Dans une décision du 6 février dernier, mais rendue publique seulement aujourd’hui, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré irrecevable la requête de deux homosexuelles ayant demandé à bénéficier d’une délégation d’autorité parentale croisée.
En l’espèce, les requérantes sont deux ressortissantes françaises vivant en couple depuis 1989. Après avoir bénéficié d’une procréation médicalement assistée en Belgique, l’une des requérantes donna naissance à une fille le 5 octobre 1998. Les deux requérantes conclurent un pacte civil de solidarité le 21 mai 2002. Après avoir également bénéficié d’une procréation médicalement assistée en Belgique, la seconde requérante donna naissance à un garçon le 10 novembre 2003. Il est à noter que les deux enfants n’ont aucune filiation paternelle établie…
Le 28 juin 2006, les deux requérantes saisirent le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Lille d’une demande d’exercice conjoint de l’autorité parentale sur leurs enfants par le biais d’une délégation d’autorité parentale croisée, qui leur fut accordée par jugement du 11 décembre 2007. Cependant, le procureur de la République fit appel du jugement le 10 janvier 2008. La cour d’appel de Douai infirma le jugement de première instance et rejeta la demande des requérantes par arrêt du 11 décembre 2008. Les requérantes formèrent un pourvoi en cassation, qui fut rejeté par arrêt du 8 juillet 2010.
Les deux femmes introduisirent alors une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme le 8 janvier 2011 :
« 26. Invoquant l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention, les requérantes soutiennent d’abord que les familles telles que la leur subissent une discrimination fondée sur le sexe et l’orientation sexuelle et ne peuvent mener une vie familiale normale dans leur pays, dans la mesure où le mariage, l’adoption ou la procréation médicalement assistée ne sont pas ouverts aux personnes ayant une orientation homosexuelle.
« 27. Elles estiment ensuite que le rejet de leur demande de délégation d’autorité parentale est fondé sur leur orientation sexuelle et entraîne une différence de traitement injustifiée et disproportionnée. Elles relèvent que du point de vue de la filiation, la situation de leurs enfants est comparable à celle d’une famille dite recomposée et non à celle de familles monoparentales (contrairement à ce qu’ont retenu la cour d’appel et la Cour de cassation), tandis que du point de vue du projet familial, leur situation est comparable à celle d’une famille hétérosexuelle. »
Postérieurement à l’introduction de la requête, les requérantes se séparèrent au début de l’année 2012 et mirent en œuvre une résidence alternée hebdomadaire de leurs enfants. Compte tenu de ces changements, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé qu’il y avait lieu d’examiner séparément la situation des requérantes avant et après leur séparation :
« 42. La Cour considère que les requérantes se trouvent dans une situation comparable à celle d’un couple hétérosexuel dans le cadre d’une famille recomposée, où le ou la partenaire du parent vit avec un enfant avec lequel il n’a pas de lien biologique et qu’il élève. Elle doit donc établir si elles ont fait l’objet d’une différence de traitement et si cette différence de traitement peut être qualifiée de discriminatoire.
« 43. La Cour constate tout d’abord que l’article 377 § 1 du Code civil, qui permet au père et à la mère, ensemble ou séparément, de saisir le juge d’une demande de délégation partielle ou totale de l’exercice de leur autorité parentale à un tiers lorsque les circonstances l’exigent […], ne fait aucune différence entre les parents et ne contient en soi aucune distinction quant à l’orientation sexuelle du parent qui effectue la demande ou du délégataire. Dans son arrêt du 24 février 2006, la Cour de cassation a affirmé que cet article ne s’opposait pas à ce qu’une mère seule titulaire de l’autorité parentale en délègue tout ou partie de l’exercice à la femme avec laquelle elle vivait en union stable et continue, dès lors que les circonstances l’exigeaient et que la mesure était conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant […]. La question de savoir si ces conditions sont réunies est laissée par la Cour de cassation à l’appréciation des juges du fond.
« 44. L’examen de la jurisprudence […] fait apparaître que les décisions d’octroi ou de refus de délégation d’autorité parentale sont fondées sur les circonstances de fait de chaque affaire, notamment l’état de santé de la mère ou de l’enfant, les déplacements ou les contraintes professionnelles.
« 45. La Cour estime que tel est également le cas en l’espèce, et que l’appréciation faite par la cour d’appel et approuvée par la Cour de cassation selon laquelle les conditions n’étaient pas réunies pour qu’une délégation d’autorité parentale croisée soit accordée aux requérantes ne révèle pas de différence de traitement selon leur orientation sexuelle […].
« 47. Il s’ensuit qu’il n’y a en l’espèce aucune apparence de violation des articles 14 et 8 combinés. Cet aspect du grief est donc manifestement mal fondé et doit être rejeté […].
« 48. Selon les dernières indications fournies par les requérantes [dorénavant séparées], la procédure d’adoption [d’Eloïse] par la seconde requérante est en cours. Le dossier de nouvelle demande de délégation d’autorité parentale sur [Esteban] au profit de la première requérante est “en cours de constitution” et, au vu de la jurisprudence […], la Cour estime qu’on ne peut exclure qu’il soit accueilli favorablement compte tenu du changement de circonstances dans la vie des requérantes.
« 49. Il s’ensuit que cet aspect du grief est prématuré et doit être rejeté […]. »
- Références
- Cour européenne des droits de l’homme
Cinquième section
6 février 2018
Affaire Francine Bonnaud et Patricia Lecoq c. France (requête nº 6190/11)
Arrêt du 8 juillet 2010 (Cour de cassation) archivé au format PDF (47 Ko, 5 p.).
Décision du 6 février 2018 (Cour européenne des droits de l’homme) archivée au format PDF (358 Ko, 12 p.).
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