Au lendemain de la loi du 18 novembre 2016 qui a soustrait les divorces à la compétence exclusive des juges, les avocats constituent le principal obstacle au règlement pacifique des différends familiaux et, par conséquent, la principale source de déséquilibre dans la croissance morale et psychologique de l’enfant du divorce. C’est donc à la résolution de ce problème que les parents et surtout les pères divorçants doivent s’atteler.
1. Mercantilisation du droit
Qu’est-ce que le droit ? Le droit est l’ensemble des règles que se donne une société pour régir sa vie propre.
Il n’a donc, par principe, aucune vocation à faire l’objet d’une appropriation privée, encore moins d’un commerce entre deux personnes privées.
La principale difficulté provient de ce qu’en dépit de son universalité, le droit s’adresse, toutefois, au citoyen individuel : son point d’application (l’individu) et son point d’aboutissement (l’harmonie collective, la paix civile) ne coïncident pas. C’est dans cette brèche que s’engouffrent les barreaux, une brèche qu’ils ne cessent d’élargir. Du coup, l’origine de la règle elle-même ne cesse de s’individualiser à son tour : les référendums, outils de démocratie directe, le cèdent de plus en plus aux comités d’experts ou de sages, en faible nombre, tant en amont qu’en aval de la matrice législative. À un moindre degré, le Parlement, mal élu (et peuplé d’avocats), les barreaux, pas élus, prennent le pas sur les voies normales de l’expression démocratique, tels les partis. Ceci sans parler des intérêts privés et autres lobbies, toujours actifs dans les couloirs ministériels ou dans les loges.
Mais le droit appartient toujours au citoyen, c’est-à-dire à l’individu en tant que membre – anonyme – du corps social, et se pensant comme tel. L’élaboration de la loi relève de la démocratie. À travers les textes, c’est son destin que le peuple écrit. Le caractère démocratique de la loi a cependant un effet pervers : il constitue des minorités (dès qu’il y a vote, il y a minorité) et donc des groupes de citoyens qui vivent l’obéissance comme une contrainte. Et, par voie de conséquence, un pouvoir qui veille à l’application de la loi. Ce pouvoir ne peut toutefois avoir d’autre source que la loi même, c’est-à-dire le peuple souverain.
Si le citoyen individuel, de par sa conscience rationnelle, est soumis à la loi, le couple humain, de nature très différente, l’est beaucoup moins. Un couple n’est pas une démocratie, du fait du nombre double de ses membres. Quand deux époux sont en désaccord, va-t-on organiser un vote ? Cela ne donnerait rien puisqu’ils sont deux. On pourrait, comme c’est le cas dans certaines assemblées, accorder à l’aîné(e) voix prééminente. Mais le jeu de l’amour ne le tolérerait pas. Il faut donc qu’une tierce personne s’en mêle.
C’est ici la seconde brèche dans laquelle l’avocat, proposant ses déférents services, pense pouvoir s’engouffrer. La tierce personne, ce sera lui. Il n’a, pourtant, aucune vocation à l’être.
2. Une fonction infantilisante
À l’heure où 48 % des français désavouent la justice (sondage IFOP-L’Express du 29 octobre 2019 – déjà en 2013, un sondage du même institut avait révélé que 86 % des français estimaient que la justice discriminait le parent paternel dans les séparations de couple), la question des avocats se repose donc avec acuité. Lors de la procédure d’adoption, déjà évoquée, du projet de loi du 18 novembre 2016, visant à déjudiciariser le divorce, ceux-ci étaient déjà parvenus non seulement à se réintroduire dans le jeu mais avaient obtenu que même dans une procédure déjudiciarisée, leur double intervention – on ne parlera plus de « ministère » – reste obligatoire. On reste sous le signe de la parité mais, comme on passe de deux à quatre, une majorité peut se dégager, à cette réserve près toutefois que les deux confrères/consœurs restent d’accord, c’est-à-dire, comme d’habitude, ne prennent pas fait et cause chacun pour leur client ou leurs enfants (mais en ce cas, il y a l’Ordre !).
