Un conflit parental entre les États-Unis et l’Inde jugé en Angleterre

Courts and Tribunal Judiciary

La Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles s’est prononcée aujourd’hui dans une affaire assez complexe où des parents indiens s’opposaient sur la résidence de leur enfant, la mère réclamant son retour aux États-Unis tandis que le père réclamait son retour en Inde. Nonobstant le contexte inhabituel de l’affaire et les particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche, il nous paraît intéressant de signaler cette décision à l’attention de nos lecteurs.

Contexte

En l’espèce, un homme originaire de l’État indien du Gujarat était parti en 2008 aux États-Unis. Il y avait épousé une citoyenne américaine, en avait divorcé, s’était remarié en 2013 et avait de nouveau divorcé en 2016. Devenu citoyen américain suite à son premier mariage, il était cependant resté citoyen indien d’outre-mer, cette double nationalité lui permettant notamment d’entrer en Inde sans visa.

Par ailleurs, une femme originaire du même État indien était entrée aux États-Unis au printemps 2015 sans visa. Emprisonnée puis libérée sous caution, elle avait ensuite déposé une demande d’asile – qui n’a pas encore été accordée. Les deux expatriés avaient fait connaissance peu après sur Facebook et avaient commencé à vivre ensemble pendant l’été 2015. Un petit garçon était né de leur union en novembre 2016, bénéficiant de la citoyenneté américaine.

Alors qu’ils résidaient dans le New Jersey, les parents avaient conclu en mars 2017 un accord permettant au père de voyager avec l’enfant sans le consentement de la mère. Ayant obtenu avec l’accord de la mère une ordonnance de garde exclusive par un tribunal du New Jersey en mai 2017, le père était retourné en Inde avec son fils en juillet 2017 pour y vivre avec sa famille.

Conseillée par le cabinet d’avocats qui s’occupait de son dossier d’immigration, la mère avait engagé une procédure en juillet 2018 devant un tribunal du New Jersey et obtenu en septembre une ordonnance de garde conjointe, portée à la connaissance du père. Elle avait ensuite déposé une plainte contre le père pour enlèvement et un mandat d’arrêt international avait été émis.

Arrêté en octobre 2020 alors qu’il s’était rendu avec son fils en Angleterre, le père avait été incarcéré et l’enfant placé en famille d’accueil, un contact vidéo étant mis en place avec sa famille paternelle et sa mère. Icelle ayant engagé une nouvelle procédure en Angleterre en vertu de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, le petit garçon avait été placé sous la protection des juridictions anglaises. Un tribunal du New Jersey avait par ailleurs accordé à la mère la garde temporaire de l’enfant en mars dernier, pour garantir le retour d’icelui aux États-Unis.

L’affaire avait été entendue devant la High Court of Justice (Family Division), également en mars dernier, par la juge Clare Ambrose. La mère demandait le retour de l’enfant aux États-Unis et le père le retour en Inde. La requête de la mère avait été rejetée et le retour de l’enfant en Inde ordonné (décision AB v CD & Anor [2021] EWHC 2673 (Fam) du 26 mars 2021).

La mère avait aussitôt sollicité l’autorisation d’interjeter appel [1] et un sursis à exécution avait été accordé. L’autorisation d’interjeter appel ayant été donnée, l’enfant avait été confié aux soins de sa tante paternelle vivant à Londres dans l’attente de la nouvelle décision.

Appel

L’appel de la mère était fondé sur trois motifs principaux (§ 23) :

« (1) The Judge failed to respect international comity by ignoring orders from the courts of the USA that the father must return [the child] to that jurisdiction.

« (2) The Judge’s welfare analysis was inadequate. She should have adjourned to await the extradition decision. She took no account of the inherent unlikelihood of contact between [the child] and his mother if he returns to India.

« (3) The Judge’s finding of fact that the mother consented to [the child]’s permanent removal to India is challenged on 11 miscellaneous grounds. »

Le juge Peter Jackson a d’abord rejeté le troisième motif, contestant le consentement maternel au départ du père avec l’enfant. La mère soutenait que la juge Clare Ambrose n’avait pas accordé suffisamment d’importance au fait qu’elle avait demandé des conseils juridiques quelques jours après le départ de l’enfant pour l’Inde mais le juge Peter Jackson a relevé qu’il y avait suffisamment d’éléments pour étayer les déclarations du père sur ce point et a estimé que les conclusions de la juge Clare Ambrose étaient fondées (§§ 24-32).

Au regard du premier motif (respect des décisions judiciaires américaines), le juge Peter Jackson a relevé qu’il n’avait pas été demandé aux juridictions anglaises de reconnaître ni d’exécuter les décisions judiciaires du tribunal du New Jersey et que les États-Unis n’avaient de toute façon pas ratifié la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants. Les décisions américaines avaient par ailleurs été rendues sur la seule base de l’allégation maternelle d’enlèvement de l’enfant par le père et, la juge Clare Ambrose ayant conclu que l’enfant n’avait pas été enlevé, elle était en droit de n’accorder aucun poids auxdites décisions. Le premier motif a donc également été rejeté (§§ 33-34).

Le juge Peter Jackson a estimé que le second motif (détermination du bien de l’enfant) était seul vraiment au cœur de l’appel. Il a relevé que l’enfant avait été emmené des États-Unis (pays signataire de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants) vers l’Inde (non signataire de ladite convention), de sorte que l’affaire avait une nature hybride, tenant à la fois de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et de l’inherent jurisdiction. Au regard de la jurisprudence pertinente en l’espèce (Re J [2005] UKHL 40, Re M (Children) [2007] UKHL 55 et Re NY [2019] UKSC 49), le juge Peter Jackson a considéré que « what is therefore needed in all cases is an inquiry that sufficiently identifies what the child’s welfare requires » (§ 39). Tout en reconnaissant que la juge Clare Ambrose aurait pu formuler sa décision de manière plus complète sur ce point, le juge Peter Jackson a estimé qu’elle était en droit de conclure que la mère n’offrait pas de solution viable pour l’enfant et que ses actions avaient seulement conduit à le retirer à son père et à le faire placer chez des étrangers (§ 47).

L’appel de la mère a donc été rejeté.

Références
England and Wales Court of Appeal (Civil Division)
Date : 28 juillet 2021
Décision : P (A Child) (Abduction: Inherent Jurisdiction) [2021] EWCA Civ 1171
Note
  1. La législation du Royaume-Uni (cf. section VIII des Civil Procedure Rules 1998 et sections 54 à 58 de l’Access to Justice Act 1999) prévoit une autorisation préalable pour pouvoir interjeter appel d’une décision judiciaire.

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