Petite chronique de jurisprudence matrimoniale

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 18 novembre 2020, la Cour de cassation a rendu trois arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.

Communauté de biens et société en nom collectif

En l’espèce, un couple s’était marié sans contrat de mariage préalable, puis avait adopté en mars 1992 le régime de la communauté universelle. Les époux avaient constitué plusieurs sociétés, notamment la société en nom collectif Brûlerie corrézienne, dont 50 % des parts étaient détenues par un tiers. Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, l’épouse avait notifié en décembre 2007 à ladite société son intention d’être personnellement associée à hauteur de la moitié des parts détenues par son époux, associé en nom, sur le fondement de l’article 1832-2 du code civil. Elle avait par la suite assigné son époux et la société aux fins, notamment, de se voir reconnaître la qualité d’associée et cogérante.

On n’en sait pas plus sur le contexte, mais on peut subodorer que le litige se déroule sur fond de divorce. Quoi qu’il en soit, la cour d’appel de Limoges avait débouté l’épouse de ses prétentions en juin 2018 aux motifs suivants :

« L’article 1832-2 du code civil, résultant de la loi du 10 juillet 1982, dispose que la qualité d’associé est reconnue, pour la moitié des parts sociales souscrites ou acquises, au conjoint qui a notifié à la société son intention d’être personnellement associé, et […] si cette notification est postérieure à l’apport ou à l’acquisition, les clauses d’agrément prévues à cet effet sont opposables au conjoint, étant précisé que lors de la délibération sur l’agrément, l’époux associé ne participe pas au vote, ses parts n’étant pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité ; […] par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 22 décembre 2007, [l’épouse] a demandé aux cogérants […] la qualité d’associée de la SNC Brûlerie Corrézienne pour les parts de [son époux] correspondant à sa quote-part dans le montant de l’acquisition ; […] les dispositions relatives à l’article L. 221-13 du code de commerce s’imposent en tout état de cause à la SNC Brûlerie Corrézienne ; en effet, ce texte dispose que les parts sociales d’une société en nom collectif ne peuvent être cédées qu’avec le consentement de tous les associés et que toute clause contraire est réputée non écrite ; […] il s’ensuit que les dispositions de l’article L 221-13 du code de commerce sont opposables à [l’épouse] et que la reconnaissance de sa qualité d’associée était subordonnée au consentement unanime des associés, à l’exception de son conjoint ; […] en l’espèce, à la date du 22 décembre 2007, la SNC Brûlerie Corrézienne comptait deux associés […] ; […] par courrier officiel du 17 février 2016, le conseil de [l’associé de l’époux] a indiqué que son client n’avait jamais été informé de la revendication faite en 2007 par [l’épouse] et n’avait été convoqué à aucune assemblée générale portant sur une telle demande, en précisant que sur le principe son client ne voyait pas d’opposition particulière ; […] ce courrier, postérieur de plus de 8 ans à la demande de [l’épouse], ne peut être considéré comme un consentement de [l’associé de l’époux] étant précisé qu’aucune délibération des associés n’est intervenue ; […] il ressort de ces éléments que [l’épouse] ne peut se voir reconnaître la qualité d’associée de la SNC Brûlerie Corrézienne, que dès lors que cette qualité ne lui est pas reconnue, la qualité de gérante ne peut également lui être reconnue. »

L’épouse avait alors formé un pourvoi en cassation, soutenant notamment que les dispositions de l’article L221-13 du code de commerce ne pouvaient être opposées à celles de l’article 1832-2 du code civil.

Son argumentation a été rejetée aujourd’hui par la chambre commerciale de la Cour de cassation :

« 10. Il résulte de la combinaison des articles 1832-2, alinéa 3, du code civil et L. 221-13 du code de commerce que la revendication de la qualité d’associé par le conjoint d’un associé en nom, bien que ne constituant pas une cession, est subordonnée au consentement unanime des autres associés, qui répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales. Lorsque le consentement d’un seul associé est requis, ce consentement est, à défaut de délibération, adressé à la société et annexé au procès-verbal prévu par l’article R. 221-2 du code de commerce.

« 11. C’est donc à bon droit que la cour d’appel a énoncé que, malgré l’absence de clause insérée à cet effet dans les statuts, les dispositions de l’article L. 221-13 du code de commerce s’imposent, et qu’après avoir constaté que [l’associé de l’époux] n’avait jamais été informé de la revendication faite par [l’épouse] et n’avait été convoqué à aucune assemblée générale portant sur cette demande, elle a retenu que la lettre officielle du conseil de [l’associé de l’époux] adressé au conseil de [l’épouse] ne pouvait être considérée comme un consentement satisfaisant aux exigences de l’article L. 221-13 susvisé et a, en conséquence, rejeté la demande de [l’épouse] tendant à se voir reconnaître la qualité d’associée de la société. »

Il semble que ce soit la première fois que la Cour de cassation oppose l’article L221-13 du code de commerce à une revendication faite par le conjoint d’un associé de société en nom collectif sur le fondement de l’article 1832-2 du code civil. Cette solution est sans doute transposable aux sociétés en commandite simple, puisque l’article L222-8 du code de commerce dispose également en son premier alinéa que « les parts sociales ne peuvent être cédées qu’avec le consentement de tous les associés ».

