Adoption et paternité putative

Courts and Tribunal Judiciary

La Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles s’est prononcée aujourd’hui dans une affaire assez singulière, où une mère souhaitait que son bébé soit confié à l’adoption sans que le père putatif de l’enfant en soit informé. On peut certes penser qu’une telle situation n’est pas très courante, mais il se trouve que la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles avait déjà eu à se déterminer dans trois autres affaires similaires à la fin du mois de janvier dernier. Nonobstant les particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche, il nous paraît intéressant de signaler la décision d’aujourd’hui à l’attention de nos lecteurs – nous savons que certains s’intéressent beaucoup à ce genre d’affaire. Nous précisons également pour nos lecteurs non anglophones, qui ne pourront pas lire les deux décisions annexées à la présente chronique, que les faits se déroulent dans un milieu social communément qualifié de déshérité.

En l’espèce, l’appelante est la mère de trois enfants : un garçon (de presque trois ans) et deux filles (l’une âgée d’un peu moins de deux ans, l’autre âgée de neuf mois). Elle est séparée du père des deux aînés, icelui n’exerçant l’autorité parentale qu’à l’égard du garçon (§ 2). Ayant dissimulé sa dernière grossesse jusqu’à un stade très avancé, la mère avait fini par dire à sa famille, puis à une sage-femme, que le bébé à naître était aussi l’enfant du père des aînés, ce qu’elle avait répété à un travailleur social après avoir exprimé sa volonté que le bébé soit adopté à la naissance (§ 3).

Le bébé naquit en juillet 2019. Ayant quitté l’hôpital sans le voir, sa mère donna son consentement pour le placement du bébé deux jours après la naissance, affirmant de façon catégorique qu’elle ne donnerait pas d’informations sur le père. Elle confia cependant huit jours plus tard à un travailleur social que le père du bébé n’était pas celui des aînés mais un autre homme, avec qui elle avait eu une aventure un soir d’ivresse et qu’elle n’était pas en mesure d’identifier (§ 4).

La mère donna son consentement à l’adoption en octobre 2019 (§ 5). Les services sociaux demandèrent en décembre 2019 une attestation selon laquelle il n’était plus nécessaire d’identifier ou localiser le père et la famille paternelle du bébé, mais sollicitèrent par ailleurs qu’un test de paternité soit réalisé sur le père des aînés. La cour d’appel ayant relevé l’incompatibilité des deux demandes, les services sociaux l’informèrent qu’elle résultait d’une mauvaise communication interne, et qu’ils tenaient finalement à ce que la paternité du bébé soit établie pour, le cas échéant, pouvoir consulter le père quant à la procédure d’adoption (§ 6).

L’affaire fut instruite en première instance par le juge Nicholas Marston à partir de la fin de l’année dernière. La mère reçut l’ordre de donner le moyen de contacter le père des aînés afin que puisse être réalisé un test de paternité, mais elle commença par refuser, expliquant qu’il avait eu un comportement désagréable envers elle et sa famille et qu’elle craignait sa réaction s’il apprenait la naissance d’un troisième enfant. Elle finit cependant par demander qu’un test génétique soit réalisé uniquement sur elle et ses deux aînés pour établir que leur père n’était pas celui du bébé (§§ 7-10).

De leur côté, les services sociaux s’opposèrent au test sur les deux aînés sans qu’en soit informé leur père, icelui exerçant l’autorité parentale sur le garçon et bénéficiant du droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (§ 12).

Le juge Nicholas Marston rendit une décision ex tempore en février dernier, ordonnant de nouveau à la mère de donner le moyen de contacter le père des aînés afin que puisse être réalisé un test de paternité (§ 14). La mère fit alors appel de la décision, arguant notamment que le juge Nicholas Marston avait laissé entendre qu’il conduirait peut-être encore une audience avant de se prononcer (§§ 16-17).

Dans la décision rendue aujourd’hui par la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles, le juge Peter Jackson a rejeté le premier motif d’appel : ayant bien pris en compte toutes les déclarations de la mère ainsi que les observations de son avocat, le juge de première instance avait finalement estimé qu’une audience supplémentaire n’était pas nécessaire et il n’y avait là aucun vice de procédure (§ 20).

Sur le fond, le juge Peter Jackson a confirmé le lien établi en première instance entre la notification de la naissance et le test de paternité, en s’appuyant sur une triple décision qu’il avait déjà eu à prendre le 29 janvier dernier, A, B and C (Adoption: Notification of Fathers And Relatives) [2020] EWCA Civ 41, qu’on trouvera annexée à la présente chronique. Bien qu’assez technique et propre au cadre législatif d’outre-Manche, le raisonnement suivant nous paraît mériter d’être reproduit in extenso :

« 21. In a case where a mother wishes a child to be placed for adoption without notifying the father, but where there is uncertainty about the identity of the father, the issues of notification of the birth of the child and paternity testing are interlinked. The approach identified in A, B and C at paragraph 89 contemplates an individual being a putative father, although in one of the two cases where the issue concerned notification of a father, paternity had not been confirmed. A putative father is a person thought to be the father, although paternity has not been formally confirmed. The present case concerns a possible father, someone who may or may not be the father. Such uncertainty about paternity is to be regarded as one of the other relevant matters referred to at sub-paragraph 6(9) of the summary at paragraph 89 in A, B and C. If the court, on all the available information, considers that there is a substantial possibility that a person may be the child’s father, that will be a factor to be taken into account alongside other factors bearing on the decision concerning notification. The weaker the possibility, the less likely the court will be to direct an investigation of paternity that compromises the mother’s wish for privacy.

