La Cour de cassation va réformer la rédaction de ses décisions

Cour de cassation

Alors que les justiciables ont besoin de décisions claires et intelligibles, les arrêts de la Cour de cassation ont souvent été critiqués pour leur caractère lapidaire et obscur, favorisant des contresens dans leur interprétation. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs récemment condamné la France car les juges strasbourgeois eux-mêmes ne comprenaient pas ce qu’avait voulu exprimer la Cour de cassation :

« La Cour observe, enfin, comme dans l’affaire Fabris, que la Cour de cassation n’a pas répondu, à tout le moins explicitement, au moyen tiré de la Convention et a exclu, de ce fait, la possibilité qu’elle avait de prévenir, le cas échéant, une violation semblable à celles qu’elle avait déjà constatées. Une motivation plus développée aurait permis à la Cour de mieux prendre en considération le raisonnement de la Cour de cassation. »

Une meilleure compréhension des décisions de la Cour de cassation, non seulement par les parties concernées, mais aussi par les autres justiciables, les avocats, les journalistes, les juridictions françaises et étrangères, les juristes, etc., imposait une évolution des règles de leur rédaction, à l’instar de ce qu’ont déjà réalisé le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État. La Cour de cassation a annoncé aujourd’hui qu’une profonde réforme prendra effet à compter du 1er octobre prochain.

Une première innovation supprime la traditionnelle rédaction par « attendus », ponctuant une phrase unique – parfois très longue – dans laquelle les magistrats répondaient à plusieurs questions. Les décisions seront désormais rédigées en style direct, avec des paragraphes numérotés – comme le font déjà les juridictions administratives. Tous les arrêts de la Cour de cassation seront par ailleurs rédigés selon un même plan, avec trois parties bien identifiées :

  1. Faits et procédure
  2. Examen du ou des moyens
  3. Dispositif

Les pratiques en matière de reproduction des moyens devraient ainsi être harmonisées. Elles relèvent jusqu’à présent de règles complexes, qui diffèrent d’une chambre à l’autre, selon, en particulier, que l’arrêt prononce une cassation ou rejette un pourvoi : certaines chambres annexent les moyens à l’arrêt, d’autres les reproduisent dans le corps de l’arrêt, et en certains cas il n’y a ni annexe ni reproduction. Les moyens devraient désormais être reproduits ou résumés en substance dans la décision elle-même pour accroître son intelligibilité.

Une deuxième innovation – déjà en application – institue une « motivation développée » pour les arrêts les plus importants (demande d’avis consultatif à la Cour européenne des droits de l’homme, demande de renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne, garantie de droits fondamentaux, question de principe, revirement de jurisprudence, solution de droit nouvelle, unification de la jurisprudence…), afin de :

  • citer les « précédents » pour donner plus de lisibilité aux évolutions de la jurisprudence (notamment en cas de revirement de jurisprudence) ;
  • faire état, le cas échéant, des études d’incidences, lorsqu’elles ont joué un rôle conséquent dans le choix de la solution retenue ;
  • mentionner les solutions alternatives non retenues lorsqu’elles ont fait l’objet de discussions sérieuses au cours du délibéré et des raisons pour lesquelles elles ont été écartées ;
  • mettre en évidence la méthode d’interprétation des textes pertinents retenue par la Cour de cassation.

En cas de cassation partielle, les arrêts de la Cour de cassation devront aussi donner à la juridiction de renvoi toutes les précisions utiles sur ce qui reste à juger.

La Cour de cassation a déjà prononcé plusieurs arrêts assortis d’une motivation ainsi enrichie, dont celui publié aujourd’hui même sur le préjudice d’anxiété lié à l’amiante, assorti d’une note expliquant de façon détaillée les principes guidant la motivation et les raisons qui l’inspirent.

Enfin, un memento très complet (128 pages), à l’intention de l’ensemble des avocats et des magistrats de toutes les juridictions du fond, est désormais disponible, qui détaille la manière dont la Cour de cassation appréhende et recommande que soit mis en œuvre le contrôle de proportionnalité dont la Cour européenne des droits de l’homme fait l’instrument privilégié du contrôle de conventionnalité, c’est-à-dire la vérification de la conformité à la Convention européenne des droits de l’homme d’une règle du droit national jusque dans son application concrète à une situation particulière. Ce memento devrait être présenté dans les mois qui viennent aux cours d’appel, dans des réunions auxquelles seraient invités les bâtonniers des ressorts concernés.

Cette réforme est le fruit d’une démarche de réflexion collective, large et très ouverte, engagée par la Cour de cassation dès l’automne 2014, à l’initiative du premier président Bertrand Louvel. Une première phase exploratoire et d’expérimentation avait été conduite par une commission de réflexion présidée par Jean-Paul Jean, président de chambre. La phase de réalisation avait été confiée à une seconde commission, animée depuis l’été 2017 par Bruno Pireyre, président de chambre et directeur du service de documentation des études et du rapport, du service des relations internationales et du service de communication de la Cour de cassation. Un rapport d’étape est prévu à la fin du mois prochain, et un rapport définitif devrait être remis à la fin du mois d’octobre.

À ce stade, nous exprimons un regret : lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation le 15 janvier 2018, le président de la République s’était déclaré favorable à la publication des « opinions dissidentes », à l’instar de ce qui se pratique « dans d’autres univers juridiques ». La Cour de cassation n’a pas jugé utile de le suivre sur ce terrain.


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