Lors de son audience publique de ce 27 janvier 2021, la Cour de cassation a rendu deux arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.
Quand une ex-concubine perd la qualité de bénéficiaire d’une assurance-vie
En l’espèce, un père avait souscrit un contrat d’assurance sur la vie et avait désigné comme bénéficiaire sa concubine en août 2010. Le concubinage avait pris fin en mars 2015. Le père avait été placé en tutelle en juin 2015 et son fils avait été désigné en qualité de tuteur. Le juge des tutelles avait autorisé en avril 2016 le fils à faire procéder au changement de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie et à désigner les enfants du majeur protégé en qualité de bénéficiaires.
Le père étant décédé en novembre 2016, son ex-concubine avait alors formé tierce-opposition en septembre 2017 à l’encontre de l’ordonnance d’avril 2016 autorisant le changement de la clause bénéficiaire. Le juge des tutelles avait déclaré la tierce-opposition irrecevable en janvier 2018, au motif que la requérante n’avait pas la qualité de créancier.
L’ex-concubine ayant interjeté appel des deux décisions, la cour d’appel de Lyon avait débouté le fils de sa requête tendant à être autorisé à faire procéder un changement de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie souscrit par son père, au motif que l’application des dispositions des articles 1239, alinéa 2 et 3, et 1241-1 du code de procédure civile au cas d’espèce privait la requérante de tout recours contre une décision portant atteinte de manière grave à ses intérêts, ce qui était contraire à l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (droit à être entendu équitablement par un tribunal). Le fils avait alors formé un pourvoi en cassation.
La première chambre civile de la Cour de cassation lui a donné raison aujourd’hui, censurant l’arrêt de la cour d’appel de Lyon et déclarant irrecevable l’appel formé par l’ex-concubine, au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article 1239 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret nº 2019-756 du 22 juillet 2019, et de l’article 430 du code civil :
« 4. Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, par un tribunal qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil.
« 5. Il résulte de la combinaison des deuxième et troisième de ces textes que, sauf disposition contraire, les décisions du juge des tutelles sont susceptibles d’appel et que, sans préjudice des dispositions prévues par les articles 1239-1 à 1239-3, l’appel est ouvert à la personne qu’il y a lieu de protéger, son conjoint, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, à moins que la vie commune ait cessé entre eux, les parents ou alliés, les personnes entretenant avec le majeur des liens étroits et stables et la personne qui exerce la mesure de protection juridique, et ce, même si ces personnes ne sont pas intervenues à l’instance.
« 6. Il s’en déduit que seuls peuvent interjeter appel des décisions du juge des tutelles, en matière de protection juridique des majeurs, outre le procureur de la République, les membres du cercle étroit des parents et proches qui sont intéressés à la protection du majeur concerné, ainsi que l’organe de protection.
« 7. En ouvrant ainsi le droit d’accès au juge à certaines catégories de personnes, qui, en raison de leurs liens avec le majeur protégé, ont vocation à veiller à la sauvegarde de ses intérêts, ces dispositions poursuivent les buts légitimes de protection des majeurs vulnérables et d’efficacité des mesures.
« 8. Elles ménagent un rapport raisonnable de proportionnalité entre la restriction du droit d’accès au juge et le but légitime visé dès lors que les tiers à la mesure de protection disposent des voies de droit commun pour faire valoir leurs intérêts personnels.
« 9. Pour déclarer recevable l’appel formé par [l’ex-concubine] contre l’ordonnance du juge des tutelles du 25 avril 2016, après avoir constaté que celle-ci n’avait pas qualité à agir, l’arrêt retient que, si les restrictions légales à l’exercice des voies de recours contre les décisions du juge des tutelles poursuivent des objectifs légitimes de continuité et de stabilité de la situation du majeur protégé, dans le cas d’espèce, la privation du droit d’appel est sans rapport raisonnable avec le but visé dès lors que [l’ex-concubine] est privée de tout recours contre une décision qui porte atteinte de manière grave à ses intérêts.
« 10. En statuant ainsi, alors qu’elle constatait que le concubinage de [l’ex-concubine] et [du père] avait pris fin en mars 2015 et qu’après la séparation du couple, [l’ex-concubine] n’avait pas entretenu avec le majeur protégé des liens étroits et stables au sens de l’article 430 du code civil, ce dont il résultait que l’absence de droit d’appel de celle-ci ne portait pas atteinte à son droit d’accès au juge, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 27 janvier 2021
Nº de pourvoi : 19-22508
Arrêt archivé au format PDF (152 Ko, 4 p.).
Liquidation judiciaire de l’indivision consécutive à la dissolution d’un pacte civil de solidarité
En l’espèce, un couple avait acquis en indivision un bien immobilier destiné à sa résidence principale en septembre 2003 et avait souscrit le même jour deux prêts immobiliers destinés à financer cette acquisition. Un pacte civil de solidarité avait été conclu vingt jours plus tard, puis dissous en mars 2013, à la séparation du couple. L’ancienne partenaire avait ensuite assigné en mai 2016 son ex-compagnon devant le juge aux affaires familiales afin que fût ordonné le partage judiciaire de l’indivision existant entre eux.
