Compétence en matière d’obligations alimentaires

Courts and Tribunal Judiciary

Le juge James Munby a rendu aujourd’hui une décision intéressante en matière de compétence juridictionnelle au regard du règlement (CE) nº 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, pour connaître de la demande d’aliments introduite en Angleterre par une mère à la suite d’une procédure antérieure lancée par un père à Monaco. Nonobstant son caractère technique et les particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche, il nous paraît important de signaler cette décision à l’attention de nos lecteurs.

Contexte

En l’espèce, la requérante est une femme née en Russie et possédant la citoyenneté finlandaise, mère d’une petite fille née en France en août 2014 et conçue avec un homme né en Suède et résidant à Monaco (§ 1). La mère et l’enfant ont vécu en France de 2014 à août 2019, date à laquelle elles ont déménagé en Angleterre.

Le père avait introduit une requête devant les juridictions monégasques en novembre 2019 aux fins de faire procéder à un test de paternité et, le cas échéant, de faire déterminer le montant de sa contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant (§ 3). La mère avait de son côté introduit la semaine suivante une requête devant les juridictions anglaises en vertu de l’annexe 1 du Children Act 1989. Le test de paternité ayant eu lieu dans le cadre de la procédure monégasque avait établi en septembre 2020 la paternité de l’homme (§ 4), puis un juge de Monaco avait rendu en mars dernier un jugement par lequel il se déclarait compétent en matière d’entretien de l’enfant et de filiation ; il donnait également des instructions pour résoudre le litige concernant le lieu de domicile de la mère afin de déterminer la loi applicable à la créance (§ 5).

Le litige

Le juge James Munby avait donc à déterminer si les juridictions anglaises avaient compétence pour entendre la requête de la mère, introduite après celle du père. Au regard de la date de la requête maternelle, et nonobstant le départ ultérieur du Royaume-Uni de l’Union européenne, cette question de compétence est régie par le règlement (CE) nº 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, notamment son considérant (15) et ses articles 2, 3, 5, 12 et 13 (§§ 7-14).

L’avocat du père avait demandé la suspension de la procédure anglaise, soutenant que, même si Monaco n’est pas membre de l’Union européenne, le règlement (CE) nº 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires a un effet réflexif et doit donc être appliqué comme si Monaco était un État membre, à moins que les termes dudit règlement ne l’interdisent : le tribunal anglais aurait en effet été obligé de se déclarer incompétent si le père avait engagé sa procédure dans un État membre (§ 15).

L’avocat de la mère avait fait valoir de son côté que les principes fondamentaux sous-tendant ledit règlement – tels qu’ils ont notamment été développés par la Cour suprême du Royaume-Uni dans Villiers v Villiers (Secretary of State for Justice intervening) [2020] UKSC 30 – ruinent l’argumentation du père (§ 16).

Le sens et l’effet du règlement (CE) nº 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires

Le juge James Munby a accepté la position défendue par l’avocat de la mère et rejeté l’argumentation de l’avocat du père en énonçant neuf principes dérivés de diverses jurisprudences britanniques et européennes, lesquels mettent notamment l’accent sur la protection accordée au créancier d’aliments – étant la partie la plus faible – dans de tels litiges et sur le droit sans entrave dudit créancier de choisir la juridiction dans laquelle introduire sa demande (§ 19).

Après une analyse détaillée de deux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (§§ 20-32) et de la décision Villiers v Villiers (Secretary of State for Justice intervening) [2020] UKSC 30 (§§ 33-46), le juge James Munby considère que le moyen du père est inopérant car il est en contradiction flagrante avec les principes fondamentaux applicables au règlement (CE) nº 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, qu’il interprète de façon erronée (§ 47).

Effet réflexif du règlement (CE) nº 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires

Nonobstant cette conclusion, le juge James Munby a quand même répondu à l’argument de l’effet réflexif soulevé par l’avocat du père (§§ 48-58) :

  1. Le considérant (15) du règlement (CE) nº 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires prohibe expressément « any referral to national law » en matière de compétence ; or, l’« effet réflexif » est un principe du droit national, non du droit de l’Union européenne.
  2. Un des neuf principes énoncés par le juge (§ 19 vii) exclut la doctrine du forum non conveniens dans le contexte des affaires d’aliments relevant du règlement (CE) nº 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires.

