Lors de son audience publique de ce 25 octobre 2017, la Cour de cassation a rendu deux arrêts relatifs aux droits successoraux du conjoint survivant bénéficiaire d’une donation.
La première affaire nous paraît mériter un assez long développement, eu égard à la totale mauvaise foi d’une marâtre. En l’espèce, un couple s’était marié le 17 juin 2002 selon contrat de mariage préalable de séparation de biens. Par acte notarié du 20 juin 2002, l’époux avait consenti une donation au dernier vivant à son épouse. Le 7 août 2011, l’époux s’était pendu à son domicile.
Le 26 juillet 2012, les deux fils du défunt, issus d’une précédente union, avaient assigné la veuve devant le tribunal de grande instance de Bastia afin d’obtenir la révocation pour cause d’ingratitude de la donation consentie par leur père, au motif de l’adultère commis par leur belle-mère. Sur le fond, ils fondaient leur action sur l’article 955 du Code civil :
« La donation entre vifs ne pourra être révoquée pour cause d’ingratitude que dans les cas suivants :
« 1° Si le donataire a attenté à la vie du donateur ;
« 2° S’il s’est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves ;
« 3° S’il lui refuse des aliments. »
Selon eux, l’adultère relevait évidemment du deuxième cas. Soutenant que leur père avait eu connaissance de l’adultère commis par son épouse, ils avaient produit à titre de preuves un SMS que leur père avait écrit avant de se suicider (« Je confirme les ragots ma femme est une pute. Merci Marcel mon sois [sic] disant ami. Didier ») ainsi qu’un enregistrement vidéo dans lequel il déclarait qu’il savait « tout pour Marcel ». Ils se prévalaient également de l’aveu fait par ledit Marcel lors de son audition par les gendarmes le 12 mai 2012 : « Oui effectivement j’entretenais une relation avec Valérie. Ma relation a commencé un an avant le décès de Didier », soit en juillet 2010. Ils ajoutaient que leur père avait fait part de ses doutes sur la fidélité de son épouse à diverses personnes (amis, collègues de travail, membres de la famille).
Le frère du défunt avait notamment attesté que ce dernier lui avait fait part de ses difficultés conjugales depuis août 2010, son épouse lui ayant « imposé une vie chambre à part », « à tel point qu’il envisageait de divorcer », précisant : « Bien que de plus en suspicieux, il ne pouvait se résigner à croire les ragots qui circulaient dans le petit village sur l’inconduite de plus en de plus notoire de son épouse avec un ami du couple ».
En dépit de l’aveu fait par son amant, la veuve infidèle avait naturellement nié tout adultère et soutenu que la cause du suicide de son époux était une dépression, apparue en décembre 2009. Elle mettait la déclaration de son amant sur le compte d’un accident vasculaire cérébral et faisait observer que l’intéressé s’était ensuite rétracté. Affirmant que son couple vivait « en parfaite harmonie », elle demandait que la donation litigieuse fût requalifiée en « donation rémunératoire », c’est-à-dire faite en récompense de services rendus à la famille, et invoquait le sacrifice de sa carrière professionnelle en faveur de celle de son époux et de l’entretien des enfants de ce dernier alors installés en Corse.
Ce à quoi les deux fils répliquèrent qu’elle n’avait pas abandonné son emploi volontairement, mais qu’elle avait été licenciée pour cause réelle et sérieuse. Ajoutant qu’elle ne s’était jamais consacrée à la carrière de son époux ni à l’entretien des enfants, ils avaient produit à l’appui de leurs propos une attestation d’un collègue du défunt indiquant :
« J’ai travaillé avec Didier X… durant plusieurs années de 1988 jusqu’à son décès… toute l’organisation, les choix des studios et des musiciens, la logistique et les plannings ont été réglés entre Didier X… et moi-même et personne d’autre n’est intervenu dans notre travail […]. Je n’ai jamais eu à faire à Valérie X… en ce qui concernait des raisons professionnelles. »
Sur la forme, les deux fils fondaient leur action sur l’article 957 du Code civil, selon lequel les héritiers du donateur ne peuvent agir contre le donataire que si celui-ci est « décédé dans l’année du délit », leur demande devant être formée « dans l’année, à compter du jour du délit imputé par le donateur au donataire, ou du jour que le délit aura pu être connu par le donateur ».
Selon une jurisprudence constante, la Cour de cassation donne pour point de départ au délai d’un an :
- le moment où le fait d’ingratitude a cessé, lorsqu’il s’est prolongé dans le temps ;
- le derniers des faits d’ingratitude, lorsque celle-ci est constituée de plusieurs faits successifs.