« 22. This is not the occasion for a full review of the ethical issues surrounding sibling testing, and the following observations are directed at the situation that may arise when sibling testing is proposed as a means of clarifying the parentage of a child whose mother seeks adoption.

« 23. The power under the Family Law Reform Act 1969 to make an order for scientific testing to establish parentage applies only to parties to the proceedings. The Human Tissue Act 2004 (Sections 5 and 45 and Schedule 4) makes it an offence to take DNA from a child who is not competent to provide consent without the consent of a person with parental responsibility. Individual parental consent is therefore sufficient as a matter of the criminal law. However, concern has been widely expressed about the appropriateness of paternity testing on demand, particularly where it is based on the consent of one parent alone. For example, the British Medical Association guidance to doctors, Consent in paternity testing, updated December 2019, says this under the heading “Ethical obligations”:

« “Although, legally, paternity testing testing may be undertaken without further investigation where the necessary consents have been obtained, from an ethical perspective, the BMA considers that health professionals should agree to provide assistance with testing only where this is considered to be in the best interests of the child or young person.”

« In relation to “motherless testing” the guidance advises doctors to advise against it and not to participate in it.

« “Legally, where the putative father has parental responsibility for the child, motherless testing (tests which do not involve testing the mother’s DNA) could be undertaken without the knowledge of the mother.

« “The BMA believes that this could be very harmful to the child, as well as to the family unit as a whole, and would prefer to see a situation in which the consent of all parties is required for paternity testing.”

« The Department of Health publication Good Practice Guide on Paternity Testing Services (May 2008) similarly expressed the view that motherless testing should not be undertaken by paternity testing companies unless such a test has been directed by a court.

« 24. In my view, concerns about the harm that “motherless” testing may cause are also potentially relevant to “fatherless” testing: testing without notice to a father. Such covert testing of another child may amount to an unlawful breach of the Article 8 rights of that child’s father and of the child. Social workers will need to take account of these legal and ethical issues when making a judgement about the appropriateness of such testing. For its part, a court should in my view be extremely cautious before approving the testing of possible siblings as a means of clarifying the parentage of a child whose mother seeks adoption. It should reflect on the fact that in the presence of one secret (the birth of the child) it is, as a public body, being asked to endorse another secret (covert testing). It should think beyond the testing to the possible consequences. The inherent ethical objections to sibling testing are therefore only likely to be overcome in compelling circumstances where the clarification of parentage is necessary and where standard paternity testing is for some reason not an acceptable option. In any case, such a course should only be contemplated after a thorough analysis that takes full account of the interests of the possible siblings. »

En accord avec les deux autres magistrats de la formation collégiale, le juge Peter Jackson a rejeté l’appel sur ces conclusions :

« 25. […] (1) The judge was right to resist the proposal for sibling testing. Even if the testing did not produce unexpected results, it would in the circumstances of this case be a disproportionate interference with the rights of the other children and their father. Those other children would unwittingly become involved in the secrecy requested by the mother. The factors speaking against informing [the possible father] of [the baby girl]’s birth are not by any means strong enough to justify taking that course.

« (2) As sibling testing is not an appropriate alternative means of establishing paternity in this case, the mother’s argument that it is unnecessary to seek standard paternity testing falls away. The rights and interests of all parties must be considered and balanced.

« (3) When making the central decision to refuse to endorse adoption without clarification of [the baby girl]’s paternity, the judge had all relevant factors in mind and he cannot be said to have given inadequate weight to factors relied on by the mother or excessive weight to factors relied on by the other parties. He took a balanced view of the evidence and made appropriate allowances for the mother’s position. He reminded himself that there was an issue about paternity but he clearly found that there was a substantial possibility that [the possible father] is [the baby girl]’s father, as the mother had repeatedly said, not only to professionals but to members of her own family, who were in a better position to know whether that was plausible. In the end he found that the overriding factor was that [the baby girl], whatever her future may hold, should be provided with as much knowledge of her parentage as possible, so that she can know throughout her life whether she has siblings and whether their father is her father. The judge’s decision was a proper one in the circumstances of the case. »

Références
England and Wales Court of Appeal (Civil Division)
Date : 30 avril 2020
Décision : L (Adoption: Identification of Possible Father) [2020] EWCA Civ 577

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