Affaire Wunderlich contre Allemagne : l’État européen contre la famille

Cour européenne des droits de l’homme

La Cour européenne des droits de l’homme a rendu aujourd’hui une décision extrêmement grave et lourde de conséquences pour les familles, puisqu’elle reconnaît aux États la faculté de bafouer l’autorité parentale et le droit des parents d’élever leurs enfants selon leurs convictions.

En l’espèce, les requérants sont un couple allemand, les époux Dirk et Petra Wunderlich, parents de quatre enfants dont ils souhaitaient assurer l’instruction à domicile, une pratique interdite en Allemagne. En 2005, ils refusèrent de scolariser leur fille aînée – alors âgée de six ans. Des amendes administratives leur furent infligées et des procédures pénales furent engagées à leur encontre pour manquement aux règles sur la scolarité obligatoire. Ils payèrent les amendes mais ne scolarisèrent toujours pas leur fille.

Après un séjour à l’étranger de 2008 à 2011, les Wunderlich rentrèrent en Allemagne et les parents refusèrent encore de scolariser leurs enfants. Soutenues dans leur démarche par le sinistre Jugendamt (office de la jeunesse), les autorités scolaires en informèrent le tribunal des affaires familiales de Darmstadt l’année suivante, au motif que ce refus délibéré et obstiné était – selon elles – contraire à l’intérêt supérieur des enfants, soupçonnés de grandir dans un « parallel world » (§ 10 – le jugement a été rendu en anglais). Le tribunal priva alors les parents du droit de décider du lieu de résidence et de la scolarité de leurs enfants, et confia ceux-ci au Jugendamt.

La cour d’appel de Frankfurt am Main rejeta l’appel des parents en avril 2013, au motif que l’intérêt supérieur des enfants était menacé par l’instruction parentale, qui ne pouvait compenser l’instruction scolaire.

Les enfants refusèrent à plusieurs reprises d’accompagner le tuteur qui devait les emmener à l’école. Après plusieurs mois d’injonctions et de procédures, la police allemande vint les enlever manu militari un matin d’août 2013 pour les placer dans un foyer d’accueil, jusqu’à ce que les parents acceptent leur scolarisation trois semaines plus tard. Mais les parents retirèrent une nouvelle fois leurs enfants de l’école en juin 2014.

Deux mois plus tard, dans le cadre d’une procédure parallèle, la cour d’appel de Frankfurt am Main restitua aux parents le droit de décider du lieu de résidence de leurs enfants : l’évaluation des acquis scolaires avait montré que le niveau d’instruction des enfants n’était pas inquiétant et le Jugendamt avait fini par admettre qu’il n’y avait aucun risque que le père portât atteinte à l’intégrité physique des enfants. La cour d’appel souligna toutefois que cette décision ne devait pas être comprise comme l’autorisation d’instruire les enfants à domicile.

Le Bundesverfassungsgericht (tribunal constitutionnel fédéral) ayant refusé d’examiner leur recours en octobre 2014, les parents se plaignirent donc devant la Cour européenne des droits de l’homme de l’atteinte au respect de leur vie familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils reprochaient notamment aux autorités allemandes de les avoir privés de certains droits relevant de l’autorité parentale pour les transférer au Jugendamt, d’avoir éloigné par la force les enfants du domicile familial et d’avoir placé ceux-ci dans un foyer d’accueil pendant trois semaines.

La Cour européenne des droits de l’homme a bien admis l’atteinte au respect de la vie familiale des Wunderlich (§ 43) mais a jugé – à l’unanimité – qu’il n’y avait pas eu pour autant violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a en effet d’abord rappelé que l’Allemagne – et a fortiori tout État – a le droit d’interdire l’instruction en famille pour protéger l’intérêt de l’enfant (§ 42) car cette interdiction est conforme, non seulement à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi à l’article 2 du premier protocole additionnel à la Convention, pourtant ainsi rédigé :

« Article 2 – Droit à l’instruction

« Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

La Cour européenne des droits de l’homme a ensuite estimé que « the enforcement of compulsory school attendance, to prevent social isolation of the applicants’ children and ensure their integration into society, was a relevant reason for justifying the partial withdrawal of parental authority » (§ 51), que « the authorities reasonably assumed that the children were isolated, had no contact with anyone outside of the family and that a risk to their physical integrity existed » (§ 52), et que « the actual removal of the children did not last any longer than necessary in the children’s best interest » (§ 55). Elle en a conclu que « there were “relevant and sufficient” reasons for the withdrawal of some parts of the parents’ authority and the temporary removal of the children from their family home » (§ 57).

Cette décision constitue une attaque en règle de l’institution familiale pour au moins trois raisons.

Une atteinte au droit des parents d’éduquer leurs enfants

La Cour européenne des droits de l’homme a renoncé une de fois de plus [1] à garantir le droit – et le devoir – naturel des parents d’éduquer leurs enfants, sujet au cœur de la requête des Wunderlich. Ceux-ci n’étaient en effet accusés d’aucun manquement à leurs devoirs d’éduquer, nourrir et soigner leurs enfants, ni du moindre sévice à leur égard… sauf d’avoir refusé de les scolariser dans une école d’État, afin de leur prodiguer une instruction en famille. Toute la procédure intentée par l’État allemand a son origine dans cette prohibition absolue de l’instruction en famille, qui a abouti au placement temporaire des enfants dans un foyer. La Cour européenne des droits de l’homme reconnaît donc aux États le droit de retirer des enfants à leurs parents pour les mettre de force dans une école d’État.

