Collectif scientifique sur les dangers de la résidence alternée chez les jeunes enfants

Courrier envoyé par un collectif de professionnels que le Réseau professionnel pour la protection de l’enfance et de l’adolescence soutient

Réseau Professionnel pour la Protection de l’Enfance et de l’Adolescence

Madame la Députée, Monsieur le Député, Membres de la commission des lois,

Par ce courrier, nous vous faisons part de notre grande inquiétude concernant la proposition de loi nº 307 relative au principe de résidence alternée des enfants que vous devez examiner le 22 novembre 2017.

Ce projet ne tient pas compte de la définition des besoins fondamentaux de l’enfant énoncée lors de l’élaboration de la loi de mars 2016 sur la protection de l’enfance, à savoir le besoin de sécurité affective et de stabilité. Il ne prend pas en compte la spécificité des enfants petits, et constitue par là-même un véritable danger pour leur développement affectif. Enfin il ne laisse plus aucune possibilité au juge des affaires familiales de décider en fonction de son évaluation de chaque situation. Il nous paraît donc nécessaire de rappeler brièvement ici certaines données fondamentales.

L’état des lieux

Nous sommes des professionnels, pédopsychiatres, psychologues, qui constatons tous les jours les dégâts provoqués par des décisions de justice inadéquates concernant la garde d’enfants petits. Et malheureusement, nous sommes impuissants à traiter les troubles qui apparaissent alors de manière durable chez les enfants concernés : angoisse, troubles psychosomatiques, dépression, hyperactivité avec trouble de la concentration, trouble du sommeil, phobie scolaire, etc., tant que le mode de garde inadéquat persiste. Si nous parvenions à améliorer ces problèmes qui peuvent persister à l’âge adulte, nous ne vous solliciterions pas aujourd’hui.

La nocivité de la discontinuité

Notre préoccupation concerne particulièrement les décisions de résidence alternée pour des enfants âgés de moins de six ans, et même souvent avant l’âge de trois ans. Il en est de même pour les droits de garde avec des weekends prolongés, la moitié des vacances scolaires, la résidence alternée fragmentée (deux jours chez un parent, deux jours chez l’autre), ordonnées parfois dès l’âge de huit mois, ce qui montre que la loi de mars 2002 ne contient aucun garde-fou réel.

On s’est beaucoup centré sur la nocivité que le conflit parental autour de la garde de l’enfant entraîne pour son développement affectif. Mais nous savons maintenant que les enfants petits peuvent aussi présenter les mêmes troubles en cas de décision de résidence alternée consensuelle entre leurs parents. Car nous savons depuis longtemps que la continuité des personnes et des lieux est un besoin fondamental des enfants petits. Vous-même, en tant qu’adulte ayant une personnalité qui a « achevé » son développement, pendant combien de temps supporteriez-vous de changer toutes les semaines de résidence en emportant une partie de vos affaires ? Dans la plupart des autres pays, le 50/50 est le rythme le plus rare, et la résidence alternée se déroule le plus souvent à un rythme de 30/70 % ou 35/65 %, ce qui diminue cette discontinuité.

Un consensus chez la majorité des professionnels

Ces problèmes de santé psychique ont été considérés comme suffisamment graves pour que 5500 professionnels de l’enfance signent une pétition en janvier 2014 demandant qu’aucune décision de résidence alternée ne soit imposée judiciairement avant l’âge de six ans. Une pétition de plus, direz-vous. Oui, mais celle-ci n’est signée que par des professionnels, elle se situe au-dessus des opinions politiques de chacun et des mouvements émotionnels, et parmi ses signataires figurent des grands noms de la pédopsychiatrie et de la psychologie française, ainsi que Françoise Dekeuwer-Defossez, Professeur émérite de droit privé, auteure d’un rapport demandé par Ségolène Royal pour l’élaboration de la loi de mars 2002 sur l’autorité parentale. Toutes ces personnes se tromperaient-elles en demandant que soit appliqué un principe de précaution ?

Un lobbying incessant

Il est difficile pour les cliniciens praticiens de terrain que nous sommes de faire contrepoids au lobbying auquel les politiques sont soumis de la part des partisans de la résidence alternée égalitaire dès le plus jeune âge de l’enfant. Ces personnes qui savent parfaitement se présenter comme des victimes se livrent à une désinformation constante concernant les travaux scientifiques dont nous disposons. Elles affirment par exemple que 20 % des enfants ne voient plus leur père après la séparation du couple, alors que l’étude de l’Institut national d’études démographiques en 2013 montre que ce chiffre est de 10 % pour les enfants de moins de cinq ans et tombe à 6 % si la séparation date de moins de quatre ans. Et surtout, elles ont le temps de vous solliciter répétitivement, alors que les cliniciens doivent d’abord faire face au nombre d’enfants en liste d’attente pour des soins. Pourtant nous disposons d’études réalisées avec une méthodologie rigoureuse et portant sur des milliers d’enfants qui démontrent les risques liés à la résidence alternée jusqu’à l’âge de cinq ans inclus. Et en France, une étude réalisée auprès de 262 professionnels de l’enfance en 2015 montrent que 900 enfants sont en souffrance suite à une décision de résidence alternée, dont les deux tiers ont moins de huit ans.

