Petite chronique de jurisprudence en matière de droit de la famille

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 13 octobre 2021, la Cour de cassation a rendu quatre arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.

Calcul du montant de la récompense due à la communauté

En l’espèce, le divorce de deux époux mariés sous le régime de la communauté légale avait été prononcé en mai 2013, et la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux avait été ordonné. L’ex-épouse avait assigné son ex-époux en décembre 2015 pour voir trancher les points de désaccord subsistant entre eux. La cour d’appel de Grenoble avait rejeté en septembre 2019 sa demande tendant à voir admettre au profit de la communauté une récompense due par son ex-époux à raison du remboursement d’un prêt personnel de 100 000 francs par des deniers communs, en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui étaient fournies par les parties. L’ex-épouse avait alors formé un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa de l’article 4 du code de procédure civile :

« 5. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.

« 6. Pour rejeter la demande de [l’ex-épouse], l’arrêt retient qu’il n’incombe pas à la juridiction de suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve et que celle-ci ne démontre pas les éléments permettant de liquider la créance au regard de l’article 1469 du code civil dont elle sollicite l’application.

« 7. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que [l’ex-épouse] produisait le contrat de prêt souscrit par [son ex-époux] avant le mariage et sollicitait une récompense au titre de quatre-vingt-deux échéances prises en charge par la communauté, la cour d’appel, qui a refusé de calculer le montant de la récompense due à la communauté, a violé le texte susvisé. »

L’affaire et les parties sont renvoyées devant la cour d’appel de Lyon.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 13 octobre 2021
Nº de pourvoi : 19-26284

Droit à récompense pour la communauté

En l’espèce, le divorce de deux époux mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts avait été prononcé en janvier 2013. Des difficultés s’étant élevées lors de la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux, l’ex-épouse avait assigné son ex-époux en partage.

En août 2019, la cour d’appel de Colmar avait notamment condamné l’ex-époux à une récompense au profit de la communauté à raison de l’acquisition de matériel pour l’exploitation agricole lui appartenant en propre, payé au moyen de revenus de cette exploitation propre, et jugé que le capital restant dû au titre des prêts contractés par les époux pour financer l’achat du matériel agricole, propre au mari, devait être inscrit au passif de la communauté. Les deux ex-époux avaient alors chacun formé un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, laquelle a notamment relevé d’office deux moyens de pur droit en application de l’article 620, alinéa 2, du code de procédure civile.

1. Les dépenses résultant de la gestion courante de l’exploitation n’ouvrent pas droit à récompense au profit de la communauté :

« Vu les articles 1401, 1403 et 1437 du code civil :

« 5. Il ressort de ces textes que la communauté, à laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit supporter les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens et que leur paiement ne donne pas droit à récompense au profit de la communauté lorsqu’il a été fait avec des fonds communs. Il s’ensuit que n’ouvre pas droit à récompense au profit de la communauté le paiement, au moyen des revenus bruts d’une exploitation agricole propre à un époux, des dépenses résultant de la gestion courante de celle-ci, tels le remplacement d’un matériel amorti ou l’entretien des biens mobiliers ou immobiliers affectés à l’exploitation.

« 6. Pour dire que [l’ex-époux] doit une récompense à la communauté à raison de l’acquisition de matériel pour les besoins d’une exploitation agricole lui appartenant en propre, l’arrêt retient que celui-ci, dont une partie a accru le patrimoine de l’exploitation et l’autre a remplacé le matériel déjà présent lors du mariage, a été payé à l’aide des revenus de cette exploitation et non pas à l’aide des salaires de l’épouse.

« 7. En statuant ainsi, en reconnaissant à la communauté un droit à récompense pour l’ensemble du matériel acquis en cours d’union, alors qu’il ressortait de ses constatations que cette acquisition se rattachait partiellement à la gestion courante de l’exploitation, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

2. Seul le solde relatif à l’acquisition du nouveau matériel doit être supporté par l’ex-époux :

« Vu les articles 1485, 1404, alinéa 2, et 1406 du code civil :

« 9. Il résulte du premier de ces textes qu’à partir de la dissolution de la communauté, dans les rapports entre époux, chacun de ceux-ci supporte seul les dettes qui n’étaient devenues communes que sauf récompense à sa charge.

« 10. Aux termes du deuxième, forment des propres par leur nature, mais sauf récompense s’il y a lieu, les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux, à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté.

