Petite chronique de jurisprudence : adoption, divorce, droit de visite et d’hébergement

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 7 juillet 2021, la Cour de cassation a rendu quatre arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.

Adoption plénière des enfants nés d’une gestation pour autrui

En l’espèce, un Français né en 1979 avait eu recours à une convention de gestation pour autrui en Inde et deux enfants avaient été reconnus à l’ambassade de France de New Delhi après leur naissance. La transcription des actes de naissance établis à l’étranger ne mentionna que le nom du père. Le conjoint d’icelui forma une demande d’adoption plénière des deux enfants en août 2017.

La cour d’appel de Douai rejeta sa demande en novembre 2019 au motif que la convention de gestation pour autrui n’avait pas été produite, qu’il n’était donc pas possible de vérifier si la mère porteuse avait définitivement renoncé à l’établissement de la filiation maternelle et consenti à l’adoption par le mari du père, et qu’il ne pouvait dès lors être conclu que l’adoption en la forme plénière était conforme à l’intérêt des enfants. Le conjoint du père forma alors un pourvoi en cassation.

Les deux arrêts (un pour chaque enfant) ont été cassés aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa des articles 16-7, 353, alinéa 1er, 345-1, 1º, et 47 du code civil :

« 4. Aux termes du premier de ces textes, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle, l’article 16-9 du même code précisant que cette disposition est d’ordre public.

« 5. Selon le deuxième, l’adoption est prononcée à la requête de l’adoptant par le tribunal judiciaire qui vérifie si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant.

« 6. Aux termes du troisième, l’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint.

« 7. Aux termes du quatrième, tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

« 8. Il résulte de ces textes que le droit français n’interdit pas le prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né à l’étranger de cette procréation lorsque le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui et que l’acte de naissance de l’enfant, qui ne fait mention que d’un parent, a été dressé conformément à la législation étrangère, en l’absence de tout élément de fraude.

« 9. Pour rejeter la demande d’adoption plénière, l’arrêt retient que l’absence de production de la convention de gestation pour autrui ne permet pas d’appréhender les modalités selon lesquelles la femme ayant accouché de [l’enfant] aurait renoncé de manière définitive à l’établissement de la filiation maternelle et qu’il en est de même du consentement de cette femme à l’adoption de l’enfant, par le mari du père. Il ajoute que, dans ces conditions, il ne peut être conclu que l’adoption sollicitée, exclusivement en la forme plénière et avec les effets définitifs qui s’attachent à cette dernière, soit conforme à l’intérêt de l’enfant, qui ne peut s’apprécier qu’au vu d’éléments biographiques suffisants.

« 10. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à justifier, en l’absence de lien de filiation établi avec la femme ayant donné naissance à l’enfant et de tout élément de fraude quant aux droits de celle-ci, un refus de l’adoption plénière fondé sur l’intérêt de l’enfant, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés. »

La Cour de cassation confirme ici sa malheureuse évolution jurisprudentielle. D’une part :

« En présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant, qui n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, ni la circonstance que l’enfant soit né à l’issue d’une convention de gestation pour autrui ni celle que cet acte désigne le père biologique de l’enfant et un deuxième homme comme père ne constituent des obstacles à la transcription de l’acte sur les registres de l’état civil, lorsque celui-ci est probant au sens de l’article 47 du code civil. »

D’autre part :

« Le droit français n’interdit pas le prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né à l’étranger de cette procréation lorsque le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui et que l’acte de naissance de l’enfant, qui ne fait mention que d’un parent, a été dressé conformément à la législation étrangère, en l’absence de tout élément de fraude. »

Bref, le juge français n’a pas à vérifier le contenu de la convention de gestation pour autrui pour s’assurer de la renonciation effective de la mère à l’établissement de sa filiation : la simple absence de cette filiation sur l’acte de naissance étranger permet l’adoption par le conjoint du père. L’affaire et les parties sont renvoyées devant la cour d’appel d’Amiens.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 7 juillet 2021
Arrêts nº 504 (nº de pourvoi : 20-10721 et nº 505 (nº de pourvoi : 20-10722)