Les avocats ont, à plusieurs titres, un rôle infantilisant. À quoi bon réinsérer le couple dans le jeu social si la société en question ne les considère comme des adultes responsables et si, pour faire bref, la malédiction de Roméo et Juliette se mue en celle de Philoctète ?
Comme ils ont été capables de bâtir et, un temps, de régir leur union – avec l’appui du groupe social, les époux devenus parents sont capables de régir leur séparation et, en particulier, de régler ensemble le sort des enfants, prolongement indéfectible de cette union et définitive victoire de leur amour sur la mort. Ils sont encore capables de dissocier le parental du conjugal. Certains couples parviennent à se séparer sans avoir jamais recours à l’entregent de l’avocat ni du personnel judiciaire en général. Normalement tous devraient et doivent l’être. Ce sont les mères qui amorcent le processus d’infantilisation car, certaines de « gagner » (l’usage de ce terme est déjà en soi une marque d’infantilisme), elles regimbent à une solution amiable, et les pères, puérilement redevenus des « mecs », s’engagent à leur tour dans une logique d’affrontement dont ils se savent pourtant devoir sortir perdants.
Or, si cette réintroduction d’un tiers dans le processus de séparation a certes pour effet d’injecter de la démocratie dans la séparation – fonction antérieurement dévolue au juge – elle dépossède d’abord les parents de leur responsabilité éducative, et même citoyenne. Elle les infantilise. D’autre part, elle ôte à la séparation son caractère strictement conjugal et l’élargit au parental. C’est une œuvre de haine. Peut-être est-ce la raison (plutôt que la raison financière, trop vite brandie) qui a conduit les parlementaires-avocats à dédoubler à leur tour les avocats-conseils qui « enveloppent » les divorçants de leur bienveillante protection. Ouf ! le dialogue est sauf ! Sauf qu’il est, de fait, dérobé aux époux, lesquels ne divorcent plus mais « sont » divorcés.
Dans certains cas, les parents ne sont même pas infantilisés puisque, finalement, on leur « prend » l’enfant, mais réduits au rang d’étalon (ou de génisse), ils sont purement et simplement bestialisés. La famille est détruite, la démocratie est dénaturée et la dignité humaine vole en éclats. La psychologie de l’avocat est décidément complexe.
3. Le marché de la souffrance humaine
Les avocats craignent pour leurs revenus. Tant qu’il y a de la souffrance, il y aura du beurre dans les épinards. Alors, creusons, s’il le faut avec nos ongles, le sillon de la souffrance ! Le marché du divorce et de la séparation représente aujourd’hui environ six milliards d’euros. Au 1er janvier 2018, il y a environ 67 000 avocats inscrits au barreau, mais tous ne font pas « du civil », encore moins du droit familial. Évaluons le nombre des civilistes spécialisés dans le droit de la famille à 40 000.
Les charges auxquelles est soumise la profession sont lourdes, sans doute (entre 60 et 70 % sont prélevés à des titres divers par différents organismes, à commencer par l’État lui-même). Il reste un beau pactole. De cet appauvrissement du justiciable, il a été décidé que le père serait l’angle mort. Caressant indéfiniment l’espoir de recouvrer la responsabilité éducative de ses enfants, il nourrira indéfiniment l’enfant-avocat… qui n’est pourtant pas son enfant.
Tel est le vrai visage du « noble féminisme » de l’avocat. Lorsqu’on sait qu’avec le différentiel des taux de mortalité, les donations entre vifs, les dispositifs testamentaires, etc., les femmes peuvent finalement détenir près de 75 % des valeurs mobilières et immobilières (c’est le cas par exemple aux États-Unis), on prend la mesure de son imposture. Si, quelque part, féminité et maternité communiquent (c’est loin d’être assuré), l’avocat est bien celui qui aura réussi à faire croire qu’il est parvenu à établir cette communication.
