Question sur la protection de l’enfant face à un parent violent

Sénat

Rapin (Jean-François), question orale nº 1946S au secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles sur la protection de l’enfant face à un parent violent [Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Sénat », nº 46 S (Q), 25 novembre 2021, p. 6502].

Jean-François Rapin (© D.R.)

Jean-François Rapin (© D.R.)

M. Jean-François Rapin attire l’attention de M. le secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles, sur la protection de l’enfant face à un parent violent. L’alinéa premier de l’article 3 de la convention relative aux droits de l’enfant stipule que : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

Parallèlement, depuis 2009, de nombreuses évolutions législatives et réglementaires ont permis de renforcer la sécurité des femmes victimes de violences conjugales. Toutefois, un vide juridique demeure concernant les enfants, étant pourtant au cœur du foyer et subissant quotidiennement les répercussions de ces agressions domestiques avec un risque de stress traumatique non négligeable.

En effet, le groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur l’action contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), organe indépendant chargé de veiller à la mise en œuvre de la convention d’Istanbul, relative aux violences faites aux femmes, constatait, en 2019, que la France, en dépit de l’existence de plusieurs dispositifs législatifs permettant de faire primer l’intérêt et la sécurité de l’enfant dans les décisions de justice concernant les droits de visite et de garde, n’appliquait que trop rarement ces dispositions. Il soulignait également la nécessité urgente de fonder les politiques et les pratiques en reconnaissant que, dans un contexte de violences conjugales, l’exercice conjoint de la parentalité, ainsi que le maintien de droits de visites, était un moyen pour l’agresseur de continuer à maintenir l’emprise et la domination sur la femme et sur ses enfants. La protection des femmes et la protection de l’enfance au sein d’un même foyer relevant, ainsi, d’une même problématique.

Cette année, l’Espagne a adopté deux lois apportant une réponse concrète aux constats soulevés par le GREVIO. La première, du 2 juin 2021, prévoit de suspendre automatiquement le droit de visite dans le cas où l’un des parents ferait l’objet de poursuites ou de condamnation pour violences conjugales ou exercées sur ses enfants [1]. La seconde loi, du 4 juin 2021, garantit quant à elle le droit fondamental des enfants et adolescents à l’intégrité face à toute forme de violence.

Aujourd’hui, il est indispensable que le Gouvernement puisse agir en ce sens afin de protéger l’intérêt supérieur des enfants vivant des agressions domestiques.

Une proposition de loi fut déposée à l’Assemblée nationale par les députés du groupe Les Républicains relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Examinée en octobre 2019, le Gouvernement s’était montré frileux, craignant notamment une condamnation de la France par la convention européenne des droits de l’homme et de sauvegarde des libertés fondamentales (CEDH) si l’autorité parentale du parent violent était automatiquement suspendue. Pourtant, à ce jour, l’Espagne ne fait l’objet d’aucune poursuite malgré ses évolutions législatives.

L’heure du bilan n’a pas encore sonné. Il est donc encore temps d’agir. Il souhaite connaître les intentions du Gouvernement afin de renforcer l’arsenal juridique visant à protéger les enfants et le parent, covictimes des violences conjugales.


Réponse du ministère chargé de la Citoyenneté donnée lors de la séance publique du 30 novembre 2021.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, auteur de la question nº 1946, transmise à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-François Rapin. Madame la ministre, la convention internationale des droits de l’enfant précise : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, […] l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

Depuis 2009, de nombreuses évolutions législatives et réglementaires ont permis de renforcer la sécurité des femmes victimes de violences conjugales. Toutefois, un vide juridique demeure concernant les enfants. Ces derniers sont pourtant au cœur du foyer et subissent quotidiennement les répercussions de ces agressions domestiques, avec un risque traumatique non négligeable.

En 2019, le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Grevio) constatait que la France n’appliquait que trop rarement les dispositifs législatifs existants permettant de faire primer l’intérêt et la sécurité de l’enfant dans les décisions de justice, notamment concernant les droits de visite et de garde.

Les auteurs du rapport soulignaient également la nécessité urgente de fonder les politiques et les pratiques, en reconnaissant que, dans un contexte de violences conjugales, l’exercice conjoint de la parentalité, ainsi que le maintien des droits de visite, était un moyen pour l’agresseur de continuer à maintenir l’emprise et la domination sur la femme et sur ses enfants.