Plusieurs pays ont légiféré afin que la résidence alternée égalitaire ne puisse plus être imposée, comme le Danemark en 2012, pour protéger le développement des enfants – et non pas pour exclure le père, pour quelle raison le ferait-on ? Il existe depuis 2000 un calendrier adopté par certains États américains, dit « calendrier de Brazelton », pédiatre internationalement reconnu, qui permet une présence significative, pluri-hebdomadaire, et progressive du père dès la naissance de l’enfant. Ce calendrier réactualisé en 2013 préserve donc le droit de l’enfant à maintenir un lien entre ses deux parents.

Le syndrome d’aliénation parentale : un concept tendancieux et dangereux

À cela s’ajoute la manière dont un concept, le « syndrome d’aliénation parentale » ou « aliénation parentale » est diffusé par les mêmes lobbies, selon lesquels il faudrait mettre en place une résidence alternée égalitaire le plus précocement possible pour prévenir le risque qu’un parent manipule un enfant contre l’autre parent en exerçant une emprise sur lui et en effectuant un lavage de cerveau. De telles situations existent, mais sont rares d’après toutes les études internationales dont nous disposons. Et les personnes qui militent pour le syndrome d’aliénation parentale dans de nombreux journaux ou livres omettent toujours d’indiquer que le fondateur de ce terme, Richard Gardner, défendait la pédophilie et l’inceste dans ses écrits ; et que le comité scientifique du DSM 5, manuel qui liste les troubles mentaux, a refusé d’y inscrire le syndrome d’aliénation parentale car dénué de fondement scientifique valable.

Le risque de favoriser les violences conjugales

Il faut ajouter que les études internationales montrent une fréquence importante de violences conjugales judiciairement définies chez les hommes qui exigent une résidence alternée, laquelle a alors pour but de maintenir son ex-compagne sous son emprise.

Notre demande

Nous considérons donc indispensable qu’il ne puisse pas y avoir de résidence alternée au rythme égalitaire ou son équivalent « fragmenté » pour des enfants âgés de moins de six ans imposés [sic] judiciairement, et que le calendrier de Brazelton révisé en 2013 soit appliqué à défaut d’entente entre les parents.

Nous considérons aussi que la médiation ne peut pas devenir une obligation car toutes les études montrent qu’elle doit être évitée en cas de situation de violence conjugale physique ou psychologique (emprise d’un conjoint sur l’autre).

Nous vous demandons donc de vous opposer à cette proposition de loi construite uniquement pour certains adultes au détriment des enfants. Et nous demandons que les professionnels pédopsychiatres et psychologues qui se sont spécialisés dans ce domaine et qui sont au courant des recherches considérées comme méthodologiquement valables soient auditionnés avant toute présentation d’une loi concernant ces sujets.

Nous nous tenons à votre disposition et vous prions de croire, Madame la Députée, Monsieur le Député, à nos salutations distinguées.

Bernard Golse, professeur de pédopsychiatrie à l’Université Paris Descartes, chef de service à l’Hôpital Necker-Enfants malades

Maurice Berger, ancien chef de service en pédopsychiatrie au CHU de Saint-Étienne, ex-professeur associé de psychologie de l’enfant, membre titulaire de la Société française de psychiatrie de l’enfant

Albert Ciccone, psychologue clinicien, professeur de psychologie et psychopathologie de l’enfant à l’Université Lyon 2

Emmanuelle Bonneville-Baruchel, psychologue clinicienne, MCF en psychologie et psychopathologie de l’enfant à l’Université Lyon 2

Eugénie Izard, pédopsychiatre, présidente du Réseau professionnel pour la protection de l’enfance et de l’adolescence

Gérard Lopez, psychiatre, Vice-président du Conseil national professionnel de médecine légale

Jacqueline Phélip, présidente de L’enfant d’abord, auteure du Livre noir de la garde alternée (Paris, Dunod, 2006) et de Divorce, séparation : les enfants sont-ils protégés ? (Paris, Dunod, 2012)

Hélène Romano, psychologue, Docteur en psychopathologie HDR

Muriel Salmona, psychiatre, psychotraumatologue, présidente de l’association Mémoire traumatique, auteur du Livre noir des violences sexuelles (Paris, Dunod, 2013)


La publication de ce courrier est faite à seule fin d’information de nos lecteurs. P@ternet n’en approuve le contenu en aucune façon.

À l’exception de Jacqueline Phélip, sage-femme retraitée depuis longtemps, il est à noter que tous les signataires de ce courrier sont des psychiatres ou psychologues d’obédience psychanalytique. La réfutation de leurs positions, notamment l’imposture du « calendrier de Brazelton », a été entreprise par notre camarade Pierre Laroche depuis plusieurs années. Nous renvoyons nos lecteurs à son blog, et particulièrement aux articles suivants :

2 commentaires

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  1. Un communiqué rédigé par des dinosaures, pardon des psychanalystes. Rappelons que la psychanalyse n’est pas une discipline scientifique et qu’elle est classée dans les sciences humaines faute de savoir vraiment ce que c’est.
    Des individus comme Betelheim ont stigmatisé au nom du dogme psychanalytique des générations de parents d’enfants autistes.
    Je m’arrête là pour ne pas risquer de contrevenir au règlement de ce site.
    Dans un sens la discrimination sexuée des parents est aussi moribonde que la psychanalyse, c’est une lueur d’espoir pour les enfants et leurs parents.

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