation de l’ordonnance relative aux passeports, au motif qu’elle avait été prise dans un but coercitif inadmissible en l’absence de tout risque avéré d’enlèvement et que la mère aurait pu beaucoup plus simplement solliciter les juridictions bulgares afin de faire lever l’interdiction de sortie du territoire en vigueur là-bas. Au surplus, il soutint que les juridictions anglaises n’étaient pas compétentes en l’espèce (§§ 21-25, 29).

De son côté, la mère demanda l’incarcération du père pour non-respect des deux ordonnances rendues par la juge Frances Judd – le passeport britannique de l’enfant et le passeport bulgare du père n’avaient alors pas encore été remis – et s’opposa à l’annulation de l’ordonnance relative aux passeports, au motif que le père n’avait toujours pas fourni son autorisation écrite permettant à l’enfant de quitter la Bulgarie et retourner en Angleterre (§§ 26-28, 30).

Les problèmes à résoudre

L’affaire a été entendue entendue aujourd’hui par le juge Stephen Cobb, siégeant à la High Court of Justice (Family Division), qui a d’abord dû démêler l’imbroglio procédural et identifier les problèmes à résoudre :

  1. Un différend fondamental sur la compétence juridictionnelle, les parties n’étant pas d’accord sur la résidence habituelle de l’enfant et la chronologie des multiples requêtes n’ayant pu être clairement établie.
  2. Les allégations mutuelles de violence conjugale et les requêtes croisées pour des ordonnances de protection, toujours en suspens.
  3. La requête du père visant à l’annulation des ordonnances obtenues par la mère en mars dernier.
  4. La requête de la mère visant à l’incarcération du père pour non-respect de ces deux ordonnances.

Le juge Stephen Cobb a traité les deux derniers points ainsi que, par la force des choses, le premier.

Discussion et décisions

C’est l’argumentation du juge Stephen Cobb relative à la confiscation des passeports qui nous paraît la plus intéressante dans cette affaire, notamment dans la mesure où les principes dégagés ici sont d’application très large :

« 31. Tipstaff passport order is a useful tool in the judicial armoury, particularly in circumstances where: (i) a court needs to take urgent action to try to prevent a parent from removing a child out of the country […]; (ii) where there is an assessed risk that a foreign parent may misuse a period of contact in England in order to remove a child overseas […]; (iii) where (as here) the court wishes to ensure the attendance of a person at a court hearing within the jurisdiction, and there is a risk that, absent such an order, the person may flee the country before doing so […]; and (iv) where without such an order the execution of an interlocutory order may be stymied […].

« 32. But a passport order is a potent order, with significant implications, whose use it seems to me should be tightly controlled; thus:

« i) A passport order should only ever be made for a finite period of time (this is likely to be, as it was in this case, for a period of six months before it would have expired unexecuted) […];

« ii) A passport order should not be made where the sole purpose is to coerce the respondent into action of a particular kind […].

« Furthermore, once granted and passports are seized:

« iii) The passport order is unlikely to endure beyond the conclusion of the proceedings in which the order is made […]. If an order for a passport to be held indefinitely can ever be justified (i.e. after the conclusion of proceedings), it is likely only to be in an unusual and probably quite extreme case where it can be demonstrated, after a close evaluation of the degree of risk to the children and of the harm to which they will be exposed if the risk becomes a reality, that such a serious invasion of the passport-holder’s rights is proportionate and necessary […];

« iv) Consistent with the principles above, and the observations from the authorities, it seems to me to be incumbent on the court to keep under careful review during ongoing proceedings the need to deprive a person of their passport, under a tipstaff passport order; such an order should not remain in place for any longer than is necessary to achieve the legitimate desired protection or outcome.

« The removal of an individual’s passport, even on a temporary basis, be that of an adult or child, is a very significant incursion into the individual’s freedom and personal autonomy. It is never an order that can be made lightly […]; a passport order should in my judgment rarely if ever be more than a very temporary measure.

[…]

« 34. On the particular facts of this case, on the father’s application to discharge the passport order, I have reached the following conclusions.

« 35. First, the father has rightly and properly argued that a passport order is the draconian measure to which I have referred, which should be imposed only in limited circumstances. While I fully understand that, on the evidence presented by the mother at the without notice hearing on 16 March 2020, it may well have been in Judd J’s mind that, absent such an order, the father may not engage in, or attend court for, these proceedings, I am satisfied that the father has now shown that he is actively engaging and participating in the proceedings, and that such an order is no longer necessary to secure the father’s active engagement.