Le choix du mode d’instruction des enfants incombe d’abord et avant tout à leurs parents, lesquels sont – de façon générale – les mieux à même d’apprécier l’intérêt de leurs enfants. Les États n’ont pas à espionner chaque famille pour veiller sur les enfants à la place des parents.

Cette atteinte au droit fondamental et naturel des parents d’éduquer leurs enfants serait justifiée par la crainte étatique de voir émerger des « parallel societies » (§ 50). L’argumentation laisse perplexe, alors que la Cour européenne des droits de l’homme ne cesse de promouvoir le « droit à la diversité » en faveur des minorités, et que la famille Wunderlich n’appartenait à aucun réseau subversif ni n’était soupçonnée de contester les valeurs ou de vouloir attenter à la forme républicaine de l’État allemand…

L’État a le droit de briser une famille

La Cour européenne des droits de l’homme a justifié l’injuste placement des enfants Wunderlich en foyer par l’État allemand sur la base fragile de simples soupçons – au demeurant infondés. Alors que les parents avaient démontré que leurs enfants étaient aimés, bien élevés, correctement instruits, et que leur intérêt n’était pas en danger, l’État allemand a soustrait les enfants à leur famille uniquement pour contraindre les parents à accepter leur scolarisation. Sur ce point, la Cour européenne des droits de l’homme constate simplement que :

« The authorities reasonably assumed that the children were isolated, had no contact with anyone outside of the family and that a risk to their physical integrity existed […]. The Court also reiterates that even mistaken judgments or assessments by professionals do not per se render childcare measures incompatible with the requirements of Article 8. The authorities – both medical and social – have a duty to protect children and cannot be held liable every time genuine and reasonably-held concerns about the safety of children vis-à-vis members of their families are proved, retrospectively, to have been misguided. » (§ 52)

La Cour européenne des droits de l’homme avait auparavant précisé :

« The fact that a child could be placed in a more beneficial environment for his or her upbringing will not on its own justify a compulsory measure of removal from the care of the biological parents; there must exist other circumstances pointing to the “necessity” for such an interference with the parents’ right. » (§ 48)

En ne précisant pas quelle est cette « necessity » (qu’elle place elle-même entre guillemets), la Cour européenne des droits de l’homme ouvre largement la porte à tous les excès étatiques : un juge trouvera toujours les « circumstances pointing to the “necessity” » utiles pour retirer un enfant à l’affection de ses parents. Cette argumentation est d’autant plus inquiétante que le système « éducatif » d’État – tant en Allemagne qu’en France – a un rôle idéologique avéré [2].

Une conception individualistes du droit

Les tribunaux allemands reprochaient aux parents « that their children had established a strong attachment to them, to the exclusion of others » au point que « a “symbiotic” family system had emerged » (§ 40), et cette situation hautement dramatique leur avait paru justifier le placement des enfants. La symbiose n’étant pas un terme juridique mais scientifique, avec une connotation positive puisqu’il désigne l’association réciproquement profitable de plusieurs être vivants, l’argument pouvait paraître pour le moins surprenant, mais la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas pour autant contesté cette intrusion des juridictions allemandes dans les relations d’une famille unie, bien au contraire :

« Article 8 requires that a fair balance must be struck between the interests of the child and those of the parent and, in striking such a balance, particular importance must be attached to the best interests of the child which, depending on their nature and seriousness, may override those of the parent. » (§ 46)

Cette conception individualiste qui oppose les droits et intérêts des enfants et des parents empêche la Cour européenne des droits de l’homme de considérer le bien commun de la famille, éminemment supérieur à celui de ses membres.

Enfin, nos camarades du European Centre for Law and Justice et de l’Ordo Iuris étaient intervenus dans cette affaire pour défendre le droit des époux Wunderlich d’élever leurs enfants selon leurs convictions. Dans ses observations écrites, le European Centre for Law and Justice avait en substance rappelé le principe de droit naturel selon lequel « la famille prime l’État », en particulier dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement. Les parents ont le devoir et le droit d’éduquer leurs enfants, et ils doivent avoir le choix des moyens qu’ils jugent les plus appropriés à cette fin. L’État ne peut interférer dans l’exercice de ce droit que si est constatée une carence grave dans l’éducation fournie par les parents ; il ne doit pas interdire a priori quelque forme d’instruction (en famille, par exemple), ni retirer des enfants à leurs parents sur la base de simples suspicions.

Références
Cour européenne des droits de l’homme
Cinquième section
10 janvier 2019
Affaire Wunderlich c. Allemagne (requête nº 18925/15)
Notes
  1. Voir notamment la jurisprudence du § 42 : Leuffen c. Germany (9 juillet 1992), Konrad et alii c. Germany (11 septembre 2006), Dojan et alii c. Germany (13 septembre 2011).
  2. Qu’on pense à la promotion de l’ABCD de l’égalité par Benoît Hamon et Najat Vallaud-Belkacem, ou aux propos tenus par Vincent Peillon : « Le but de la morale laïque est […] d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel » [Fleury (Adeline), « Peillon : “Je veux qu’on enseigne la morale laïque” », Le Journal du Dimanche, 1er septembre 2012].
La famille Wunderlich (© ADF International)

La famille Wunderlich (© ADF International)

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