Audience de rentrée solennelle de la Cour de cassation

Emmanuel Macron à l’audience de rentrée solennelle de la Cour de cassation (© Cour de cassation)

Comme chaque nouveau président de la République, Emmanuel Macron s’est rendu aujourd’hui à l’audience de rentrée solennelle de la Cour de cassation. Sa présence était attendue par les magistrats qui réclament depuis des années un accroissement de leurs garanties statutaires. François Hollande avait fait engager une réforme constitutionnelle en ce sens en 2013 (voir notre article du 13 mars 2013) mais elle n’avait pas été menée à terme.

Les magistrats voudraient que les magistrats du parquet soient nommés après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature et qu’ils bénéficient du même traitement disciplinaire que leurs collègues du siège. Ils revendiquent surtout la rupture du lien hiérarchique entre le parquet et le garde des Sceaux tel que défini à l’article 5 de l’ordonnance nº 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Saisi à l’initiative des syndicats de magistrats dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a cependant déclaré cette disposition conforme à la Constitution le 8 décembre dernier (voir notre article du jour).

Interrogée par des journalistes en marge de la conférence nationale des procureurs à laquelle elle participait le 15 décembre suivant, la ministre de la justice Nicole Belloubet avait dit :

« L’indépendance de la justice doit être réellement affirmée. Pour autant, le gouvernement doit conduire des politiques publiques et une politique pénale et pour le faire il a besoin de travailler en lien avec les magistrats du parquet. »

Tout cela n’a pas empêché Bertrand Louvel, Premier président de la Cour de cassation, ainsi que le procureur général Jean-Claude Marin de revenir à la charge dans leurs discours de rentrée solennelle. Rompant avec la tradition des bilans chiffrés d’activité et des doléances ordinaires, leurs propos ont été principalement axés sur l’indépendance de la justice, plus particulièrement sur celle du parquet.

Jean-Claude Marin a ainsi affirmé que l’article 5 de l’ordonnance nº 58-1270 du 22 décembre 1958 « n’est plus conforme à l’état de notre institution ». D’après lui, la conduite de la politique pénale n’implique pas de lien hiérarchique entre les procureurs et le garde des Sceaux, et il préconise qu’elle soit confiée à des procureurs généraux d’État. Il a également réclamé une plus grande autonomie budgétaire de l’institution judiciaire, en s’appuyant sur le rapport Quelle indépendance financière pour l’autorité judiciaire ?, commandé par la Cour de cassation et publié le 11 septembre 2017. Ce rapport d’un groupe de travail présidé par le professeur de finances publiques Michel Bouvier soutient qu’une telle autonomie renforcée est compatible avec la loi organique nº 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

La réponse d’Emmanuel Macron a été claire et nette : « Je ne souhaite […] pas instaurer un parquet général de la nation. » Il ne souhaite pas non plus rompre la « chaîne hiérarchique » entre la Chancellerie et le parquet, et s’en est expliqué de façon très détaillée :

« Le parquet dans la tradition française n’est en effet pas le siège. On convoque souvent la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme consacrée à l’article 5 de la Convention, qui a essentiellement pour but de protéger l’individu contre une privation de liberté arbitraire ou injustifiée. Dans ses arrêts Medvedyev et Moulin, la Cour européenne des droits de l’homme indique que pour l’application de ces garanties, le parquet n’est pas l’autorité idoine pour contrôler la prévention de liberté. »

« On en déduit trop souvent que la jurisprudence condamne le modèle français du parquet. Je crois qu’il n’en est rien à cet égard. Le parquet n’est simplement pas en raison de son rôle et non pas en raison d’un sujet lié à son indépendance, mais en raison de son rôle dans le procès, de sa fonction, il n’est pas ce tiers de confiance. C’est ainsi. Ce n’est ni en raison des modalités de nomination ou de promotion, mais par sa place et son rôle dans le procès. »

« […] Le parquet, en effet, participe tout à la fois de l’activité judiciaire et de l’action publique. Et c’est parce qu’il est en même temps les deux qu’il y a cette adhérence. C’est aussi pour cela que ce magistrat en effet doit relever à mes yeux de l’autorité de la garde des Sceaux et donc être nommé par le garde des Sceaux. »

« […] C’est l’exécutif qui est dépositaire du mandat du peuple. Je crois à la nécessité d’une politique pénale, donc définie par l’exécutif, responsable devant le Parlement et appliquée par le parquet. »

« […] Qui pourrait assurer la pureté absolue de la politique pénale en autonomie complète dans une forme de lieu atopique ? Qui ne réponde à rien ni à personne mais se porte sur lui-même ? Je ne le connais pas. Dans notre démocratie à la fin, tout doit procéder quelque part d’une légitimité du peuple. »

Le président de la République a cependant confirmé la mise en œuvre d’une réforme du statut des magistrats :

« Pour ce qui est de la nomination, je souhaite en effet que nous puissions apporter des garanties supplémentaires. Les magistrats du parquet seront donc nommés après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature et bénéficieront en matière disciplinaire de la même procédure que leurs collègues juges. »

Par ailleurs, alors que le projet de réforme constitutionnelle de François Hollande en 2013 prévoyait de réformer le Conseil supérieur de la magistrature afin, notamment, que les magistrats y soient majoritaires, Emmanuel Macron a indiqué qu’aucune modification ne serait apportée à la situation actuelle :

« S’agissant de la composition du Conseil supérieur de la magistrature auquel vous avez à juste titre rendu hommage, et je veux m’y associer, je ne souhaite pas revenir sur les équilibres atteints par la réforme de 2008. Le CSM n’est pas composé majoritairement de magistrats, ce qui favorise l’ouverture sur la société. Il est désormais présidé par les chefs de la Cour de cassation et je crois que ces équilibres sont satisfaisants. »


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