Ordonnance créant un code de la justice pénale des mineurs

Journal officiel lois et décrets

Conformément à l’habilitation donnée par l’article 93 de la loi nº 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation et de réforme de la justice, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a présenté au Conseil des ministres de ce matin le texte de l’ordonnance nº 2019-950 portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs. Ce nouveau texte réforme l’ordonnance nº 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, modifié une quarante de fois depuis sa promulgation.

Le projet dévoilé en juin dernier – qu’on trouvera infra en téléchargement – avait fait l’objet de vives critiques de la part des professionnels de la justice des mineurs, qui avaient dénoncé, outre l’absence de consultation préalable et le manque de moyens alloués à la réforme, la limitation du champ de l’habilitation susdite au seul aspect pénal, sans prise en compte de l’aspect « protection de la jeunesse ». Transmis durant l’été au Conseil d’État, le texte présenté ce matin a conservé les principales mesures du projet.

Pour mettre la France en conformité avec la Convention internationale des droits de l’enfant, le texte instaure une présomption de non-discernement pour les mineurs âgés de moins de treize ans :

« Lorsqu’ils sont capables de discernement, les mineurs, au sens de l’article 388 du code civil, sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils sont reconnus coupables.

« Les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement. Les mineurs âgés d’au moins treize ans sont présumés être capables de discernement. »

Article L11-1 du nouveau code

Cette simple présomption n’empêchera donc pas le juge des enfants ou le procureur de la République d’engager des poursuites à l’encontre d’un mineur de moins de treize ans s’ils estiment qu’il est capable de comprendre la portée de son acte, ni, a contrario, de décider de ne pas poursuivre un mineur de plus de treize ans s’ils estiment que tel n’est pas le cas. Les professionnels de la justice des mineurs avaient souhaité que soit instituée une présomption irréfragable de non-responsabilité en dessous de quatorze ans – comme en Allemagne, en Espagne ou en Italie – mais le gouvernement a retenu qu’un mineur de treize ans peut déjà être placé en garde à vue, voire détenu, et a voulu conserver le pouvoir d’appréciation des magistrats.

L’article L11-4 du nouveau code prévoit cependant qu’« aucune peine ne peut être prononcée à l’encontre d’un mineur de moins de treize ans », qui peut donc seulement faire l’objet des mesures éducatives mentionnées à l’article L11-3.

En 2011, le Conseil constitutionnel avait déclaré contraire à la Constitution l’article L251-3 du code de l’organisation judiciaire, lequel permettait que le même juge des enfants puisse porter une appréciation sur les charges existantes contre un mineur lors de la phase d’instruction, puis présider l’audience du tribunal pour enfants et prononcer une peine à l’encontre dudit mineur :

« 11. Considérant que le principe d’impartialité des juridictions ne s’oppose pas à ce que le juge des enfants qui a instruit la procédure puisse, à l’issue de cette instruction, prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation ; que, toutefois, en permettant au juge des enfants qui a été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées portent au principe d’impartialité des juridictions une atteinte contraire à la Constitution ; que, par suite, l’article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire est contraire à la Constitution. »

Le nouveau code supprime donc la procédure d’instruction (sauf pour les crimes et les délits les plus graves), et instaure une « procédure de mise à l’épreuve éducative » (articles L521-1 à L521-25) en trois phases :

  1. « Audience d’examen de la culpabilité » (articles L521-7 à L521-12) : fixée dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours ni supérieur à trois mois à compter de la notification de la convocation, elle a pour fin de confronter le mineur à sa responsabilité et – le cas échéant – d’indemniser sa victime.
  2. « Période de mise à l’épreuve éducative » (articles L521-13 à L521-23) : d’une durée comprise entre six et neuf mois, elle permet le prononcé de mesures d’investigation (expertise médicale ou psychologique, mesure judiciaire d’investigation éducative), d’une mesure éducative judiciaire provisoire ou de mesures de sûreté (assignation à résidence avec surveillance électronique ou contrôle judiciaire).
  3. « Audience de prononcé la sanction » (articles L521-24 et L521-25).

Le gouvernement espère réduire de moitié les délais de jugements – actuellement de dix-huit mois entre la commission de l’infraction et la décision – avec ce dispositif.

Les voies de recours font l’objet des articles L531-1 à L531-4. Des précisions sont données à l’articles L531-3 :

« Il peut être interjeté appel de la décision sur la culpabilité et de la décision sur la sanction dans les délais et selon les modalités prévus par le code de procédure pénale.

« En cas d’appel portant sur une décision déclarant le mineur coupable, si la cour d’appel n’a pas statué sur l’appel de la décision sur la culpabilité avant la décision sur la sanction, l’appel est alors considéré comme portant à la fois sur la décision sur la culpabilité et sur la décision sur la sanction, sauf désistement de l’appelant.

« En cas d’appel portant sur une décision de relaxe, si la cour d’appel déclare le mineur coupable des faits qui lui sont reprochés et ouvre une période de mise à l’épreuve éducative […] ou constate que la période de mise à l’épreuve éducative en cours s’étend à ces nouveaux faits […], elle statue s’il y a lieu sur les mesures provisoires et renvoie le dossier au juge des enfants compétent pour le suivi des mesures et pour la fixation de l’audience sur la sanction […]. »

La Chancellerie dispose maintenant de deux mois pour déposer un projet de loi de ratification devant le Parlement. La ministre de la Justice Nicole Belloubet avait proposé lors des débats à l’Assemblée nationale « de laisser un temps suffisant au Parlement pour modifier l’ordonnance une fois qu’elle aura été déposée, et de ne faire entrer en vigueur ce texte qu’un an après son adoption par le conseil des ministres », soit le 1er octobre 2020.

On peut évidemment s’attendre à de très nombreuses critiques de cette ordonnance. La réaction hostile et immédiate d’UNICEF France, qu’on trouvera infra, en est un exemple.

Pro memoria :

Mise à jour du 13 septembre 2019

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