Petite chronique de jurisprudence : filiation et mariage

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 19 septembre 2019, la Cour de cassation a rendu deux arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.

L’enfant a seul qualité à exercer une action en recherche de paternité

Un père décédé avait laissé pour lui succéder un fils qu’il avait reconnu en 1990. La mère du défunt et son frère avaient contesté la filiation de l’enfant et l’avaient assigné, ainsi que sa mère, aux fins d’annulation de l’acte de reconnaissance, demandant également que soit ordonnée une expertise génétique comparée de l’enfant et d’un homme qu’ils désignaient comme étant son père biologique. Leur demande ayant été rejetée l’année dernière par la cour d’appel de Fort-de-France, les requérants avaient alors formé un pourvoi en cassation, arguant que « l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder ».

L’arrêt a été confirmé aujourd’hui par la Cour de cassation au visa des articles 16-11 et 327 du code civil :

« Une demande d’expertise génétique susceptible de révéler un lien de filiation entre un enfant et un tiers suppose, pour être déclarée recevable, l’engagement par cet enfant d’une action en recherche de paternité, qu’il a seul qualité à exercer ; […] l’arrêt relève que la demande d’expertise sollicitée par les [requérants] est destinée à établir la réalité d’un lien de filiation entre [l’enfant] et [un tiers] ; […] il en résulte qu’en l’absence d’action en recherche de paternité engagée par [l’enfant], seul titulaire de cette action, la demande visant à révéler un lien de filiation entre ce dernier et [un tiers] était irrecevable ; […] par ce motif de pur droit, substitué dans les conditions de l’article 1015 du code de procédure civile, à ceux critiqués, la décision d’écarter la demande se trouve légalement justifiée. »

En l’espèce, la demande d’expertise biologique avait manifestement été motivée par des considérations d’ordre successoral, les requérant cherchant à se débarrasser d’un héritier qui les primait.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 19 septembre 2019
Nº de pourvoi : 18-18473

Un mariage sans consentement célébré à l’étranger est inopposable en France

Une femme et un homme de nationalité française s’étaient mariés à Paris en 1995. Fin 2009 et début 2010, les deux époux avaient chacun déposé une requête en divorce. Soutenant avoir découvert l’existence d’un précédent mariage de son épouse, célébré avec un autre homme à Las Vegas en 1981, l’époux avait assigné en 2012 son épouse en nullité de leur mariage célébré en 1995.

La cour d’appel de Versailles rejeta la demande de l’époux en 2017, jugeant que l’union célébrée à Las Vegas n’était pas valable, faute de consentement à mariage. L’époux avait alors formé un pourvoi en cassation, reprochant à l’arrêt, d’une part, d’avoir prononcé la nullité du mariage de 1981 plus de trente ans après sa célébration sans relever d’office la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en nullité, d’autre part, d’avoir mal apprécié l’absence de consentement à ce même mariage.

L’arrêt a été confirmé aujourd’hui par la Cour de cassation. Sur le premier point, les hauts magistrats ont fait ce rappel :

« Aux termes de l’article 2247 du code civil, les juges ne peuvent suppléer d’office le moyen résultant de la prescription ; […] cette règle s’applique même lorsque la prescription est d’ordre public ; […] il en résulte que les juges du fond ne pouvaient relever d’office la prescription trentenaire de l’action en nullité du mariage célébré [en] 1981, prévue à l’article 184 du code civil. »

Sur le second point, la Cour de cassation a renvoyé à l’appréciation souveraine des juges du fond :

« La cour d’appel a relevé que [l’épouse] avait présenté la cérémonie à Las Vegas à ses amis comme un rite sans conséquence, que le voyage n’avait pas eu pour but ce mariage puisque les bans n’avaient pas été publiés, que [les intéressés] n’avaient entrepris aucune démarche en vue de sa transcription à leur retour en France, qu’ils n’avaient pas conféré à leur enfant le statut d’enfant “légitime” puisqu’ils l’avaient reconnu, sans aucune allusion à leur mariage dans l’acte de naissance, et qu’ils avaient tous deux contracté des unions en France après ce mariage ; […] elle en a souverainement déduit que le consentement à mariage faisait défaut, de sorte que, l’union célébrée [en] 1981 étant inopposable, la demande d’annulation du mariage [de] 1995 devait être rejetée. »

Rappelons qu’en droit français « il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement » (article 146 du code civil), le défaut de consentement étant sanctionné par la nullité absolue du mariage (article 184 du code civil). Afin de lutter contre les mariages forcés, l’article 55 de la loi nº 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a complété la règle de conflit de lois applicable aux conditions de fond du mariage lorsqu’un des époux est de nationalité étrangère, en modifiant le premier alinéa de l’article 202-1 du code civil :

« Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l’article 146 et du premier alinéa de l’article 180 [du code civil]. »

Ces dispositions peuvent également s’appliquer aux mariages de complaisance.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 19 septembre 2019
Nº de pourvoi : 18-19665

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