Petite chronique de jurisprudence : achat d’un logement indivis, divorce algérien

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 17 mars 2021, la Cour de cassation a rendu deux arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.

L’apport en capital pour l’achat d’un logement indivis est exclu de la contribution aux charges du mariage

En l’espèce, des époux mariés sous le régime de la séparation de biens avaient acheté en indivision un appartement destiné au logement familial, la femme ayant financé la part indivise de son mari au moyen d’un apport personnel de 105 200,18 euros. Le couple ayant divorcé, l’ex-épouse avait réclamé à son ex-mari une créance au titre de l’acquisition du bien immobilier.

La cour d’appel de Paris avait rejeté sa demande en mai 2019 pour deux motifs :

  1. La clause du contrat de mariage stipulant que chacun des époux sera réputé s’être acquitté jour par jour de sa part contributive aux charges du mariage leur interdit de prouver que l’un ou l’autre ne se serait pas acquitté de son obligation.
  2. Les versements effectués par l’un d’eux pendant le mariage, tant pour régler le prix d’acquisition d’un bien immobilier constituant le domicile conjugal que pour rembourser les mensualités des emprunts immobiliers contractés pour en faire l’acquisition, participent de l’exécution de son obligation de contribution aux charges, sauf s’ils excèdent ses facultés contributives.

L’ex-épouse n’ayant pas démontré que sa participation financière à l’acquisition du domicile familial avait excédé son obligation de contribution aux charges du mariage, aucune créance ne pouvait donc être réclamée.

L’ex-épouse avait alors formé un pourvoi en cassation que la première chambre civile de la Cour de cassation a accueilli favorablement aujourd’hui au visa de l’article 214 du code civil :

« 4. Il résulte de ce texte que, sauf convention contraire des époux, l’apport en capital de fonds personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage. »

La Cour de cassation confirme ici une jurisprudence bien établie (cf. arrêt du 3 octobre 2019, pourvoi nº 18-20828).

Rappelons ici que les dépenses entrant dans les charges du mariage sont toutes celles liées au train de vie de ménage. Entrent dans cette catégorie tant le financement du domicile familial (cf. arrêt du 11 avril 2018, pourvoi nº 17-17457, par exemple) que celui d’une résidence secondaire (cf. arrêt du 18 décembre 2013, pourvoi nº 12-17420, par exemple). Cependant, l’acquisition d’un bien à des fins purement locatives ne constitue pas une charge du mariage (cf. arrêt du 5 octobre 2016, pourvoi nº 15-25944).

Rappelons également que l’existence dans le contrat de mariage d’une clause de présomption de contribution aux charges du mariage – même réputée irréfragable – est sans incidence sur le sort d’un apport en capital puisqu’icelui est hors du champ d’application de la clause. Les époux peuvent cependant déroger à ce principe et prévoir conventionnellement qu’un apport en capital relève de la contribution aux charges du mariage.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 17 mars 2021
Nº de pourvoi : 19-21463

Divorce algérien et ordre public international

En l’espèce, une femme ayant la double nationalité algérienne et française avait épousé sans contrat de mariage un homme de nationalité algérienne en 1981 en Algérie, où les époux avaient fixé leur premier domicile conjugal. L’épouse avait acquis seule une maison d’habitation à Vénissieux en 2009. Le divorce des époux avait été prononcé en juillet 2017 par le tribunal algérien de Hussein Dey sur la requête de l’épouse. Se fondant sur ce jugement de divorce et sur le caractère séparatiste du régime matrimonial légal algérien, l’ex-épouse avait engagé une procédure d’expulsion de son ex-mari de la maison de Vénissieux. Confirmant la décision de première instance, la cour d’appel de Lyon avait fait droit à sa demande en juillet 2019 : le jugement algérien de divorce étant régulier et opposable, l’ex-épouse avait été autorisée à faire procéder à l’expulsion de son ex-mari et icelui avait été condamné à payer une indemnité d’occupation jusqu’à son départ effectif du logement.

L’ex-mari avait alors formé un pourvoi en cassation en invoquant ce moyen :

« La décision algérienne, prise en application de l’article 54 du code de la famille algérien, qui constate le divorce par compensation (Khol’â) rendu sur la volonté unilatérale de l’épouse de dissoudre le mariage sans l’accord du mari, fût-il dûment convoqué, pour des motifs que cette dernière n’est pas tenue de révéler ni de justifier, sans possibilité de donner des effets juridiques à l’éventuelle opposition du mari quant au principe du divorce, est contraire au principe d’égalité des époux lors de la dissolution du mariage. »

Le pourvoi a été rejeté aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« 4. Selon l’article 1er, d), de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 relative à l’exequatur et à l’extradition, en matière civile, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions algériennes n’ont de plein droit l’autorité de la chose jugée sur le territoire français que si elles ne contiennent rien de contraire à l’ordre public international.

« 5. Aux termes de l’article 5 du Protocole du 22 novembre 1984, nº 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, les époux jouissent de l’égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.

« 6. Lorsqu’une décision de divorce a été prononcée à l’étranger en application d’une loi qui n’accorde pas à l’un des époux, en raison de son appartenance à l’un ou l’autre sexe, une égalité d’accès au divorce, sa reconnaissance ne heurte pas l’ordre public international, dès lors qu’elle est invoquée par celui des époux à l’égard duquel sont prévues les règles les moins favorables, que la procédure suivie n’a pas été entachée de fraude et que l’autre époux a pu faire valoir ses droits.

« 7. L’article 54 du code de la famille algérien dispose :

« “L’épouse peut se séparer de son conjoint, sans l’accord de ce dernier, moyennant le versement d’une somme à titre de « khol’â« .

« “En cas de désaccord sur la contrepartie, le juge ordonne le versement d’une somme dont le montant ne saurait dépasser la valeur de la dot de parité « sadaq el mithl » évaluée à la date du jugement.”

« 8. L’arrêt énonce exactement, tant par motifs propres qu’adoptés, que toute assimilation du divorce par compensation prévu à l’article 54 du code de la famille algérien à la répudiation prévue à l’article 48 du même code doit être écartée, dès lors que le premier, prononcé à l’initiative de l’épouse, est subordonné au paiement d’une somme d’argent, tandis que la seconde procède de la seule volonté de l’époux, lequel ne peut être tenu à une réparation pécuniaire qu’en cas de reconnaissance par le juge d’un abus de droit.

« 9. Il ajoute que [l’époux] a pu faire valoir ses moyens de défense et qu’il n’établit pas que la saisine du juge algérien par [l’épouse] ait été entachée de fraude.

« 10. De ces énonciations et appréciations, la cour d’appel a exactement déduit que la décision algérienne, invoquée par l’épouse, n’était pas contraire au principe d’égalité des époux lors de la dissolution du mariage, et donc à l’ordre public international. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 17 mars 2021
Nº de pourvoi : 20-14506

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