Petite chronique de jurisprudence : avantage matrimonial, obligation alimentaire, succession

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 31 mars 2021, la Cour de cassation a rendu trois arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.

Clause d’exclusion des biens professionnels stipulée dans un contrat de participation aux acquêts

En l’espèce, des époux s’étaient mariés sous le régime de la participation aux acquêts. Leur contrat de mariage comportait une clause d’exclusion des biens professionnels ainsi rédigée :

« Sauf si la dissolution du régime résulte du décès de l’un des époux, les biens affectés, lors de la dissolution, à l’exercice effectif de la profession dudit époux, ainsi que les dettes relatives à ces biens seront exclus à la liquidation. »

Le tribunal de grande instance de Nantes avait prononcé le divorce des époux en avril 2013 et condamné l’ex-mari à verser une prestation compensatoire à son ex-épouse. Des difficultés étant survenues au cours des opérations de liquidation et de partage de leurs intérêts patrimoniaux, l’ex-mari avait assigné son ex-épouse en partage
de leur régime matrimonial. L’ex-épouse demandait en effet que la clause d’exclusion des biens professionnels fût qualifiée d’avantage matrimonial et réclamait une créance dont l’assiette de calcul incluait les biens professionnels.

La cour d’appel de Rennes avait rejeté la demande de l’ex-épouse en octobre 2019 aux motifs que tenir la clause litigieuse pour un avantage matrimonial relevant de l’article 265, alinéa 2, du code civil reviendrait à priver d’effet la commune intention des parties, qui était d’exclure les biens professionnels de l’assiette de calcul de la créance de participation, aux fins notamment de protéger ces biens nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle, et que ladite clause visait, non à conférer un avantage conventionnel à l’un des époux, mais à préserver les biens affectés à l’exercice professionnel de chacun d’eux en cas de dissolution par divorce. L’ex-épouse avait alors formé un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation au visa de l’article 265 du code civil :

« 5. Selon ce texte, les profits que l’un ou l’autre des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts peut retirer des clauses aménageant le dispositif légal de liquidation de la créance de participation constituent des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial et révoqués de plein droit par le divorce des époux, sauf volonté contraire de celui qui les a consentis exprimée au moment du divorce.

« 6. Il en résulte qu’une clause excluant du calcul de la créance de participation les biens et dettes professionnels des époux en cas de dissolution du régime matrimonial pour une autre cause que le décès, qui conduit à avantager celui d’entre eux ayant vu ses actifs nets professionnels croître de manière plus importante en diminuant la valeur de ses acquêts dans une proportion supérieure à celle de son conjoint, constitue un avantage matrimonial révoqué de plein droit en cas de divorce, nonobstant la qualification qu’en auraient retenue les parties dans leur contrat de mariage. »

Rappelons ici qu’il a longtemps été d’usage d’exclure dans les contrats de participation aux acquêts les biens professionnels du calcul de la créance de participation en cas de divorce, afin de sauvegarder les intérêts professionnel des conjoints. La Cour de cassation a réduit à néant la portée de ces clauses d’exclusion en 2019, lorsqu’elle a estimé qu’elles constituaient « des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial », donc « révoqués de plein droit par le divorce des époux, sauf volonté contraire de celui qui les a consentis exprimée au moment du divorce » (arrêt du 18 décembre 2019, pourvoi nº 18-26337 – voir notre chronique du jour).

Outre qu’elle confirme donc cette jurisprudence de 2019, la présente décision apporte deux précisions notables :

  1. L’avantage matrimonial est également constitué si la clause exclut du calcul de la créance des dettes professionnelles, ce qui permettrait un enrichissement de l’un des époux par rapport au dispositif légal de liquidation de la créance de participation à la dissolution du régime de participation aux acquêts (voir l’article 1574 du code civil).
  2. La révocation de cet avantage matrimonial s’impose « nonobstant la qualification qu’en auraient retenue les parties dans leur contrat de mariage » et ce n’est qu’« au moment du divorce » que les époux pourraient convenir de son maintien de l’avantage matrimonial – éventualité assez peu probable…

Nos lecteurs les plus assidus se souviennent peut-être que, suite à l’arrêt de 2019 susmentionné, le sénateur Claude Malhuret avait d’ailleurs demandé l’année dernière que l’article 265 du code civil soit complété pour que « la volonté des époux de maintenir les avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux [puisse] être manifestée dans le contrat de mariage » et que la ministre de la Justice de l’époque s’était dite « favorable à une clarification de ce texte » (question écrite nº 26514362 sur la modification de l’article 265 du code civil).

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 31 mars 2021
Nº de pourvoi : 19-25903

Clause pénale insérée dans une libéralité

En l’espèce, un frère avait assigné sa sœur aux fins d’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de leur mère. La sœur avait soulevé à l’occasion de cette instance la nullité pour dol de deux donations-partages que la défunte leur avait consenties et du testament olographe qu’elle avait laissé. Les actes de donation-partage et le testament contenaient une clause pénale stipulant que s’ils venaient à être attaqués par l’un ou l’autre des donataires ou légataires, pour quelque cause que ce soit, celui-ci serait privé de toute part dans la quotité disponible ainsi que des biens donnés.

Condamnée par le tribunal de grande instance de Nancy à verser 20 000 euros à son frère au titre de ces clauses, la sœur avait notamment fait valoir en appel qu’icelles portaient une atteinte excessive à son droit d’agir en justice. La cour d’appel de Nancy l’avait déboutée de ses prétentions en octobre 2019 et porté à 50 000 euros la somme due au titre des clauses pénales. La sœur avait alors formé un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation au visa de l’article 6, § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales :

« 6. Selon ce texte, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil.

