Conflit parental entre l’Afrique du Sud et l’Angleterre (suite)

Courts and Tribunal Judiciary

La Cour suprême du Royaume-Uni a rendu aujourd’hui une décision intéressante quant à l’interaction entre les obligations d’un État en vertu de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, dite « Convention de Genève », et des directives européennes connexes. L’affaire avait déjà fait ici l’objet d’une chronique en date du 15 septembre dernier, que nous reprendrons pour introduire ce nouvel épisode. Nonobstant certaines particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche et le caractère très technique du sujet, il pourrait intéresser certains de nos lecteurs puisque les principes en cause ont une valeur pratiquement universelle.

Contexte

En l’espèce, un homme, dont on sait seulement qu’il a une nationalité européenne, vit depuis plus de vingt ans en Afrique du Sud. Il y rencontra une femme qu’il épousa en 2010 et une enfant naquit de cette union deux ans plus tard (décision du 15 septembre 2020, § 5). Le couple se sépara en 2014 et divorça en 2018. La résidence habituelle de l’enfant fut fixée chez sa mère, le père bénéficiant d’un droit de visite et d’hébergement dit « classique » – un weekend sur deux et la moitié des vacances scolaires (ibid., § 7).

La mère enleva l’enfant en Angleterre en février 2020 (ibid., § 10). Le père demanda le retour immédiat de sa fille sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Saisie, la High Court of Justice (Family Division) ordonna le retour de l’enfant en mai 2020 (ibid., § 11). Trois jours avant la date prévue, le Secretary of State for the Home Department (équivalent britannique de notre ministère de l’Intérieur) informa la juridiction que la mère avait demandé l’asile au Royaume-Uni, arguant qu’elle avait reçu des menaces de sa famille parce qu’elle était lesbienne (ibid., §§ 12-14). Le Secretary of State for the Home Department ayant cru à tort que l’enfant avait également demandé l’asile, la High Court of Justice (Family Division) ordonna un sursis à l’exécution du retour de l’enfant dans l’attente d’une décision du Secretary of State for the Home Department sur les deux demandes d’asile (ibid., §§ 15-20).

Le père demanda à pouvoir faire appel de l’ordonnance de sursis à l’exécution [1]. L’appel fut autorisé en juillet dernier, et le Secretary of State for the Home Department informa la juridiction en août qu’en fait seule la mère avait demandé l’asile, avec l’enfant comme personne à charge, mais qu’il n’y avait pas eu de demande propre de l’enfant (ibid., §§ 22-23).

La Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles avait dû se déterminer sur les cinq points suivants (ibid., § 24) :

« Issue 1: In the context of an application for a return order under the 1980 Hague Convention and [Child Abduction and Custody Act 1985], does the fact that the child and/or the taking parent have refugee status or a pending asylum claim or appeal act as any form of bar to the determination of the application or the making or implementation of any return order?

« Issue 2: If so, does it act as a bar (i) to the determination of the application or (ii) to the making of a return order or (iii) only to the implementation of any return order?

« Issue 3: If there is no bar to the determination of the application, how should the court go about its task of deciding whether to determine or to stay the application?

« Issue 4: What part, if any, should the child play in the application?

« Issue 5: What steps should the court take to apprise the Secretary of State of the application under the 1980 Hague Convention and any material used in that application? »

Décision du 15 septembre 2020

Après avoir longuement détaillé la législation pertinente (§§ 25-112), le juge Gary Hickinbottom avait défini et analysé quatre types de situations de l’enfant pour déterminer, au regard du premier point supra, que rien n’interdit le retour de l’enfant (ibid., §§ 113-140). Au regard du deuxième point, il avait conclu qu’une interdiction ne peut de toute façon s’appliquer qu’à l’exécution d’une décision de retour (ibid., §§ 141-152). Au regard du troisième point, il avait établi des lignes directrices sur la conduite de la procédure (ibid., §§ 153-161). Au regard du quatrième point, il avait estimé que l’enfant devait être joint en tant que partie à la procédure (ibid., §§ 162-164). Au regard du dernier point, il avait fourni des lignes directrices sur les mesures à prendre pour informer le Secretary of State for the Home Department de l’application de la Convention de La Haye (ibid., §§ 165-166).

L’appel du père avait donc finalement été accueilli et l’affaire renvoyée à une audience ultérieure :

« 184. In short, for the reasons we have given, we have concluded that the judge was wrong to proceed on the basis that there was a bar to determining the 1980 Hague Convention application, because (i) contrary to the facts as she had been given them, no independent application for asylum had been made by or on behalf of [the child], and (ii) in any event, there was no bar to determining the application or even to making a return order, as opposed to implementing any such order.

« 185. Therefore, subject to submissions in relation to the form of order, we shall remit the matter to the Family Division for further consideration of the 1980 Hague Convention application in the light of this judgment. »

Appel de la mère

La mère avait demandé le mois suivant à pouvoir faire appel de cette décision [1] devant la Cour suprême du Royaume-Uni, laquelle avait autorisé l’appel en décembre dernier pour répondre à ces trois questions (§§ 11-13) :

« Can a child that is named as a dependant on a parent’s asylum application, but has not made a separate independent application for asylum, have protection from refoulement pending the determination of that application?

« If a child named as a dependant is protected from refoulement pending the determination of the asylum application, does that protection from refoulement act as a bar (i) to the determination by the Family Division of the High Court of an application for a return order under the 1980 Hague Convention seeking the return of a child to the country of their habitual residence where that child has protection from refoulement, or (ii) to the making of a return order, or (iii) only to the implementation of the return order?