Le juge James Munby a donc conclu que, nonobstant la procédure en cours à Monaco, les juridictions anglaises sont compétentes pour connaître de la demande d’aliments de la mère, à condition que ladite compétence puisse être fondée sur la base de la résidence habituelle, et qu’elles n’ont pas compétence pour suspendre la procédure comme demandé par le père (§ 59).

La question de la résidence habituelle de la mère

L’article 3, point b), du règlement (CE) nº 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires prévoit que « in matters relating to maintenance obligations in Member States, jurisdiction shall lie with […] the court for the place where the creditor is habitually resident ».

Etonnamment, les tribunaux anglais n’ont pas encore déterminé si le créancier d’aliments est l’enfant ou un de ses parents, la jurisprudence ayant adopté des approches contradictoires (§ 60). Le juge James Munby a estimé qu’il s’agissait du parent bénéficiaire dans le contexte du règlement (CE) nº 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires – une approche d’ailleurs préconisée par les avocats des deux parents (§§ 61-62). Cette approche éclaire la question de la résidence habituelle : pour un adulte, il s’agit de « the centre of interests », alors qu’il s’agit de « some degree of integration by the child in a social and family environment » pour un enfant (§ 63).

Après avoir rappelé la jurisprudence et les principes applicables (§§ 64-71), le juge James Munby a procédé à l’examen des éléments de preuve pour trancher la question de la résidence habituelle de la mère le 26 novembre 2019, date du dépôt de sa requête. Reconnaissant que l’avocat du père avait réussi à mettre en cause la fiabilité et l’honnêteté de la mère, en identifiant un certain nombre d’exagérations et de mensonges de sa part (§ 85), le juge James Munby a cependant estimé que cela n’affectait pas de manière significative les fondements de l’affaire en ce qui concerne la résidence habituelle : le retour de la mère en Angleterre avait été soigneusement planifié, des dispositions avaient été prises pour le logement et la scolarité de l’enfant, la mère retournait dans un pays avec lequel elle avait eu des liens importants avant 2014, l’enfant et la mère y étaient suivis par un dentiste et un médecin généraliste, et l’enfant y suivait des cours de danse et de musique en septembre 2019. Le juge James Munby s’est par conséquent déclaré convaincu que la mère avait bien établi son « centre of interests » à Londres au 26 novembre 2019, avec le degré de permanence et de stabilité nécessaire ; au surplus, l’enfant avait aussi acquis à la même date « a sufficient degree of integration in a social and family environment » (§ 88).

Il n’est pas inintéressant de relever que le juge James Munby a estimé nécessaire d’attirer l’attention des parties à la fin de sa décision sur les frais engagés dans la seule procédure anglaise : 300 308 £ pour la mère (dont 134 520 £ de frais d’avocats) et 591 464 £ pour le père (dont 338 998 £ de frais d’avocats), auxquels s’ajoutent les frais de la procédure monégasque engagée par le père et d’une procédure engagée par ailleurs en France par la mère. Au cours de ce jour (1 £ = 1,15440 €), nous laissons à nos lecteurs le soin de faire les conversions et d’estimer le train de vie probable des parents… Un indice : le père avait accepté de payer 2 225 £ par mois au titre de sa contribution à l’entretien et l’éducation de sa fille.

Références
England and Wales Family Court
Date : 13 avril 2021
Décision : C (A Child) [2021] EWFC 32

Attention ! La jurisprudence et la loi évoluent en permanence. Assurez-vous auprès d’un professionnel du droit de l’actualité des informations données dans cet article, publié à fin d’information du public.

Faire un don

Totalement indépendant, ne bénéficiant à ce jour d’aucune subvention publique et ne vivant que de la générosité privée, P@ternet a besoin du soutien de ses lecteurs pour continuer, et se développer. Si cet article vous a intéressé, vous pouvez soutenir P@ternet grâce à un don ponctuel en cliquant sur l’image ci-dessous.

helloasso

Laissez un commentaire (respectez les règles exposées dans la rubrique “À propos”)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.