Contestation entre père biologique et père d’intention

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 12 septembre 2019, la Cour de cassation a rendu un arrêt qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs, même si l’affaire traitée est quelque peu borderline »: floué par la mère porteuse qui avait revendu l’enfant à un autre couple, le « père biologique » d’un enfant né par gestation pour autrui contestait la paternité du « père d’intention »… L’affaire est suffisamment rocambolesque pour la narrer en détails.

En l’espèce, un couple d’homosexuels toulousains avait contracté en 2012 une convention de gestation pour autrui avec une femme, résidant dans le Loir-et-Cher. Aux termes de cette convention, la femme s’engageait à porter – moyennant une rémunération de 15 000 euros – un enfant qu’elle concevrait avec le sperme d’un des deux hommes, Alexandre Lerch. Le compagnon du père biologique reconnut l’enfant au cours de la grossesse. Considérant par la suite que les deux homosexuels n’étaient pas à la hauteur de leur « projet parental » et qu’elle pouvait gagner davantage pour éponger ses dettes, la femme fit croire aux commanditaires que le bébé était décédé à sa naissance, en mars 2013, alors qu’elle l’avait en réalité revendu – pour 15 000 euros supplémentaires – à un couple hétérosexuel auquel avait été refusé l’agrément pour adopter et dont l’homme avait aussi reconnu l’enfant en septembre 2012…

Alexandre Lerch finit par découvrir la supercherie et porta plainte pour escroquerie à l’encontre de la mère porteuse, laquelle fut interpellée et mise en examen. L’enquête pénale permit notamment d’établir qu’Alexandre Lerch était bien le père biologique de l’enfant et que la mère porteuse n’en était pas à son coup d’essai. Après avoir donné son cinquième enfant – « non désiré » – à un couple parisien en 2008, elle avait commencé à proposer ses services – cette fois rémunérés – sur le site aufeminin.com et divers autres forums, utilisant les pseudonymes d’« ange sincère » ou « petite cigogne ». Elle avait ainsi déjà accepté en 2010 de porter un enfant pour un couple homosexuel de Loire-Atlantique, également pour 15 000 euros, puis avait revendu l’enfant à un autre couple homosexuel résidant au Luxembourg – faisant là aussi croire au premier couple que l’enfant était mort-né, et taisant le fait que son père biologique était son propre mari…

À l’audience tenue devant le tribunal correctionnel de Blois le 26 janvier 2016, le vice-procureur Jean Demattéis requit à son encontre un an d’emprisonnement, dont neuf mois avec sursis, et réclama deux mille euros d’amende avec sursis à l’encontre de chacun des couples d’acheteurs pour provocation à abandon d’enfants. La mère fut finalement condamnée le 22 mars suivant à un an de prison avec sursis, sans avoir pour autant à rembourser les sommes versées par les couples avec lesquels elle avait été en contact – ceux-ci étant condamnés conformément aux réquisitions du ministère public. Il convient de relever sur ce point que ce n’est pas la vente de ses enfants qui fut reprochée à la mère, mais l’escroquerie des acheteurs, ce qui en dit long sur l’intérêt porté aux enfants par le système judiciaire français… L’association des Juristes pour l’enfance s’était d’ailleurs constituée partie civile dans cette affaire « afin de défendre les droits des enfants, non représentés à l’instance alors qu’ils sont les seules victimes et que tous les protagonistes, vendeuse et acheteurs, sont coupables envers eux [1] ».

Une deuxième bataille judiciaire avait été parallèlement engagée pour établir la filiation du petit garçon né du sperme d’un homme, mais reconnu par un autre. Alexandre Lerch avait assigné le 19 juillet 2013 le père déclaré et la mère porteuse en contestation de la paternité du premier et en établissement de sa propre paternité sur l’enfant ; il demandait également le changement de nom de l’enfant, la fixation de sa résidence chez lui et l’exercice exclusif de l’autorité parentale. Le tribunal de Dieppe se prononça en sa faveur en mars 2017, prévoyant un transfert progressif de l’enfant vers le foyer d’Alexandre, non sans avoir préalablement souligné l’effet dévastateur des actes illicites de ceux qui prétendaient assurer son bonheur et son éducation.

La cour d’appel de Rouen infirma cette première décision en mai 2018, déclarant irrecevables les demandes d’Alexandre Lerch au motif qu’elles reposaient sur une convention de gestation pour autrui, prohibée par la loi française. Elle estima également que la réalité biologique n’apparaissait pas une raison suffisante pour accueillir la demande au regard du vécu de l’enfant. Alexandre Lerch décida alors de former un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été confirmé aujourd’hui par la Cour de cassation :

« Attendu, d’abord, qu’aux termes de l’article 16-7 du code civil, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ; que, selon l’article 16-9 du même code, ces dispositions sont d’ordre public ; qu’ayant relevé que l’action [du père biologique] en contestation de la reconnaissance de paternité [du père déclaré], destinée à lui permettre d’établir sa propre filiation sur l’enfant, reposait sur la convention de gestation pour autrui qu’il avait conclue avec [la mère porteuse], la cour d’appel en a exactement déduit que la demande était irrecevable comme reposant sur un contrat prohibé par la loi ;

« Attendu, ensuite, que l’arrêt énonce que la réalité biologique n’apparaît pas une raison suffisante pour accueillir la demande [du père biologique], au regard du vécu de l’enfant […] ; qu’il relève que celui-ci vit depuis sa naissance chez [le père déclaré], qui l’élève avec son épouse dans d’excellentes conditions, de sorte qu’il n’est pas de son intérêt supérieur de voir remettre en cause le lien de filiation avec celui-ci, ce qui ne préjudicie pas au droit de l’enfant de connaître la vérité sur ses origines ; qu’il observe qu’il en est ainsi même si la façon dont ce lien de filiation a été établi par une fraude à la loi sur l’adoption n’est pas approuvée, et précise que le procureur de la République, seul habilité désormais à contester la reconnaissance [du père déclaré], a fait savoir qu’il n’entendait pas agir à cette fin ; qu’ayant ainsi mis en balance les intérêts en présence, dont celui de l’enfant, qu’elle a fait prévaloir, la cour d’appel n’a pas méconnu les exigences conventionnelles résultant de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 12 septembre 2019
Nº de pourvoi : 18-20472
Note
  1. Communiqué de presse du 22 mars 2016 ; voir aussi le deuxième communiqué du même jour, publié après le verdict.

Pro memoria :

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