Lors de son audience publique de ce 9 septembre 2020, la Cour de cassation a rendu trois arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.
Confiscation pénale d’un bien commun et droit à récompense
En l’espèce, un homme avait été déclaré coupable d’abus de confiance en juin 2017 par la cour d’appel de Rennes, laquelle avait ordonné la confiscation, à titre de produit indirect de l’infraction, d’un appartement et d’une maison appartenant au condamné et à son épouse, mariés sous le régime de la communauté légale. L’avocat de l’épouse avait demandé en mars 2018 la rectification de l’arrêt afin qu’il fût précisé que la confiscation ne portait que sur la seule part indivise des immeubles appartenant au condamné, la requérante – non poursuivie pénalement – étant de bonne foi. La cour d’appel de Rennes avait accepté de procéder à la rectification en juin 2018.
Le procureur général près la cour d’appel de Rennes avait alors contesté cette nouvelle décision pour violation des articles 1441 et 1467 du code civil, selon lesquels la liquidation de la masse commune – qui vise à fixer les droits indivis des époux – ne peut avoir lieu qu’après la dissolution de la communauté conjugale. En limitant les effets de la confiscation à la seule quote-part indivise de l’époux, la cour d’appel de Rennes avait en fait procédé à une liquidation anticipée partielle de la communauté, alors qu’icelle n’était pas dissoute et qu’aucune cause de dissolution partielle n’est prévue par la loi.
La chambre criminelle de la Cour de cassation avait d’abord sursis à statuer en octobre 2019 et demandé son avis à la première chambre civile de la Cour. Elle a confirmé aujourd’hui l’analyse du procureur général près la cour d’appel de Rennes, en apportant les précisions suivantes :
« 9. Lorsque le bien confisqué constitue un bien indivis appartenant à la personne condamnée et à un tiers, ce bien est dévolu en situation d’indivision à l’État, de sorte que les droits du tiers de bonne foi sont préservés (Crim., 3 novembre 2016, pourvoi nº 15-85.751, Bull. crim. 2016, nº 289).
« 10. Lorsque le bien confisqué constitue un bien commun à la personne condamnée et à son conjoint, la situation présente une spécificité tenant à ce qu’en application de l’article 1413 du code civil, le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu. Il en est ainsi des dettes nées d’une infraction commise par un époux seul.
« 11. Il résulte par ailleurs des articles 1441 et 1467 du code civil que, lorsque des époux sont mariés sous le régime de la communauté légale, il n’y a lieu à liquidation de la masse commune, laquelle a pour finalité la fixation des droits des époux dans celle-ci, qu’après dissolution de la communauté, et que le législateur, qui a limitativement énuméré les motifs de dissolution, n’a pas prévu de cause de dissolution partielle.
« 12. Il s’en déduit que la confiscation d’un bien commun prononcée en répression d’une infraction commise par l’un des époux ne peut qu’emporter sa dévolution pour le tout à l’État, sans qu’il demeure grevé des droits de l’époux non condamné pénalement, y compris lorsque ce dernier est de bonne foi.
« 13. Cette dévolution ne méconnaît pas les droits de l’époux non condamné pénalement, dès lors que la confiscation, qui constitue une pénalité évaluable en argent, est susceptible de faire naître un droit à récompense pour la communauté lors de la dissolution de celle-ci, déduction faite du profit retiré par elle, en application de l’article 1417 du code civil, au même titre qu’une amende encourue par un seul époux et payée par la communauté. »
Cet arrêt fait ressortir deux principes : les biens communs supportent les dettes nées de chacun des époux durant leur mariage ; les droits des époux sur les biens communs ne peuvent être individualisés tant que la communauté n’est pas dissoute. Cette indissociabilité des droits a un effet protecteur lorsque la dette naît d’un cautionnement donné ou d’un emprunt souscrit par un seul des époux puisqu’elle interdit alors la saisie de la seule « moitié indivise » des biens communs, mais protège leur intégralité (voir par exemple : arrêt du 11 mars 2003, pourvoi nº 00-22208).