« If there is no bar to the determination of an application under the 1980 Hague Convention, what approach should the Family Division take in relation to the task of deciding that application? In particular, was the Court of Appeal right to hold that the High Court should be slow to stay a 1980 Hague Convention application? »

Un principe fondamental du droit d’asile est que ses bénéficiaires sont protégés contre leur renvoi dans le pays où ils ont une crainte fondée d’être persécutés. La question centrale posée dans l’appel de la mère était de savoir si la fillette – maintenant âgée de huit ans – était protégée contre un tel renvoi du fait qu’elle était inscrite comme personne à charge sur la demande d’asile de sa mère, de sorte qu’elle ne pourrait être renvoyée en Afrique du Sud, conformément à la décision rendue en vertu de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, tant que la demande d’asile ne serait pas traitée. Auquel cas, se poserait la question supplémentaire de savoir comment peuvent être coordonnées la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et une demande d’asile. Le traitement d’une demande d’asile peut en effet prendre des mois, voire des années, alors que la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants exige le traitement rapide d’une demande de retour d’un enfant enlevé. Il existe un risque réel que la relation entre l’enfant et le parent victime soit irrémédiablement rompue lorsque la demande d’asile aura été traitée, et que le parent ravisseur cherche justement à atteindre cet objectif par le moyen d’une demande d’asile tactique (§§ 2-5).

Toutes les institutions impliquées dans les procédures relevant de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, y compris le Secretary of State for the Home Department pour le traitement de toute demande d’asile connexe, doivent donc agir rapidement si le Royaume-Uni veut remplir ses obligations (§§ 68-72).

Le droit d’asile britannique est dérivé d’un patchwork de sources de droit européen, international et national, qui prévoient notamment qu’un individu ayant une crainte fondée d’être persécuté dans son pays d’origine a le droit de ne pas y être refoulé, sous réserve d’exceptions limitées. Ce droit ne dépend pas de l’obtention ou non du statut de réfugié : un individu cherchant à obtenir le statut de réfugié est donc aussi protégé contre le refoulement (§§ 77-81).

Le premier moyen de la mère a été accepté : une demande d’asile mentionnant un enfant comme personne à charge est également une demande d’asile d’icelui si elle peut objectivement être comprise comme telle – ce qui est normalement le cas puisque les motifs de l’adulte craignant d’être persécuté sont susceptibles de s’appliquer à son enfant et que c’est de toute façon le parent qui doit faire la demande au nom de l’enfant (§§ 116-121).

Par ailleurs, la protection d’un enfant qui peut objectivement être considéré comme un demandeur d’asile contre le refoulement dans son pays d’origine s’applique lors de l’examen de sa demande par le Secretary of State for the Home Department. Or, la mise en œuvre d’une décision de retour d’un enfant demandeur d’asile en vertu de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants a pour effet de renvoyer l’enfant dans son pays d’origine. Bien que la High Court of Justice (Family Division) puisse décider de rendre une ordonnance de retour, icelle ne peut être exécutée tant que le Secretary of State for the Home Department n’a pas statué sur la demande d’asile (§§ 122-134).

La réponse à une demande d’asile n’est toutefois définitive qu’à la conclusion de tout appel (§§ 135-140). Or, la mise en œuvre d’une décision de retour d’un enfant rendue en vertu de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et faisant l’objet d’un appel en instance rendrait évidemment la procédure d’appel inefficace. Un appel en instance dans le pays doit donc empêcher l’exécution d’une telle décision. Le temps pris par une procédure d’appel étant cependant susceptible d’avoir un impact dévastateur sur la décision de retour, la Cour suprême du Royaume-Uni demande à ce que soit envisagée d’urgence une solution législative (§§ 141-153).

Les deuxième et troisième moyens d’appel de la mère ont par contre été rejetés. Rien n’empêche la High Court of Justice (Family Division) de rendre une décision en vertu de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants avant que le Secretary of State for the Home Department ait définitivement statué sur la demande d’asile, et elle doit être de manière générale réticente à toute demande de suspension de la procédure – la High Court of Justice (Family Division) a de toute façon le pouvoir d’annuler sa décision si la demande d’asile est accueillie (§§ 154-162).

La Cour suprême du Royaume-Uni propose enfin diverses mesures pour coordonner les procédures relevant de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et du droit d’asile en vue de leur résolution rapide (§§ 163-177), notamment :

Le Secretary of State for the Home Department avait également proposé un processus accéléré pour traiter les demandes d’asile en lien avec une procédure relevant de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (§ 6).

La Cour suprême du Royaume-Uni a renvoyé l’affaire devant la High Court of Justice (Family Division) pour qu’elle réexamine l’application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants sur ces nouvelles bases.

Note
  1. La législation du Royaume-Uni prévoit une autorisation préalable pour pouvoir faire appel d’une décision judiciaire (cf. section VIII des Civil Procedure Rules 1998 et sections 54 à 58 de l’Access to Justice Act 1999).
Références
Supreme Court of the United Kingdom
Date : 19 mars 2021
Décision : G v G [2021] UKSC 9

Attention ! La jurisprudence et la loi évoluent en permanence. Assurez-vous auprès d’un professionnel du droit de l’actualité des informations données dans cet article, publié à fin d’information du public.

Faire un don

Totalement indépendant, ne bénéficiant à ce jour d’aucune subvention publique et ne vivant que de la générosité privée, P@ternet a besoin du soutien de ses lecteurs pour continuer, et se développer. Si cet article vous a intéressé, vous pouvez soutenir P@ternet grâce à un don ponctuel en cliquant sur l’image ci-dessous.

helloasso

Laissez un commentaire (respectez les règles exposées dans la rubrique “À propos”)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.