Pour la petite histoire, le sénateur Raymond Bouvier, alors rapporteur du projet de loi nº 269 relatif aux conjoints d’artisans et de commerçants travaillant dans l’entreprise familiale, avait donné cette précision au cours des débats parlementaires ayant précédé l’adoption de l’article 1832-2 du code civil :

« La revendication par le conjoint de la qualité d’associé ne peut être regardée sur le plan juridique comme une cession de parts sociales, si bien que les dispositions légales ou les clauses statutaires [relatives à l’agrément des tiers étrangers à la société en cas de cession de parts sociales] ne peuvent trouver ici leur application.

« C’est pourquoi le projet de loi envisage la faculté pour les associés d’insérer une clause particulière destinée à préserver l’intuitu personæ dans la société. »

Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Sénat », nº 41 S, 13 mai 1982, p. 1953.
Références
Cour de cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 18 novembre 2020
Nº de pourvoi : 18-21797

Contribution aux charges du mariage et créance entre époux

En l’espèce, des époux mariés sous le régime de la séparation de biens avaient divorcé en février 2019, mais des difficultés étaient nées lors du règlement de leurs intérêts patrimoniaux. L’ex-épouse réclamait en effet à son ex-mari une créance au titre du financement par ses deniers personnels de la construction d’un immeuble ayant constitué par la suite le domicile conjugal, et ce, sur un terrain appartenant à son ex-mari. La cour d’appel de Nîmes avait accueilli sa demande au motif que, si le contrat de mariage des époux prévoyait bien que chacun d’eux contribuerait aux charges du mariage à proportion de ses facultés respectives et serait réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte que les époux ne seraient assujettis à aucun compte entre eux ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre, le caractère irréfragable de cette clause – dont se prévalait l’ex-mari – n’interdisait pas à un époux de faire la démonstration de ce que sa participation avait excédé ses facultés contributives, la sur-contribution démontrée ayant pour effet de rendre la clause inefficace.

L’arrêt a été cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa des articles 214 et 1537 du code civil :

« 3. Il résulte de ces textes que lorsque les juges du fond ont souverainement estimé irréfragable la présomption résultant de ce que les époux étaient convenus, en adoptant la séparation de biens, qu’ils contribueraient aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives et que chacun d’eux serait réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’ils ne seraient assujettis à aucun compte entre eux ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre, un époux ne peut, au soutien d’une demande de créance, être admis à prouver l’insuffisance de la participation de son conjoint aux charges du mariage pas plus que l’excès de sa propre contribution.

« 4. Pour accueillir la demande de [l’ex-épouse] tendant à se voir reconnaître titulaire d’une créance au titre du financement par des deniers personnels de la construction d’un immeuble ayant constitué par la suite le domicile conjugal, et ce, sur un terrain appartenant à son mari, après avoir relevé que le contrat de mariage des époux prévoit qu’ils contribueront aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives et que chacun d’eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre, l’arrêt retient, d’une part, que le caractère irréfragable de cette clause, dont se prévaut [l’ex-époux], n’interdit pas à un époux de faire la démonstration de ce que sa participation a excédé ses facultés contributives, d’autre part, que si la sur-contribution est démontrée, elle a pour effet de rendre la clause inefficace.

« 5. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

La clause usuelle de présomption de contribution aux charges du mariage insérée dans les contrats de séparation de biens demande une rédaction réfléchie, d’autant qu’elle s’applique bien souvent aux dépenses d’acquisition ou de construction du logement familial – lesquelles relèvent en principe de la contribution aux charges du mariage (voir par exemple : arrêt du 1er avril 2015, pourvoi nº 14-14349 ; arrêt du 11 avril 2018, pourvoi nº 17-17457 ; arrêt du 5 décembre 2018, pourvoi nº 18-10488). L’appréciation de la portée de cette présomption relève en effet du pouvoir souverain des juges du fond, lesquels peuvent la qualifier d’irréfragable ou simple (voir par exemple : arrêt du 1er avril 2015, pourvoi nº 14-14349 ; arrêt du 5 décembre 2018, pourvoi nº 18-10488 ; arrêt du 3 octobre 2019, pourvoi nº 18-20828). Une présomption qualifiée d’irréfragable empêche l’époux ayant financé à titre principal l’acquisition du logement familial de rapporter la preuve de sa sur-contribution – ou de la sous-contribution de son conjoint – afin de réclamer une créance, comme en l’espèce. Les époux ou futurs époux disposent cependant d’une certaine liberté dans la rédaction d’un contrat de séparation de biens et peuvent très bien définir eux-mêmes le champ d’application de la présomption et/ou la qualifier conventionnellement d’irréfragable ou simple.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 18 novembre 2020
Nº de pourvoi : 19-15353