Ayant remboursé seul l’intégralité des deux prêts pour la période couverte par le pacte civil de solidarité, l’ex-compagnon avait alors revendiqué une créance contre l’indivision, mais la cour d’appel d’Angers avait rejeté sa demande en octobre 2019. Ayant rappelé les termes de l’article 515-4 du code civil applicable à l’espèce – « Les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à une vie commune, ainsi qu’à une aide matérielle et une assistance réciproques. Si les partenaires n’en disposent autrement, l’aide matérielle est proportionnelle à leurs facultés respectives. » – et ayant constaté que l’ex-compagnon avait perçu des revenus quatre à cinq fois supérieurs à ceux de sa partenaire, la cour d’appel d’Angers avait estimé que les paiements qu’il avait effectués l’avaient bien été en proportion de ses facultés contributives, qu’il n’avait donc fait que participer à l’exécution de l’aide matérielle due entre partenaires et ne pouvait dès lors prétendre à une créance contre l’indivision. L’ex-compagnon avait alors formé un pourvoi en cassation.
La première chambre civile de la Cour de cassation a confirmé aujourd’hui la décision en tous points. Le pouvoir d’appréciation des juges du fond étant souverain en la matière, rappelons ici que les partenaires d’un pacte civil de solidarité ont tout intérêt à préciser dans leur convention le type de dépense que recouvre l’« aide matérielle » afin d’éviter toute incertitude et tout litige. Ils peuvent notamment exclure les dépenses relatives à l’acquisition de biens immobiliers (résidence principale ou secondaire), telles les échéances d’emprunt, et prévoir qu’elles feront l’objet d’un compte entre eux à la dissolution du pacte civil de solidarité.
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 27 janvier 2021
Nº de pourvoi : 19-26140
Arrêt archivé au format PDF (128 Ko, 3 p.).
Refus de l’ex-épouse de vendre le logement familial
Nous terminons cette chronique par un arrêt de la cour d’appel de Paris qui pourrait également intéresser nos lecteurs. Lors d’un divorce, il arrive qu’un des ex-époux souhaite vendre le logement familial acheté en commun mais que l’autre s’y oppose. Or, le sort d’un bien indivis requiert l’unanimité des indivisaires. Un juge peut toutefois autoriser la vente s’il démontre que le refus d’un des ex-époux met en péril l’intérêt commun.
En l’espèce, un couple s’était marié sans contrat de mariage en juillet 1984. Ils avaient procédé en mai 1998 à l’acquisition d’un bien immobilier de 200 m², financée pour partie grâce à un prêt immobilier. Une ordonnance de non conciliation rendue en février 2008 avait attribué la jouissance à titre onéreux du logement familial à l’épouse et à la fille du couple. Ayant constaté que l’époux s’engageait à régler les crédits immobiliers afférents audit logement, le juge en avait toutefois préconisé la vente, en raison des charges importantes qu’il imposait. Les époux n’étaient cependant pas parvenus à s’entendre sur ce point durant la dizaine d’années qu’avait ensuite duré la procédure de divorce.
Ayant perdu son emploi de cadre, l’ex-époux avait demandé en octobre 2018 au juge des référés du tribunal de grande instance de Paris l’autorisation de vendre seul le bien, lequel avait été hypothéqué et risquait d’être vendu aux enchères à un prix très inférieur à sa valeur. En désaccord sur le prix de vente (2,7 millions d’euros), l’ex-épouse s’était évidemment opposée à cette requête. Le juge avait cependant considéré que son refus mettait en péril l’intérêt commun et avait donné satisfaction à l’ex-époux.
Icelui avait aussitôt chargé une agence immobilière d’organiser des visites. Des acheteurs s’étaient présentés mais s’étaient désistés car l’ex-épouse leur faisait savoir qu’elle n’avait nullement l’intention de libérer les lieux. L’ex-époux ayant alors engagé une procédure d’expulsion à son encontre, l’ex-épouse avait fait appel du jugement, demandant à être seule autorisée à la vente et soutenant qu’« elle [avait] toujours été favorable à la vente du bien immobilier indivis car seul le produit de la vente [pouvait] lui permettre de se reloger avec sa fille ».
Dans son arrêt rendu aujourd’hui, la cour d’appel de Paris a cependant relevé que l’ex-épouse avait confié à une relation commune qu’elle avait « fait le choix de demeurer dans l’appartement dans l’intérêt de sa fille et “comme le bernique sur son rocher”, tant qu’elle ne [saurait] pas ce qu’elle [récolterait] après la vente ». Il était donc clair que l’ex-épouse souhaitait subordonner son accord au partage du prix, ce qui est impossible :
« La vente ne peut pas être subordonnée à un accord préalable sur la répartition du prix de vente, alors que, ni les comptes de la communauté, ni les comptes de l’indivision postcommunautaire n’ont été établis par un notaire, ce qui relève de la responsabilité des deux parties, peu important leurs situations patrimoniales respectives, étant souligné que les indemnités d’occupation s’accumulent et que la complexité ou la lourdeur des comptes (charges et fruits de l’indivision post-communautaire) s’accroît au fil du temps. »
Pour que le notaire puisse évaluer l’actif, il faut évidemment que son principal élément – le logement familial – soit vendu. La cour d’appel de Paris a donc confirmé l’ordonnance autorisant l’ex-époux à procéder seul à la réalisation de la vente. De plus, « afin d’optimiser les possibilités de vente », elle a également autorisé l’ex-épouse à le faire, cette double autorisation étant limitée à un délai de deux ans à compter de la présente décision. Une utile mise en garde est adressée aux parties :
« Il doit […] être rappelé qu’à défaut de vente ou d’accord de règlement, la vente du bien immobilier aux enchères (même occupé) est susceptible d’être judiciairement ordonnée sur l’initiative de la partie la plus diligente. »
- Références
- Cour d’appel de Paris
Pôle 3, chambre 1
Arrêt nº 20/04820 du 27 janvier 2021
Arrêt archivé au format PDF (268 Ko, 15 p.).
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