Il n’y a guère de solution à ce problème, ou plutôt il n’y en a qu’une si l’on souhaite vraiment préserver l’intérêt du justiciable et reconstruire sa dignité, ce qui, de toute façon, demandera du temps, beaucoup de temps. Cette solution, c’est de supprimer les barreaux et de leur substituer des médiateurs, des couples de médiateurs, l’idée d’un couple « homme-femme » s’avérant, ici, pertinente. Car tout, dans la tâche de l’avocat, relève de l’inéchangeable, du non-transactionnel : l’amour est abondant (l’échange requiert la rareté), l’amour a une valeur infinie (l’infini ne s’échange pas), l’amour est partagé (nul n’en a le monopole et seul ce qui fait l’objet d’une appropriation privée peut être échangé), et enfin, tout simplement, il conditionne l’échange, en amont duquel il s’inscrit donc.
Il faut supprimer les Ordres et l’Ordre, il n’y a pas d’autre solution.
On entend d’ici le concert de protestations : au moins, laissez-nous exercer notre profession en libéral ! Qu’on puisse recourir à nos services si on le souhaite ! Nous ferons ainsi la démonstration de notre compétence, ou simplement de notre utilité. À défaut de la loi tout court, la loi du marché ! Mais cette solution ne serait qu’une cote mal taillée. Le droit ne se monnaye pas. Le droit ne se négocie pas.
4. Imposture et mensonge
Il y a donc un formidable mensonge à prétendre que le droit puisse être l’objet d’une appropriation privée, puis d’une transaction. Un mensonge d’une rare violence, dont bien d’autres violences sont issues. Ce mensonge démarre dès la désignation, puisque, censément, l’avocat est appelé (ad-vocatus) par le client à plaider en sa faveur, alors qu’en fait sa médiation est rendue obligatoire par les « textes » – ceux du code de procédure civile en l’occurrence. Il se prolonge dans l’appellatif « maître », puisque celui-ci suggère que la connaissance de la règle de droit, jurisprudence comprise, implique une connaissance spécifique, ce qui est faux, foncièrement faux.
Que l’inscription de l’enseignement du droit dans les maquettes des programmes scolaires doive être une ardente obligation du législateur, cela appert, et ce, dès l’école primaire, main dans la main avec l’enseignement de la philosophie qui en permet seule la mise en perspective.
Comment, sinon, se plaindre de ce que les avocats promettent sans barguigner une « refonte de l’organisation familiale » dont ils savent pertinemment qu’elle n’aura jamais lieu ? Comment, à défaut, se lamenter du plaisir qu’ils prennent à cette fausse promesse ? Comment, sinon, regretter, la larme à l’œil, que ces individus opèrent entre les gens des discriminations fondées sur des critères biologiques, autrement dit fassent acte de racisme, un racisme d’une nature singulièrement sournoise puisqu’il se déploie sous l’égide de la loi, du droit, de son lexique, et même de la volonté du peuple ?
Tout cela, tout cela est dès le départ inscrit dans la torsion infligée au droit qui fait de celui-ci un objet d’échange, une marchandise.
L’efficacité de la loi, du droit tout entier, repose sur une articulation du singulier et de l’universel. Le singulier s’érige en loi universelle par une raison ascendante et l’universel entre dans les faits par une raison descendante. Mais il y a d’évidence une autre solution pour restaurer la communication entre les deux registres que le recours aux bons offices des avocats, c’est de raisonner, ce que les avocats, avec la même évidence, ne savent pas faire. Ceux-ci identifient leur destin singulier avec celui, universel, du droit, et lorsqu’un citoyen, un simple citoyen, prétend défendre ce même droit, ils le persécutent en oubliant, à la fois, loi morale et norme de droit.
L’auteur de ces lignes, militant du droit de l’enfant à ses deux parents, s’est vu retirer l’autorité parentale pour la simple raison qu’il s’opposait à l’internement de son fils, lequel manifestait sa volonté de vivre avec son père au moyen d’une déscolarisation assidue. Déjà auparavant, ce même enfant, victime de viol, avait vu sa parole désavouée.