« 36. Secondly, while Judd J was provisionally persuaded, albeit on the very limited information presented by the mother only, that the father was a “flight risk”, on the totality of the evidence now available, I am satisfied that this assertion is not now made out. The father has lived in the UK for over 10 years; he became a citizen in 2016. The father co-owns a property in London, he has a career in the UK in a secure and senior position on a permanent full-time contract with the National Health Service. His employer has confirmed that he has not given notice to terminate his employment. The assertion that the father has told the mother that he wishes to work and/or establish a new family in Germany is not supported (unlike many other allegations in this case) by any corroborative evidence.

« 37. Thirdly I do not regard it as appropriate to order the continued retention of the father’s passport in an attempt to secure his compliance with the requirement to execute the necessary documents to facilitate the mother in leaving Bulgaria with [their daughter], as argued by counsel for the mother at the earlier hearing […]. A more effective and legitimate form of compulsion will be the renewal of the order made by Judd J requiring him to execute the necessary documents, buttressed by an effective penal notice, and a time-limit for compliance […]. If the father does not comply with the obligation to execute the necessary document within the required time, the mother may apply to have him committed for contempt, and if such an application is made, I shall list it before me if I am available.

« 38. Fourthly, eight months have already passed since this order was made; it is unclear how much longer these proceedings may last. It would be disproportionate to continue the order simply to await the ultimate outcome of the case when the future of the proceedings is so uncertain.

« 39. For the reasons given above, I shall therefore direct that the father’s British passport and Bulgarian ID card shall be returned to him forthwith.

« 40. For the time being I propose to direct that [the child]’s passport shall remain in the possession of the Tipstaff. At present I do not consider that the mother needs this passport to travel with [the child]. If a compelling case can be made that [the child]’s travel would be made easier by her having the British passport in her possession, I would be prepared to review this. »

Le juge Stephen Cobb a par ailleurs rejeté la requête du père visant à annuler l’ordonnance lui intimant de fournir à la mère une autorisation écrite permettant à l’enfant de quitter la Bulgarie et retourner en Angleterre. Le père avait notamment mis en avant la santé fragile de sa fille et sa crainte que le retour d’icelle en Angleterre favorise l’aliénation parentale. Le juge Stephen Cobb lui a fait remarquer – à juste titre, nous semble-t-il – que cette argumentation était plutôt contre-productive :

« 45. The father has now not seen [his daughter] himself for about nine months. Shortly before announcing my decision and giving judgment, the father disclosed a further document: a statement in Bulgarian (with translation) dated 12 March 2020 which he had prepared for the Social Services Department of Child Protection in Bulgaria, in which he raised his concern that the mother was obstructing his contact with [his daughter], and raising what he described as “the serious risk of parental alienation of the child from the father”. It seems to me that stranding [the child] and her mother in Bulgaria is only likely to increase the difficulties for the father in having meaningful contact with his daughter. Given the current travel restrictions and quarantining requirements between the two countries caused by the coronavirus pandemic, should the father travel to Bulgaria now or over Christmas as he plans, he would have to dedicate a large proportion of his trip for self-quarantining before he could meet up with [his daughter]. By contrast, if [the child] were to be returned with her mother to this jurisdiction, then (after a period of quarantining here) he would be able far more easily and readily to spend time with her thus removing one clear obstacle to the restoration of their relationship. This not insignificant benefit to the father, and to [his daughter], was neither addressed nor acknowledged anywhere in his submissions; surprisingly, and contrary to the father’s stated concerns about alienation, I was told by [his counsel] that the father is “happy to wait” to see [his daughter]. »

La requête de la mère visant à l’incarcération du père a également été rejetée, notamment en raison du vice de forme signalé supra (§ 47).

Le juge Stephen Cobb a enfin décidé de faire procéder préalablement aux clarifications nécessaires pour résoudre les questions de litispendance (compétence juridictionnelle, différend sur la résidence habituelle de l’enfant, litige familial concomitant dans deux juridictions) :

« 50. […] I regard it as necessary to clarify precisely what applications and issues are before the Bulgarian Court, when they were issued, and how far they have proceeded. I am keen to avoid duplication of judicial decision-making, and to achieve clarity vis-à-vis the Bulgarian courts on the issue of habitual residence and/or primary jurisdiction. In this regard, during the course of the hearing, I made contact with the International Family Justice Office (IFJO) to establish whether the Hague Network Judges could possibly liaise over these issues in accordance with the guidance “Direct Judicial Communications” (“DJC”) published by the Hague Conference on Private International Law (2013) […]. »

Références
England and Wales High Court (Family Division)
Date : 6 novembre 2020
Décision : P (Discharge of Passport Order) (Rev 2) [2020] EWHC 3009 (Fam)
Mise à jour du 16 août 2021

L’affaire a fait l’objet d’un nouveau développement : voir notre chronique du jour.

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