Cette année, l’Espagne a adopté deux lois apportant une réponse concrète aux constats soulevés par le Grevio. Aujourd’hui, il est indispensable que le Gouvernement puisse agir en ce sens, afin de protéger l’intérêt supérieur des enfants vivant des agressions domestiques.

Une proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants avait été déposée par les députés du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale. Elle fut examinée en octobre 2019, mais le Gouvernement se montra frileux, craignant notamment une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) si l’autorité parentale du parent violent était automatiquement suspendue. Pourtant, à ce jour, l’Espagne ne fait l’objet d’aucune poursuite malgré ses évolutions législatives.

L’heure du bilan n’a pas encore sonné ; il est encore temps d’agir ! Madame la ministre, comment le Gouvernement envisage-t-il de renforcer l’arsenal juridique visant à protéger les enfants et le parent, covictimes de violences conjugales ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Marlène Schiappa (© D.R.)

Marlène Schiappa (© D.R.)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Jean-François Rapin, je veux tout d’abord rappeler l’engagement du Gouvernement contre les violences conjugales.

Dès 2017, le Président de la République en a fait la grande cause de son quinquennat. En 2019, avec le Premier ministre Édouard Philippe, nous avons porté un Grenelle des violences conjugales, qui a permis l’adoption de deux lois par les parlementaires, dont celle que vous venez de mentionner. Au total, ce Grenelle a donné lieu à des centaines de mesures, dont plusieurs dizaines au sein de ces deux lois.

Ces textes sont venus compléter les dispositions de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite « loi Schiappa », dans laquelle, sur l’initiative de Mme la députée Alexandra Louis et grâce au concours de Mme la sénatrice Marie Mercier, figurent des dispositions visant à mieux protéger les enfants ; le fait de commettre des violences conjugales en présence d’enfants est notamment devenu une circonstance aggravante desdites violences.

Les lois du 28 décembre 2019 et du 30 juillet 2020 ont tiré les conséquences de cette approche, en prévoyant notamment une suspension de plein droit de l’autorité parentale en cas de poursuites pour homicide volontaire sur l’autre parent. Je tiens à le rappeler, car je ne veux pas que l’on puisse laisser entendre que ce ne serait pas le cas aujourd’hui !

Cette disposition nous avait été inspirée par une triste affaire : l’assassinat de Julie Douib par son ex-compagnon. Celui-ci avait, depuis sa prison, conservé l’autorité parentale sur ses enfants, élevés par leurs grands-parents. Aujourd’hui, cette suspension de plein droit de l’autorité parentale figure dans la loi.

Vous savez, monsieur le sénateur, que le droit français ne prévoit pas de peines automatiques, quel que soit le crime ou le délit. Nous avons eu de tels débats dans cet hémicycle, et les sénateurs se sont toujours opposés au principe même des peines automatiques.

Rappelons en revanche que le juge des libertés et de la détention a l’obligation de se prononcer, dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour violences conjugales, sur la suspension du droit de visite. En outre, le juge pénal peut retirer l’exercice de l’autorité parentale en cas de commission d’un crime ou d’un délit, ou encore en cas de mise en danger de la vie de l’enfant ou de désintérêt.

Cela dit, monsieur le sénateur, je veux aller dans votre sens en affirmant que nous devons, en France, travailler à sortir de la culture de la médiation familiale en la matière, afin d’assurer, comme vous le souhaitez, une meilleure protection des enfants face à un parent qui serait dangereux.

Les juridictions se sont d’ores et déjà saisies des dispositions législatives que j’ai évoquées : le nombre de décisions de retrait de l’autorité parentale a considérablement augmenté, passant de 9 décisions en 2017 à 389 depuis le début de l’année 2021 ; on voit donc bien que le travail conjoint des associations, des parlementaires et du Gouvernement a porté ses fruits.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Enfin, un décret a été publié cette année, afin de compléter et de renforcer ces dispositions et de toujours mieux protéger les enfants contre les violences intrafamiliales.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour la réplique.

M. Jean-François Rapin. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Je suis heureux que vous reconnaissiez que nous n’allons pas assez loin en la matière et que vous conveniez que les mesures de médiation ne sont pas forcément la panacée. Je vous remercie de permettre à la législation d’évoluer.

Note de P@ternet
  1. Nous n’avons pas trouvé trace de cette loi du 2 juin 2021. La suspension automatique du droit de visite est par contre prévue dans la loi organique 8/2021 du 4 juin 2021.
Mise à jour du 1er décembre 2021

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