« 11. Selon le troisième, forment aussi des propres, sauf récompense s’il y a lieu, les biens acquis à titre d’accessoires d’un bien propre, ainsi que les valeurs nouvelles et autres accroissements se rattachant à des valeurs mobilières propres.

« 12. Pour inscrire au passif de la communauté le capital restant dû au titre des prêts contractés par les époux afin de financer l’acquisition de matériel pour les besoins de l’exploitation agricole de [l’ex-époux], l’arrêt retient que ce matériel, dont une partie a accru le patrimoine de l’exploitation et l’autre a remplacé le matériel déjà présent lors du mariage, faisait partie du patrimoine propre de ce dernier.

« 13. En statuant ainsi, alors que seul le solde des emprunts afférents au remplacement d’un matériel amorti devait être supporté à titre définitif par la communauté à compter de sa dissolution, le solde relatif à l’acquisition du nouveau matériel devant être supporté par [l’ex-époux], la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

L’affaire et les parties sont renvoyées devant la cour d’appel de Metz.

Les conséquences de cet arrêt de principe, destiné à être publié au Bulletin des arrêts des chambres civiles, sont suffisamment importantes pour mériter un commentaire développé. En effet, sans constituer à proprement parler un revirement de jurisprudence, cette décision remet quand même en cause les principes antérieurement établis par la Cour de cassation en 1992 et 2007.

Dans un arrêt de principe du 31 mars 1992 (arrêt « Authier c/ Pouyat », pourvoi nº 90-17212), la Cour de cassation avait en effet établi que :

« La communauté, à laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit supporter les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens ; […] dès lors, leur paiement ne donne pas droit à récompense au profit de la communauté lorsqu’il a été fait avec des fonds communs ; […] il s’ensuit que l’époux, qui aurait acquitté une telle dette avec des fonds propres, dispose d’une récompense contre la communauté. »

Autrement dit, la communauté doit assumer à titre définitif les dettes qui sont à la charge de la jouissance des biens propres dont elle bénéficie des revenus. Ce principe est relativement aisé à appliquer dans la plupart des situations. Ainsi, les dépenses d’entretien courant d’un bien propre sont à la charge définitive de la communauté, qui en encaisse les revenus ; c’est, par exemple, la communauté qui doit payer les charges courantes d’un logement propre mis en location en cas de vacance dudit logement puisque les loyers sont communs. Par contre, les dépenses d’investissement (amélioration, construction d’une piscine ou d’une terrasse, etc.) restent à la charge de la masse propre, qui bénéficiera seule de l’éventuelle plus-value finale, et la communauté devra être remboursée si c’est elle qui a financé ces dépenses. De la même façon, lorsqu’un emprunt est souscrit pour l’acquisition d’un bien propre, les intérêts incombent à titre définitif à la communauté tandis que le remboursement du capital pèse sur l’époux propriétaire du bien.

Ce principe est cependant moins aisé à appliquer lorsque le bien propre est une exploitation (agricole comme en l’espèce, artisanale, commerciale, libérale, etc.). En effet, les résultats financiers d’une exploitation propre ne sont pas comparables aux loyers d’un logement puisqu’il faut – normalement – distinguer le bénéfice final (revenu net) du chiffre d’affaires (revenu brut). Or, dans un arrêt de principe du 20 février 2007 (pourvoi nº 05-18066), la Cour de cassation avait décidé que cette distinction n’avait pas lieu d’être :

« Les fruits et revenus des biens propres ont le caractère de biens communs ; […] dès lors, donne droit à récompense au profit de la communauté l’emploi des revenus d’un bien propre à son amélioration. »

Dans un autre arrêt de principe, du 14 novembre 2007 (pourvoi nº 05-18570), la Cour de cassation avait même jugé que les revenus bruts de l’exploitation devaient être affectés à la communauté :

« Les produits de l’industrie personnelle des époux et les revenus bruts de leurs biens propres tombent en communauté et […] les instruments de travail, acquis au cours du mariage, constituent des biens propres, sauf récompense s’il y a lieu ; [un époux est] redevable d’une récompense à la communauté à raison du capital des emprunts ayant servi à financer l’acquisition [d’instruments de travail nécessaires à l’exercice de sa profession] dès lors qu’il n’[a] pas été remboursé à l’aide de ses deniers propres. »

