Lors de son audience publique de ce 2 septembre 2020, la Cour de cassation a rendu deux arrêt qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs. Il s’agit dans l’un et l’autre cas de simples rappels, qui ne devraient pas être faits si les avocats aux Conseils avaient l’honnêteté de dissuader les justiciables de poursuivre des procédures perdues d’avance…
Concubinage et contribution aux charges de la vie commune
Un couple vivant en concubinage avait souscrit deux emprunts pour financer les travaux d’une maison d’habitation édifiée sur le fonds dont la concubine était propriétaire. Le couple s’était par la suite marié puis séparé. Le concubin s’était alors prévalu d’une créance sur le fondement de l’article 555 du code civil, régissant l’indemnisation de celui qui a financé une construction sur le fonds d’autrui.
La cour d’appel de Toulouse avait rejeté sa demande en octobre 2018. Ayant rappelé qu’aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune, et que chacun d’eux doit – en l’absence de convention contraire – supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées, elle avait ensuite constaté que l’immeuble litigieux avait constitué le logement de la famille et que les deux concubins avaient chacun participé au financement des travaux et au remboursement des emprunts y afférents. Elle avait aussi relevé que le concubin n’avait pas eu à dépenser d’autres sommes pour se loger ou loger sa famille et qu’il y avait investi une somme de l’ordre de 62 000 euros entre 1997 et 2002, soit environ 1 000 euros par mois. Elle en avait déduit que le concubin n’avait ainsi fait que contribuer aux dépenses de la vie courante en participant au financement des travaux, et que les dépenses qu’il avait exposées devaient donc rester à sa charge.
Le concubin avait alors formé un pourvoi en cassation, arguant que celui qui, sans intention libérale, a participé par des fonds ou par sa propre main d’œuvre au financement ou à la réalisation de constructions édifiées sur le terrain de l’autre concubin a droit à une indemnisation sur le fondement de l’article 555 du code civil, sans que puisse faire obstacle à son droit à remboursement la considération que les sommes qu’il a versées constitueraient une participation normale aux charges de la vie commune.
Le pourvoi a été rejeté aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :
« 5. De [ses] énonciations et constatations, faisant ressortir la volonté commune des parties, la cour d’appel a pu déduire que [le concubin] avait participé au financement des travaux et de l’immeuble de sa compagne au titre de sa contribution aux dépenses de la vie courante et non en qualité de tiers possesseur des travaux au sens de l’article 555 du code civil, de sorte que les dépenses qu’il avait ainsi exposées devaient rester à sa charge. »
Il est à noter que l’issue d’une telle action est plutôt aléatoire, selon la façon dont sont prévues les modalités de prise en charge par chacun des concubins des dépenses de la vie courante, notamment celles relatives au logement de la famille (cf. arrêt du 5 mars 2003, pourvoi nº 01-16033 ; arrêt du 16 mars 2017, pourvoi nº 15-12384 ; arrêt du 29 mai 2019, pourvoi nº 18-16834).
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 2 septembre 2020
Nº de pourvoi : 19-10477
Arrêt archivé au format PDF (131 Ko, 2 p.).
Recel successoral
Un père avait consenti une donation-partage d’un bien immobilier au profit de ses deux fils en décembre 1978. Après son décès en mars 2004, son épouse et un de ses fils avaient renoncé à la succession, tandis que l’autre fils l’avait acceptée sous bénéfice d’inventaire. Les deux frères s’affrontèrent lors du règlement successoral. Celui qui avait renoncé à la succession assigna en janvier 2007 l’autre en partage du bien immobilier donné par leur père, puis assigna en intervention forcée ses deux neveux, auxquels leur père avait donné la nue-propriété de sa moitié indivise du bien. Celui qui avait accepté la succession assigna l’autre à son tour en mai 2013 pour faire constater qu’il avait bénéficié de donations déguisées de la part de leur père et que celles-ci devaient être rapportées à la succession, ainsi que pour le faire condamner à lui payer les sommes correspondantes.
Condamné pour recel successoral par le tribunal de grande instance de Marseille en mai 2016, puis par la cour d’appel d’Aix-en-Provence en mars 2019, le frère ayant renoncé à la succession avait été déchu de son droit d’option et réputé accepter purement et simplement la succession. Il avait également dû rapporter à la succession la somme recelée (3 779 000 euros), augmentée des intérêts au taux légal à compter du décès, sans pouvoir prétendre à aucune part dans cette somme. Il avait alors formé un pourvoi en cassation, soutenant que les demandes en rapport d’une donation dont aurait bénéficié un héritier et en application de la sanction du recel successoral ne peuvent être formées qu’à l’occasion d’une instance en partage judiciaire, dont la cour d’appel d’Aix-en-Provence n’avait pas été saisie.
L’arrêt a été partiellement censuré aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa des articles 792, 822 et 843 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi nº 2006-728 du 23 juin 2006 :
« 7. Aux termes du premier de ces textes, les héritiers qui auraient diverti ou recelé des effets d’une succession sont déchus de la faculté d’y renoncer ; ils demeurent héritiers purs et simples, nonobstant leur renonciation, sans pouvoir prétendre aucune part dans les objets divertis ou recelés.
« 8. Selon le dernier de ces textes, tout héritier, même bénéficiaire, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément par préciput et hors part, ou avec dispense de rapport.
« 9. Les demandes en rapport d’une donation déguisée dont aurait bénéficié un héritier et en application de la sanction du recel successoral ne peuvent être formées qu’à l’occasion d’une instance en partage successoral.
« 10. En accueillant les demandes formées par [l’héritier ayant accepté la succession] à l’encontre de [son frère] en application des sanctions du recel successoral et en rapport des libéralités dont celui-ci aurait été gratifié par leur père, alors qu’elle n’est pas saisie d’une demande concomitante en partage de la succession, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
La Cour de cassation confirme ici une jurisprudence bien établie (cf. arrêt du 4 janvier 2017, pourvoi nº 15-26827 ; arrêt du 13 décembre 2017, pourvoi nº 16-26927 ; arrêt du 6 novembre 2019, pourvoi nº 18-24332).
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 2 septembre 2020
Nº de pourvoi : 19-15955
Arrêt archivé au format PDF (182 Ko, 5 p.).
Attention ! La jurisprudence et la loi évoluent en permanence. Assurez-vous auprès d’un professionnel du droit de l’actualité des informations données dans cet article, publié à fin d’information du public.