- Références
- Cour de cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 9 septembre 2020
Nº de pourvoi : 18-84619
Arrêt du 23 octobre 2019 archivé au format PDF (88 Ko, 2 p.).
Arrêt du 9 septembre 2020 archivé au format PDF (88 Ko, 2 p.).
Dissimulation de patrimoine
En l’espèce, un jugement de divorce rendu en septembre 2010 avait condamné un ex-époux à verser à son ex-épouse la somme de 80 000 euros à titre de prestation compensatoire. Ayant omis de déclarer un compte courant créditeur de plus de 47 000 euros et minoré de 15 000 euros la valeur d’un bateau devant le notaire désigné pour établir le projet d’état liquidatif du régime matrimonial, l’ex-époux avait été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour organisation frauduleuse de son insolvabilité et condamné à 5 000 euros d’amende en janvier 2017.
Appel ayant été relevé de la décision, la cour d’appel de Paris avait estimé en mai 2019 qu’il s’agissait bien là de mensonges caractérisant la volonté du prévenu de dissimuler certains de ses biens et de diminuer certains actifs de son patrimoine aux fins de se soustraire aux obligations et conséquences financières découlant de la décision prononcée par le juge aux affaires familiales, et l’ex-époux avait été condamné à 10 000 euros d’amende ainsi qu’au versement de dommages-intérêts.
L’arrêt a été cassé aujourd’hui par la chambre criminelle de la Cour de cassation au visa de l’article 314-7 du code pénal :
« 8. Il résulte de ce texte que le délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité n’est caractérisé que lorsque les actes poursuivis ont pour objet ou effet d’organiser ou d’aggraver l’insolvabilité de leur auteur.
« 9. Pour confirmer le jugement attaqué sur la culpabilité, l’arrêt retient notamment que le prévenu a omis de déclarer au notaire désigné pour établir le projet d’état liquidatif du régime matrimonial le compte-courant nº […] ouvert au [Crédit commercial du Sud-Ouest] le 28 février 1995, qui était créditeur de 47 502,83 euros au 13 novembre 2007, date de l’ordonnance de non conciliation.
« 10. Les juges ajoutent que, dans le projet d’état liquidatif établi le 23 mars 2011, le notaire a mentionné un bateau Cap Camarat évalué à la somme de 75 000 euros seulement, soit 15 000 euros de moins que le prix fixé pour la vente de mai 2009.
« 11. Ils en concluent que ces éléments suffisent à caractériser la volonté du prévenu de dissimuler certains de ses biens et de diminuer certains actifs de son patrimoine, aux fins de se soustraire, au préjudice de la partie civile, aux obligations et conséquences financières découlant de la décision prononcée par le juge aux affaires familiales, l’intention coupable du prévenu résultant, en l’espèce, de la chronologie des faits comme de la pratique de ventes fictives ou d’omettre de déclarer un compte créditeur.
« 12. En se déterminant ainsi, alors que le silence gardé par une personne sur un élément d’actif de son patrimoine ou la minoration de son évaluation est sans effet sur la solvabilité et ne peut en conséquence caractériser le délit, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé. »
La chambre criminelle avait déjà jugé que le débiteur d’une pension alimentaire et d’une prestation compensatoire qui a « donné une adresse inexacte, n’a pas fourni les relevés de ses comptes à l’étranger, n’a pas révélé spontanément et rapidement qu’il était propriétaire [de plusieurs biens immobiliers] et qu’il en tirait des revenus » n’avait pas pour autant commis le délit d’insolvabilité frauduleuse dès lors que la créancière avait pu être désintéressée sans difficultés en faisant effectuer une saisie-arrêt sur un autre des comptes bancaires du débiteur (arrêt du 25 novembre 1992, pourvoi nº 91-86490). Attention : la sanction civile d’un recel de communauté (telle qu’un partage complémentaire) reste cependant possible (voir par exemple : arrêt du 26 janvier 1994, pourvoi nº 92-10513).
