Maintien des relations avec l’enfant après séparation d’un couple homosexuel

Cour européenne des droits de l’homme

La Cour européenne des droits de l’homme a rejeté aujourd’hui la requête d’une femme qui sollicitait un droit de visite et d’hébergement à l’égard de l’enfant que son ex-compagne avait eu par procréation médicalement assistée en Belgique lorsqu’elles vivaient en couple. Loin d’être isolé, et même appelé – malheureusement – à se développer, ce genre de conflit illustre ad absurdum que l’éviction du père ne résout pas nécessairement tous les problèmes de la gent féminine…

En l’espèce, la requérante, Rachel Honner, est une ressortissante française, née en 1966 et résidant à Paris. Elle avait vécu en couple avec une autre femme de 2000 à 2012. Sa compagne avait donné naissance en 2007 à un enfant, par le truchement d’une procréation médicalement assistée réalisée en Belgique. Ayant conclu un pacte civil de solidarité en avril 2009, les deux femmes s’étaient séparées en mai 2012 (§§ 2, 4).

La mère de l’enfant s’étant alors opposée à la poursuite de toute relation entre l’enfant et son ex-compagne, icelle avait saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Créteil d’une demande de droit de visite et d’hébergement, sur le fondement de l’article 371-4 du code civil (§ 4). La requête avait été acceptée en décembre 2013, le juge ayant notamment considéré « que la naissance de l’enfant correspondait à un projet familial commun du couple et que la requérante s’était investie auprès de lui dès sa naissance » (§ 5).

La mère de l’enfant ayant interjeté appel en janvier 2014, la cour d’appel de Paris avait infirmé le jugement de première instance et dit qu’il n’y avait pas lieu d’instituer des relations entre l’enfant et Rachel Honner (§§ 6-7).

Son pourvoi en cassation ayant été rejeté en octobre 2015 (§§ 9-13), Rachel Honner avait alors introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme en avril 2016. Invoquant l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle alléguait que le refus de lui accorder un droit de visite et d’hébergement à l’égard du fils de son ex-compagne, alors qu’elle l’avait élevé pendant les premières années de sa vie, violait son droit au respect de sa vie familiale (§ 17).

La Cour européenne des droits de l’homme a estimé aujourd’hui que cette situation ne violait pas l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Voici les principaux passages de son arrêt :

« 50. […] La Cour accepte […], dans certaines situations, l’existence d’une vie familiale de facto entre un adulte ou des adultes et un enfant en l’absence de liens biologiques ou d’un lien juridiquement reconnu, sous réserve qu’il y ait des liens personnels effectifs […].

« 51. […] Il ressort […] du dossier que [la requérante] s’est investie dans [l’]éducation [de l’enfant], qu’elle s’est mise en disponibilité lorsqu’il avait quatre mois pour s’occuper au quotidien de lui et de son fils biologique […] et qu’il l’appelait maman […]. Le lien qui s’est construit entre elle et [l’enfant] tient donc, de facto, du lien parent‑enfant.

« 52. La Cour note ensuite que les parties retiennent toutes deux qu’il y a eu en l’espèce ingérence d’une autorité publique dans l’exercice par la requérante de son droit au respect de sa vie familiale, procédant ainsi à un examen du grief sous l’angle des obligations négatives que l’article 8 met à la charge des États parties.

« 53. La Cour ne partage pas cette approche. Elle […] constate […] que le fait que le lien entre [l’enfant] et la requérante est entravé ne résulte pas d’une décision ou d’un acte d’une autorité publique mais est la conséquence de la séparation de cette dernière et de [la mère de l’enfant]. [La Cour examine donc l’affaire] sous l’angle de l’obligation positive des États parties de garantir aux personnes relevant de leur juridiction le respect effectif de leur vie familiale, plutôt que sous l’angle de leur obligation de ne pas s’ingérer dans l’exercice de ce droit.

[…]

« 55. Elle rappelle qu’en matière d’obligations positives comme en matière d’obligations négatives, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble. De même, dans les deux hypothèses, les États parties jouissent d’une certaine marge d’appréciation, laquelle est de façon générale ample lorsque les autorités publiques doivent ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou entre différents droits protégés par la Convention […]. Or tel était le cas en l’espèce dès lors notamment qu’étaient en jeu, non seulement le droit au respect de la vie familiale de la requérante mais aussi le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et les droits de [l’enfant] au regard de l’article 8 de la Convention ainsi que les droits de [la mère de l’enfant] au regard de cette disposition.

« 56. La Cour rappelle également qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes, mais d’examiner sous l’angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire […].

« 57. La question qui se pose en l’espèce est donc celle de savoir si, compte tenu de l’ample marge d’appréciation dont il disposait, l’État défendeur a ménagé un juste équilibre entre ces intérêts, étant entendu que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer.

[…]

« 60. La Cour constate […] que […] la cour d’appel de Paris a retenu que les rencontres entre la requérante et l’enfant étaient trop traumatisantes pour ce dernier, et qu’il n’était donc pas dans son intérêt de les poursuivre. Sa décision est donc fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Or, comme la Cour l’a souligné ci-dessus (paragraphe 57), l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer.

« 61. […] La cour d’appel a […] relevé que [l’enfant], enfant fragile, se trouvait dans une situation traumatisante et culpabilisante, au centre d’un conflit entre la requérante et sa mère biologique, lesquelles ne parvenaient pas à échanger sans agressivité. […]

[…]

« 66. La Cour comprend la souffrance que la situation litigieuse et la réponse que lui a donnée la cour d’appel de Paris ont pu causer à la requérante. Elle estime cependant que ses droits ne sauraient primer sur l’intérêt supérieur de l’enfant.

[…]

« 68. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 8 de la Convention. »

Références
Cour européenne des droits de l’homme
Cinquième section
12 novembre 2020
Affaire Honner c. France (requête nº 19511/16)

Pro memoria :

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