« 7. Pour mettre à la charge de [la sœur] une indemnité de 50 000 euros, l’arrêt relève, d’abord, que les actes de donation-partage et le testament contiennent une clause stipulant que s’ils venaient à être attaqués par l’un ou l’autre des donataires ou légataires, pour quelque cause que ce soit, celui-ci serait privé de toute part dans la quotité disponible ainsi que des biens donnés. Il énonce, ensuite, que les clauses de cette nature sont valables si elles ne sont pas contraires à l’ordre public, qu’elles sont considérées comme disproportionnées lorsqu’elles ont pour effet de porter atteinte à la réserve, qu’elles doivent être proportionnelles au manquement du bénéficiaire et peuvent être modérées. Il retient, enfin, que la quotité disponible s’élève à 857 175,93 euros et que [le frère] ne justifie pas d’un préjudice supérieur à celui de ses honoraires d’avocat.

« 8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’application de ces clauses n’avait pas pour effet de porter une atteinte excessive au droit d’agir en justice de [la sœur], la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé. »

Relevons ici que la cour d’appel de Nancy a très justement précisé qu’une clause pénale adossée à une libéralité ne peut être valide que si elle n’est pas contraire à l’ordre public, et notamment qu’elle ne porte pas atteinte à la réserve héréditaire (voir en ce sens un arrêt de la Cour de cassation en date du 10 mars 1970, pourvoi nº 68-13205).

La cassation était cependant attendue puisque la jurisprudence subordonne la validité de la clause pénale – usuelle dans une donation-partage ou un testament – à un contrôle de proportionnalité et qu’une telle clause peut être remise en cause si elle porte une atteinte excessive à un droit fondamental (voir par exemple : arrêt du 16 décembre 2015, pourvoi nº 14-29285 pour le droit d’agir en justice ; arrêt du 13 avril 2016, pourvoi nº 15-13312 pour le droit de demander le partage).

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 31 mars 2021
Nº de pourvoi : 19-24407

Obligation alimentaire et participation aux frais funéraires

En l’espèce, un homme avait chargé une société de pompes funèbres de l’organisation des funérailles de son frère. N’ayant pas été réglée de ses prestations, ladite société avait assigné son client, lequel avait appelé en garantie son neveu – fils du défunt – en sa qualité d’obligé alimentaire, sur le fondement des articles 205 et 371 du code civil, mais le fils du défunt, qui avait renoncé à la succession, s’était opposé au paiement des frais d’obsèques car il n’avait pas connu son père.

Le tribunal d’instance de Châteauroux avait rejeté en décembre 2019 la demande du frère du défunt d’être garanti par son neveu et libéré celui-ci de ses dernières obligations envers son père, au motif qu’icelui n’avait jamais cherché à entrer en contact avec son fils ou à lui donner de ses nouvelles, qu’il ne s’en était jamais occupé et s’était abstenu de verser une contribution à son entretien et à son éducation. Ce comportement jugé gravement fautif affranchissait le fils de son obligation alimentaire envers son père (article 207 du code civil) et l’exonérait de sa participation aux frais funéraires (article 806 du code civil). Le frère du défunt avait alors formé un pourvoi en cassation.

Le pourvoi a été rejeté aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« 4. Aux termes de l’article 205 du code civil, les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin.

« 5. L’article 207 du même code dispose :

« “Les obligations résultant de ces dispositions sont réciproques.
“Néanmoins, quand le créancier aura lui-même manqué gravement à ses obligations envers le débiteur, le juge pourra décharger celui-ci de tout ou partie de la dette alimentaire.”

« 6. Aux termes de son article 371, l’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère.

« 7. Selon son article 806, le renonçant est tenu à proportion de ses moyens au paiement des frais funéraires de l’ascendant à la succession duquel il renonce.

« 8. Il résulte de la combinaison de ces textes que, lorsque l’actif successoral ne permet pas de faire face aux frais d’obsèques, l’enfant doit, même s’il a renoncé à la succession, assumer la charge de ces frais, dans la proportion de ses ressources. Il peut toutefois en être déchargé en tout ou partie lorsque son ascendant a manqué gravement à ses obligations envers lui. »

La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion d’affirmer, au visa des articles 205 et 371 du code civil, que « lorsque l’actif successoral ne permet pas de faire face aux frais d’obsèques, l’enfant, tenu de l’obligation alimentaire à l’égard de ses ascendants, doit, même s’il a renoncé à leur succession, assumer la charge de ces frais, dans la proportion de ses ressources » (arrêt du 14 mai 1992, pourvoi nº 90-18967 ; arrêt du 8 juin 2004, pourvoi nº 02-12750). Cette obligation pèse sur tous les débiteurs de l’obligation alimentaire (arrêt du 21 septembre 2005, pourvoi nº 03-10679), y compris sur un enfant n’ayant pas connu son père parce que né peu après son décès, l’existence d’un lien affectif direct ne constituant pas une condition au respect du devoir de piété filiale (arrêt du 28 janvier 2009, pourvoi nº 07-14272).

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 31 mars 2021
Nº de pourvoi : 20-14107

Attention ! La jurisprudence et la loi évoluent en permanence. Assurez-vous auprès d’un professionnel du droit de l’actualité des informations données dans cet article, publié à fin d’information du public.

Faire un don

Totalement indépendant, ne bénéficiant à ce jour d’aucune subvention publique et ne vivant que de la générosité privée, P@ternet a besoin du soutien de ses lecteurs pour continuer, et se développer. Si cette publication vous a intéressé, vous pouvez soutenir P@ternet grâce à un don ponctuel en cliquant sur l’image ci-dessous.

helloasso

Laissez un commentaire (respectez les règles exposées dans la rubrique “À propos”)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.