Bons au porteur dans un divorce

En l’espèce, au cours de la procédure de divorce engagée en février 2015 par son épouse, un homme avait déclaré en avril 2015 la perte ou le vol de cinq bons de capitalisation au porteur qu’il avait souscrits avant son mariage en 1998. Ayant assigné son épouse en restitution de ces titres, icelle avait soutenu les avoir reçus par don manuel durant la vie commune. La cour d’appel d’Aix-en-Provence avait accueilli la demande en restitution en juillet 2019, relevant que le « caractère équivoque et non public » de la possession des bons au porteur par l’ex-épouse ressortait « de la propre déclaration de patrimoine faite par elle au moment de sa requête en divorce du 2 février 2015 auprès du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Draguignan, puisqu’elle ne déclarait à son actif qu’une pension mensuelle de 881,69 euros et une pension d’invalidité trimestrielle de 329 euros, sans faire état des bons au porteur ». L’ex-épouse avait alors formé un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« Vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis :

« 6. Pour accueillir la demande en restitution, l’arrêt retient que le caractère équivoque et non public de la possession de [l’ex-épouse] ressort de sa déclaration de patrimoine produite devant le juge aux affaires familiales lors de sa requête en divorce du 2 février 2015, dans laquelle elle ne déclare à son actif qu’une pension mensuelle de 881,69 euros et une pension d’invalidité trimestrielle de 329 euros, sans faire état des bons au porteur, et il en déduit que celle-ci ne justifie pas d’une possession efficace.

« 7. En statuant ainsi, alors que cette déclaration, intitulée déclaration des revenus et charges, n’avait pour objet que d’exposer les revenus et les charges de [l’ex-épouse], et non ses éléments de patrimoine, la cour d’appel, qui en [a] dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé. »

De fait, une « déclaration des revenus et charges » n’a pas pour objet d’exposer les éléments de patrimoine, de telle sorte que les bons au porteur n’avaient pas à y figurer. L’affaire et les parties sont renvoyées devant la cour d’appel de Nîmes.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 7 juillet 2021
Nº de pourvoi : 19-23030

Droit de visite et d’hébergement après la séparation d’un couple homosexuel

En l’espèce, un enfant naquit en 2013, sans filiation paternelle déclarée. Lors de sa naissance, sa mère partageait la vie d’une autre femme, avec laquelle elle se maria l’année suivante. Le couple se sépara peu de temps après et l’autre femme saisit un juge aux affaires familiales sur le fondement de l’article 371-4 du code civil afin de se voir attribuer un droit de visite et d’hébergement sur l’enfant. La cour d’appel de Colmar ayant rejeté sa demande en octobre 2019, la requérante forma un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été confirmé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« 3. L’arrêt relève que, si [l’enfant] a été conçu pendant la vie commune du couple formé par [la mère] et [la requérante], laquelle s’est investie auprès de lui et s’y est attachée, et qu’il est fort probable que sa venue au monde ait été un projet commun, les deux femmes se sont séparées lorsque l’enfant avait seulement dix-huit mois, de sorte que, quelles que soient les causes et les responsabilités de cette séparation, [la requérante] n’a pu créer de lien affectif durable avec celui-ci, désormais âgé de 6 ans et demi. Il ajoute qu’au vu de son très jeune âge, l’enfant n’a pu garder de réels souvenirs de celle-ci, même en tenant compte de rencontres ponctuelles en mai 2015, et qu’il vit désormais avec sa mère et le nouveau compagnon de celle-ci, le couple ayant donné naissance à un autre enfant. Il retient que dans ce contexte, le conflit entre les deux femmes ne s’étant pas apaisé, la mise en œuvre de rencontres entre [la requérante] et [l’enfant] ne pourrait qu’être fort déstabilisante pour lui.

« 4. En l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et s’est déterminée en considération de l’intérêt de l’enfant, qu’elle a souverainement apprécié, a légalement justifié sa décision. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 7 juillet 2021
Nº de pourvoi : 19-25515

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