Siégeant en qualité de juge suppléant de la High Court of Justice, le juge Richard Harrison a rendu aujourd’hui une intéressante décision au regard du déplacement temporaire de deux jeunes enfants vers des pays n’ayant pas signé la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Nonobstant les particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche, il nous paraît utile de signaler cette décision à l’attention de nos lecteurs.
Contexte
En l’espèce, une femme britannique et un homme jordanien s’étaient rencontrés en 2009 en Jordanie (§ 9). Mariés en 2011 en Angleterre (§ 11), ils avaient vécu la majeure partie de leur vie conjugale aux Émirats arabes unis. Ils avaient eu deux filles, nées en juillet 2013 et février 2015. L’aînée avait mal vécu un changement d’école en avril 2018 (§ 20) et la cadette avait eu de considérables problèmes de santé (§ 22). La mère s’était convertie à l’islam en juin 2018 (§ 24). La mère avait déménagé en Angleterre avec les enfants peu de temps après, avec l’accord du père (§ 26). Icelui avait pu voir ses enfants lors de visites régulières en Angleterre (§ 27) et lorsque la mère les avait amenées à Dubaï en octobre 2019 (§ 28). Les contacts ultérieurs avaient été empêchés par la pandémie de Covid-19 (§ 29). La mère avait finalement annoncé en mai 2020 au père qu’elle ne reviendrait pas à Dubaï et que leur mariage était terminé (§ 30).
Procédures
La mère avait entamé une procédure de divorce le mois suivant en Angleterre (§ 31), tandis que le père faisait de même à Dubaï (§ 32). La mère avait ensuite demandé en septembre 2020 un child arrangement order et un prohibited steps order afin que la résidence des enfants soit fixée chez elle et que le père ne puisse les soustraire à la juridiction anglaise, et elle avait obtenu gain de cause le mois suivant (§ 36). Le père avait cependant persisté à demander que ses enfants puissent passer du temps avec lui, notamment à Dubaï, en Jordanie (où vivent ses parents et sa famille élargie) et dans d’autres juridictions en dehors de l’Angleterre et du Pays de Galles. La mère s’y était opposée, de crainte que les enfants ne soient retenus dans des pays n’ayant pas signé la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (§§ 5-7).
Devant la Family Court
Le juge Richard Harrison a d’abord dû procéder à une évaluation du risque d’enlèvement au regard des principes concernant le déplacement temporaire vers un pays non signataire de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants énoncés dans la jurisprudence pertinente en l’espèce – notamment Re K (Removal for Jurisdiction: Practice) [1999] 2 FLR 1084 et Re M (Removal from Jurisdiction: Adjournment) [2010] EWCA Civ 888 –, à savoir (§ 51) :
« a) the magnitude of the risk of breach of the order if permission is given;
« b) the magnitude of the consequence of breach if it occurs; and
« c) the level of security that may be achieved by building in to the arrangements all of the available safeguards. »
Le juge Richard Harrison a rejeté l’argument de la mère selon qui l’attitude du père envers la religion aurait fondamentalement changé après leur mariage, mais il a retenu que la religion était effectivement devenue plus importante pour lui après la naissance des enfants et qu’il était devenu plus critique à l’égard de certains comportements de la mère qu’il avait jugés impudiques ou anti-islamiques (§§ 58-62). Le juge Richard Harrison a également retenu que le père s’était montré « oblivious and insensitive » à l’isolement de la mère à Dubaï (§ 62), qu’il avait manqué d’empathie et d’intuition (§ 65), et qu’il était « selfish, moody, insensitive, at times demanding » (§ 77). Le contrôle coercitif allégué par la mère n’a cependant pas pour autant été établi (ibid.).
Le juge Richard Harrison a ensuite retenu que la mère avait apostasié l’islam (à une date qui n’est pas précisée dans la décision) et que cette apostasie lui ôtait toute capacité à plaider et toute garantie tant aux Émirats arabes unis qu’en Jordanie, de sorte que ne pourrait s’y appliquer la présomption usuelle selon laquelle les jeunes enfants doivent vivre avec leur mère. Tout accord écrit ou jugement consensuel serait presque certainement rejeté par les tribunaux locaux et la chance qu’elle puisse obtenir la garde dans l’un ou l’autre ce ces pays serait « practically zero » (§ 90).
Le juge Richard Harrison a ensuite retenu que la mère craignait que le père retienne les enfants de façon permanente et que son anxiété s’était transmise aux enfants (§§ 99-100). Reconnaissant que cette inquiétude à l’idée que le père puisse enlever ses enfants s’il avait des contacts libres avec eux en Angleterre était compréhensible, le juge Richard Harrison a cependant estimé que le risque était faible : le père avait accepté qu’ils vivent en Angleterre, il n’avait jamais menacé de les enlever et il a été admis qu’il n’avait pas l’intention actuelle de les enlever ni de les retenir à l’étranger. Il était toutefois très important pour lui que ses enfants fussent élevés dans la foi musulmane ; il pouvait donc être préoccupé par la position de la mère à ce sujet et finir par considérer qu’elle n’agissait pas dans leur intérêt supérieur. Il pourrait également être influencé par sa famille élargie et prendre des mesures afin d’empêcher que les enfants soient élevés par une mère apostate. Le juge Richard Harrison a donc estimé qu’il existe un risque important que le père cherche à l’avenir à retenir ses enfants à Dubaï ou en Jordanie (§ 101). Il a également estimé que les conséquences d’une telle éventualité seraient dévastatrices pour les enfants, et que ses effets seraient durables et profonds (§ 102).
Décision
Le juge Richard Harrison a rendu une décision détaillée prévoyant des contacts d’abord médiatisés puis libres entre les enfants et leur père en Angleterre. Afin de parer le risque d’enlèvement, une alerte aux frontières sera déclenchée à chaque séjour du père en Angleterre et icelui devra remettre son passeport aux autorités. Les parents sont également incités à entreprendre une médiation familiale pour discuter des arrangements futurs et de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, en particulier pour l’éducation religieuse de leurs enfants (§§ 110-114).
- Références
- England and Wales Family Court
Date : 11 juin 2021
Décision : AA v BB [2021] EWFC 55
Décision archivée au format PDF (296 Ko, 23 p.).
Attention ! La jurisprudence et la loi évoluent en permanence. Assurez-vous auprès d’un professionnel du droit de l’actualité des informations données dans cet article, publié à fin d’information du public.