Les deux fils estimaient donc qu’ils pouvaient agir jusqu’au 7 août 2012 et que par conséquent leur action, introduite le 26 juillet 2012, était recevable. La veuve infidèle soutenait au contraire que le point de départ de l’action en révocation courait à partir du jour où son époux avait eu la certitude d’être trompé, soit le 21 juillet 2011 au plus tard, de sorte que l’action aurait été prescrite.
S’appuyant sur les déclarations d’un témoin, le tribunal de grande instance de Bastia avait jugé le 1er juillet 2014 que le défunt pouvait avoir eu connaissance de l’adultère de son épouse le 21 juillet 2011 et que cet adultère avait perduré jusqu’à la date de son décès, de sorte que l’action n’était pas prescrite, mais avait pourtant débouté les deux fils. Ceux-ci avaient alors interjeté appel de la décision.
Par arrêt en date du 25 mai 2016, la cour d’appel de Bastia avait jugé que « la preuve de l’adultère […] est rapportée » et indiqué que l’adultère étant « un fait d’ingratitude prolongé dans le temps, le point de départ du délai de la prescription annale […] est le moment où celui-ci a cessé », soit le 7 août 2011. Constatant par ailleurs que, si la veuve prétendait « avoir exercé une activité de gérance et d’administration de la société de son époux », elle ne précisait toutefois pas de quelle société il s’agissait et ne démontrait pas la réalité de son travail, la cour avait conclu que l’action n’était pas prescrite et, retenant la cause d’ingratitude fondée sur l’adultère, prononcé la révocation de la donation au dernier vivant.
Loin de se décourager, la veuve infidèle s’était alors pourvue en cassation, au moyen que la cour d’appel de Bastia n’aurait pas démontré en quoi l’adultère incriminé présentait le caractère d’« injure grave ».
La Cour de cassation a donc rejeté le pourvoi et confirmé l’arrêt en tous points :
« Ayant relevé, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que les relations extra-conjugales entretenues par Mme Y… avaient perduré jusqu’au décès, le 7 août 2011, de Didier X…, qui n’en avait pas eu connaissance plus d’un an avant sa disparition, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action en révocation de la donation, introduite par acte du 26 juillet 2012, n’était pas prescrite […].
« Ayant relevé que les relations adultères, entretenues par Mme Y… avec un ami intime de son couple, avaient suscité des rumeurs dans leur village et que, depuis août 2010, les relations conjugales s’étaient détériorées, ce que Didier X…, très attaché à son épouse, avait vécu douloureusement ainsi qu’il s’en était ouvert auprès de ses proches auxquels il avait confié ses doutes, la cour d’appel, qui a caractérisé la gravité de l’injure faite à ce dernier, a légalement justifié sa décision. »
On peut rapprocher cet arrêt d’un autre, beaucoup plus ancien, du 19 mars 1985 (pourvoi nº 84-10237). L’adultère est toujours susceptible de constituer une injure grave mais il revient aux juges d’en relever les circonstances particulièrement douloureuses. Par ailleurs, l’adultère étant une injure continue, le délai de prescription ne commence à courir que lorsqu’il cesse, quel que soit le moment auquel le donateur l’ait connu.
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 25 octobre 2017
Nº de pourvoi : 16-21136
Arrêt archivé au format PDF (43 Ko, 4 p.).
Dans la deuxième affaire, pour juger qu’une épouse ne pouvait prétendre qu’au quart en pleine propriété des biens de la succession en présence de deux enfants issus d’une première union, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait retenu que les libéralités consenties par un époux à son conjoint ne peuvent préjudicier à la réserve des héritiers, de sorte que le conjoint survivant ne peut bénéficier du cumul de ses droits légaux avec la libéralité consentie en application de l’article 1094 du Code civil lui octroyant un droit plus étendu, alors que l’épouse bénéficie de sa vocation légale, augmentée de la portion de la libéralité excédant cette vocation, dans la limite de la quotité disponible spéciale entre époux. Il résulte en effet des articles 757, 758-6 et 1094-1 du Code civil qu’en présence d’enfants ou de descendants, les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession, de sorte qu’il ne peut recevoir une portion de biens supérieure soit à la quotité disponible en faveur d’un étranger, soit au quart en pleine propriété et aux trois quarts en usufruit, soit encore à la totalité des biens en usufruit seulement.
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 25 octobre 2017
Nº de pourvoi : 17-10644
Arrêt archivé au format PDF (35 Ko, 2 p.).
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