Fraude au mariage pour obtenir la nationalité française

En l’espèce, un homme de nationalité marocaine s’était marié en janvier 1992 avec une femme, également de nationalité marocaine. Le couple avait eu deux enfants, en 1993 et 1997, puis avait divorcé en novembre 2000. L’homme s’était remarié en mars 2001 avec une ressortissante française, puis avait souscrit en avril 2002 une déclaration d’acquisition de nationalité française en raison de son mariage. Divorcé en juillet 2004, l’homme s’était remarié au mois d’octobre suivant avec sa précédente épouse marocaine, dont il avait eu un troisième enfant en décembre 2002. L’épouse marocaine avait à son tour souscrit une déclaration d’acquisition de nationalité française en raison de ce mariage, mais le ministère de l’Intérieur en avait refusé l’enregistrement en mars 2010, alléguant une fraude commise par l’époux, et avait informé le ministère de la Justice de ce refus au mois de décembre suivant.

Le ministère public avait saisi en décembre 2012 le tribunal de grande instance de Bordeaux d’une demande en annulation de l’enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite par l’époux. La cour d’appel de Bordeaux ayant confirmé en septembre 2015 l’annulation de l’enregistrement de la déclaration, l’époux avait formé un pourvoi en cassation, soutenant que l’action du ministère public aurait dû être déclarée irrecevable comme hors délai au regard de l’article 26-4 du code civil, lequel enferme l’action dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude alléguée ; la publicité légale de son divorce d’avec son épouse française puis de son second mariage avec sa première épouse marocaine ayant porté la fraude alléguée à la connaissance du ministère public en 2004, icelui ne pouvait plus s’en revendiquer en 2012, le délai de deux ans étant passé.

L’arrêt avait été cassé en mai 2017 pour défaut de base légale et l’affaire renvoyée devant la cour d’appel de Paris. Icelle ayant à son tour confirmé en juin 2018 l’annulation de l’enregistrement de la déclaration, l’époux avait formé un nouveau pourvoi en cassation, avec la même argumentation.

L’arrêt a été cette fois confirmé par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« 7. Aux termes de l’article 26-4 du code civil, l’enregistrement d’une déclaration de nationalité peut être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans de leur découverte.

« 8. Le délai biennal d’exercice de l’action court à compter de la date à partir de laquelle le procureur de la République territorialement compétent a été mis en mesure de découvrir la fraude ou le mensonge.

« 9. La transcription en marge de l’acte de mariage d’un époux étranger ayant souscrit une déclaration en vue d’acquérir la nationalité française en application de l’article 21-2 du code civil, de la mention du jugement de divorce, ayant dissous son mariage avec son épouse française, n’est pas en soi, de nature à mettre le ministère public territorialement compétent en mesure de connaître la fraude ou le mensonge qui l’autorise à exercer, conformément à l’article 26-4 du même code, l’action en annulation de l’enregistrement de cette déclaration.

« 10. En premier lieu, l’arrêt retient que, si la copie intégrale de l’acte de mariage [du demandeur] avec son épouse française comporte la mention marginale, apposée le 10 septembre 2004, du divorce prononcé le 4 décembre 2003 [NDLR : il s’agit en fait de la date de séparation], il ne résulte d’aucune de ses énonciations que l’intéressé ait acquis la nationalité française par son mariage. Il en déduit que le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux n’aurait pu suspecter de fraude sans procéder à des investigations complémentaires fondées sur des critères discriminatoires tirés des patronymes ou des lieux de naissance respectifs des époux. Il ajoute que l’acte de naissance [du demandeur] n’est pas produit mais qu’en tout état de cause, celui-ci étant né au Maroc, cet acte n’a pu être dressé ou sa transcription faite dans le ressort de la même circonscription judiciaire.

« 11. En second lieu, l’arrêt relève que si les services de l’état civil ont appelé l’attention du ministère public sur le mariage [du demandeur] avec [sa précédente épouse marocaine], c’est exclusivement en raison du séjour irrégulier de celle-ci sur le territoire français, lequel pouvait constituer un obstacle à cette célébration.

« 12. Ayant ainsi mis en évidence, d’une part, que le ministère public territorialement compétent ne pouvait supposer une fraude au seul vu de la transcription du jugement de divorce en marge de l’acte de mariage, d’autre part, que le signalement relatif au remariage n’était pas, par lui-même, constitutif d’un indice de fraude, la cour d’appel […] a légalement justifié sa décision. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 18 novembre 2020
Nº de pourvoi : 19-19003

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