Lors de son audience publique de ce 7 novembre 2018, la Cour de cassation a rendu un arrêt qui rappelle quelques règles applicables à l’action en contestation et établissement de paternité.
Par testament authentique reçu en 2010, un homme avait déclaré reconnaître comme étant sa fille une femme, inscrite à l’état civil comme née de sa mère et de l’époux d’icelle. Après le décès du testateur, la femme avait intenté une action en contestation de la paternité de son père déclaré et établissement de celle du déclarant. Cette action ayant été jugée irrecevable par la cour d’appel de Bourges en 2017, la femme avait alors formé un pourvoi en cassation, qui a été rejeté aujourd’hui dans un arrêt dont les attendus méritent une certaine attention.
« Attendu, d’abord, qu’aux termes de l’article 320 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance nº 2005-759 du 4 juillet 2005, la filiation légalement établie fait obstacle, tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait, […] l’arrêt en déduit exactement que [la demanderesse] ne pouvait faire établir un lien de filiation avec [le testateur] sans avoir, au préalable, détruit le lien de filiation avec [l’époux de sa mère] ;
« Attendu, ensuite, que le délai pour agir en contestation de paternité, qui était de trente ans en application des textes et de la jurisprudence antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 4 juillet 2005, est désormais de dix ans, en l’absence de possession d’état conforme au titre, en application des articles 334 et 321 du code civil, issus de cette ordonnance ; qu’il résulte de l’article 2222, alinéa 2, du code civil qu’en cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; que le délai de dix ans applicable à l’action en contestation de paternité de [la demanderesse], qui a couru à compter du 1er juillet 2006, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, ne peut donc excéder la durée de trente ans, courant à compter de la majorité, prévue par la loi antérieure ; qu’ayant relevé que […] le délai pour agir en contestation de paternité expirait [en] 2011 [pour la demanderesse], la cour d’appel en a exactement déduit que l’action en contestation de paternité engagée en décembre 2014, après l’expiration du délai de prescription prévu par la loi antérieure, était irrecevable ;
« Attendu […] qu’aux termes de [l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales] :
- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ;
- Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ;
« […] que ces dispositions sont applicables en l’espèce dès lors que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le droit à l’identité, dont relève le droit de connaître et de faire reconnaître son ascendance, fait partie intégrante de la notion de vie privée ; […] que, si l’impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien de filiation paternelle constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de sa vie privée, cette ingérence est, en droit interne, prévue par la loi, dès lors qu’elle résulte de l’application des textes précités du code civil, qui définissent de manière claire et précise les conditions de prescription des actions relatives à la filiation ; que cette base légale est accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets ; qu’elle poursuit un but légitime, au sens du second paragraphe de l’article 8 précité, en ce qu’elle tend à protéger les droits des tiers et la sécurité juridique ; que les délais de prescription des actions en contestation de paternité ainsi fixés par la loi, qui laissent subsister un délai raisonnable pour permettre à l’enfant d’agir après sa majorité, constituent des mesures nécessaires pour parvenir au but poursuivi et adéquates au regard de cet objectif ; que, cependant, il appartient au juge d’apprécier si, concrètement, dans l’affaire qui lui est soumise, la mise en œuvre de ces délais légaux de prescription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’intéressé, au regard du but légitime poursuivi et, en particulier, si un juste équilibre est ménagé entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ; […] que l’arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que [la demanderesse] n’a jamais été empêchée d’exercer une action tendant à faire établir sa filiation biologique, mais s’est abstenue de le faire dans le délai légal ; qu’il constate qu’alors qu’elle avait des liens affectifs avec [le testateur] depuis sa petite enfance, elle a attendu son décès […] et l’ouverture de sa succession pour exercer l’action ; qu’il ajoute qu’elle a disposé de délais très importants pour agir et qu’elle disposait encore d’un délai jusqu’[en] 2011, lorsqu’elle a été rendue destinataire […] d’un test de paternité établissant, selon elle, de façon certaine, le lien de filiation biologique avec [le testateur] ; […] la cour d’appel a pu déduire que le délai de prescription qui lui était opposé respectait un juste équilibre et qu’il ne portait pas, au regard du but légitime poursuivi, une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale. »
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 7 novembre 2018
Nº de pourvoi : 17-25938
Arrêt archivé au format PDF (50 Ko, 7 p.).
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