Les inconvénients des principes ainsi établis sont majeurs : l’époux qui exploite en son nom un fonds propre doit alors récompense à la communauté lorsqu’il utilise les revenus bruts de son exploitation pour régler les dépenses liées à son activité professionnelle (achat de matériel, assurances, loyer, paiement des contributions et cotisations obligatoires dues à l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, remboursement d’emprunts, etc.), comme c’est le cas la plupart du temps, et ces récompenses à la masse commune majorent de 50 % les sommes en jeu – la fraction de chaque récompense revenant au conjoint. Une approche comptable ne porterait au bénéfice de la communauté que le seul revenu net de l’exploitation, déduction faite des dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissement restant à la charge du seul époux professionnel, mais l’article 1401 du code civil ne fait pas de distinction entre revenus bruts et revenus nets de la masse propre…

La Cour de cassation a donc admis aujourd’hui que les « dépenses résultant de la gestion courante » d’une exploitation en nom propre n’ouvrent pas droit à récompense au profit de la communauté.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 13 octobre 2021
Nº de pourvoi : 19-24008

Droit de visite accordé aux parents d’un enfant placé

En l’espèce, un juge des enfants avait ordonné en avril 2018 le placement des douze enfants d’une famille, nés entre 2000 et 2018, à l’Aide sociale à l’enfance. Le placement avait été renouvelé un an plus tard et un droit d’accueil et d’hébergement avait été accordé aux parents. Contestée par la mère, la décision avait été confirmée par la cour d’appel de Nancy en novembre 2019. La mère avait alors formé un pourvoi en cassation, faisant notamment grief à l’arrêt de dire que la fréquence et les modalités du droit d’accueil et d’hébergement seraient « à organiser en concertation avec le service gardien ».

Comme il fallait s’y attendre, l’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa des alinéas 4 et 5 de l’article 375-7 du code civil :

« 7. Il résulte de ce texte que, s’il a été nécessaire de confier l’enfant à une personne ou un établissement, ses parents conservent un droit de visite dont le juge fixe les modalités, soit la nature et la fréquence.

« 8. L’arrêt accorde aux parents un droit d’accueil et d’un [sic] droit d’hébergement dont la fréquence et les modalités sont à organiser en concertation avec le service gardien.

« 9. En statuant ainsi, alors qu’il lui incombait de définir la périodicité du droit de visite accordé, la cour d’appel a méconnu l’étendue de ses pouvoirs et violé le texte susvisé. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 13 octobre 2021
Nº de pourvoi : 20-10985

Partage d’un bien en indivision

En l’espèce, un jugement avait prononcé en septembre 1997 le divorce de deux époux et octroyé à l’épouse une prestation compensatoire sous la forme d’un abandon d’usufruit de l’époux sur sa part de communauté dans l’immeuble ayant constitué le domicile conjugal. L’ex-époux avait assigné en décembre 2016 son ex-épouse en partage de cet immeuble, dont ils étaient devenus définitivement propriétaires en décembre 2001.

La cour d’appel de Douai ayant ordonné en janvier 2019 l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage des biens de l’indivision post-communautaire existant entre les deux époux, l’ex-épouse avait formé un pourvoi en cassation, arguant notamment que la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit ne peut être ordonnée à la demande d’un nu-propriétaire contre la volonté de l’usufruitier.

Le pourvoi a été rejeté aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« 4. Selon l’article 815 du code civil, nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué.

« 5. Il résulte de l’article 818 du même code que l’indivisaire en nue-propriété peut demander le partage de la nue-propriété indivise par voie de cantonnement sur un bien ou, en cas d’impossibilité, par voie de licitation de la nue-propriété.

« 6. Ayant constaté que [les deux ex-époux] détenaient chacun pour moitié des droits en nue-propriété sur l’immeuble litigieux, de sorte qu’il existait entre eux une indivision quant à la nue-propriété, la cour d’appel en a exactement déduit que [l’ex-époux] était en droit de provoquer le partage, peu important le droit d’usufruit de [son ex-épouse] sur ce bien. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 13 octobre 2021
Nº de pourvoi : 20-16282

Attention ! La jurisprudence et la loi évoluent en permanence. Assurez-vous auprès d’un professionnel du droit de l’actualité des informations données dans cet article, publié à fin d’information du public.

Faire un don

Totalement indépendant, ne bénéficiant à ce jour d’aucune subvention publique et ne vivant que de la générosité privée, P@ternet a besoin du soutien de ses lecteurs pour continuer, et se développer. Si cette publication vous a intéressé, vous pouvez soutenir P@ternet grâce à un don ponctuel en cliquant sur l’image ci-dessous.

helloasso

Laissez un commentaire (respectez les règles exposées dans la rubrique “À propos”)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.