- Références
- Cour de cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 9 septembre 2020
Nº de pourvoi : 19-84295
Arrêt archivé au format PDF (105 Ko, 3 p.).
Donation consentie par un donateur insolvable
En l’espèce, un jugement de mars 2013, confirmé en appel en octobre 2014, avait déclaré un père coupable d’abus de biens sociaux au préjudice d’une société et l’avait condamné à payer à icelle la somme de 1 935 889 euros à titre de dommages-intérêts. En juin 2013, soit moins de trois mois après la condamnation initiale, le père et son épouse avaient fait donation à leurs deux enfants de la nue-propriété d’un bien immobilier dont ils s’étaient réservés l’usufruit. Se prévalant d’une fraude, la société susmentionnée avait engagé une action paulienne et assigné en novembre 2015 les parents et leurs enfants en révocation de la donation.
En janvier 2019, la cour d’appel de Colmar avait déclaré la donation consentie inopposable à la société victime, aux motifs suivants :
« Aux termes de l’article 1167 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, applicable en la cause eu égard à la date d’introduction de l’instance, les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits ; que si, en principe, cette action ne peut être exercée que par les créanciers dont la créance est antérieure à l’acte attaqué, l’antériorité de la créance n’est plus requise lorsqu’il est démontré que la fraude a été organisée à l’avance en vue de porter préjudice à un créancier futur ; qu’en l’espèce, si la condamnation [du père] à payer à la société […] la somme de 1 935 889 euros n’était pas définitive à la date de la donation litigieuse, le jugement prononçant cette condamnation ayant été frappé d’appel, [le père] était nécessairement conscient du risque sérieux pour lui de voir ce jugement confirmé, étant rappelé que la condamnation reposait sur des faits d’abus de biens sociaux remontant aux années 1998 à 2003, et qu’elle faisait suite à une procédure pénale d’instruction ayant duré dix ans, au cours de laquelle [le père] avait pu faire valoir tous moyens de défense ; que par ailleurs, le bien immobilier objet de la donation était le seul sur lequel la société […] aurait pu exercer des poursuites, [le père] ayant préalablement disposé du reste de son patrimoine, tant mobilier (actions de la société […]) qu’immobilier (vente d’un bien à Bormes-les-Mimosas le 16 avril 2012) et s’étant rendu insolvable, ainsi qu’il ressort d’un courrier de l’huissier chargé par la société […] du recouvrement de sa créance ; qu’enfin, la donation litigieuse ne saurait avoir été motivée par la volonté [du père] “d’organiser sa succession”, le bien ayant été donné aux deux héritiers en indivision entre eux, de sorte que l’acte était sans incidence sur le partage futur de la succession ; que le court délai, de moins de trois mois, entre la condamnation prononcée contre [le père] par le tribunal correctionnel et la donation, le montant de la condamnation, l’absence d’autre élément d’actif dans le patrimoine [du père] et l’inutilité de l’acte au regard du règlement de la succession des époux […] constituent des indices suffisants pour conclure que la donation a été effectuée pour organiser à l’avance une fraude consistant à soustraire le bien donné au gage de la société […], pour le cas où la condamnation prononcée par le tribunal correctionnel serait confirmée en appel ; que les conditions d’exercice de l’action paulienne sont dès lors réunies, tant en ce qui concerne le droit de créance de la société […] que la mauvaise foi [du père] ; qu’il convient donc d’infirmer le jugement déféré et de déclarer la donation inopposable à la société […] ; qu’en revanche, il n’y a pas lieu de “dire que l’intégralité des biens immeubles faisant l’objet de cette donation reviendra dans le patrimoine [du père] à la date de l’intervention de ladite donation pour servir le cas échéant de gage à la société […]”, l’effet de l’action paulienne étant seulement de rendre l’acte attaqué inopposable au créancier, ce qui lui suffit pour faire saisir, si besoin, le bien sorti du patrimoine du débiteur. »
La décision a été confirmée aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation.
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 9 septembre 2020
Nº de pourvoi : 19-15084
Arrêt archivé au format PDF (125 Ko, 3 p.).
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