Le Conseil d’État s’est prononcé aujourd’hui sur une question – étonnamment – inédite : une pension alimentaire au titre de la contribution à l’entretien et l’éducation d’enfants mineurs versée sous forme de prestations en nature entre-t-elle dans l’assiette de l’impôt sur le revenu du bénéficiaire au même titre qu’une pension alimentaire versée en numéraire ?
En l’espèce, un jugement avait prononcé le divorce de deux époux en septembre 2012 et fixé le lieu de la résidence habituelle des trois enfants concernés chez leur mère. Reconduisant la plupart des dispositions financières de l’ordonnance de non-conciliation rendue en avril 2009, le jugement avait aussi fixé la contribution mensuelle à l’entretien et à l’éducation des enfants à charge à la somme de deux mille euros par enfant, soit six mille euros en tout, et décidé que le père règlerait en outre directement les frais de scolarité et d’activités extra-scolaires ainsi que les salaires et cotisations afférentes à la nourrice et à l’employée de maison de la mère, icelle bénéficiant également de la jouissance gratuite du logement familial détenu en indivision avec son ex-mari.
La mère avait fait l’objet d’un contrôle fiscal sur pièces, à l’issue duquel le service fiscal avait réintégré à son revenu imposable des années 2010 à 2012 les montants des pensions alimentaires versées en nature par le père et qu’elle n’avait pas déclarées, estimant qu’elles étaient exonérées d’impôt sur le revenu – elle avait cependant porté dans ses déclarations de revenus des mêmes années les montants des pensions alimentaires perçues en numéraire. La mère avait contesté les suppléments d’impôt sur le revenu qui en étaient résulté pour elle devant le tribunal administratif de Paris, arguant notamment que les impositions mises à sa charge avaient un caractère confiscatoire, étaient contraires au respect de la vie familiale et opéraient une « discrimination de la mère de famille ».
Sa demande ayant été rejetée en mai 2018, la mère avait interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Paris, laquelle avait annulé en juillet 2019 le jugement du tribunal administratif de Paris en raison d’une irrégularité de forme mais en avait confirmé le fond. La mère avait alors formé un pourvoi devant le Conseil d’État, lequel a confirmé aujourd’hui l’arrêt attaqué :
« 2. […] Aux termes de l’article 79 du code général des impôts : “Les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l’impôt sur le revenu (…)”. Aux termes de l’article 82 du même code : “Pour la détermination des bases d’imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères proprement dits (…)”. Aux termes de l’article 80 septies du même code : “Les pensions alimentaires versées à un enfant majeur sont soumises à l’impôt sur le revenu dans les limites admises pour leur déduction. Les pensions alimentaires versées pour un enfant mineur résidant en alternance chez ses parents et pris en compte pour la détermination du quotient familial de chacun d’eux ne sont pas imposables entre les mains de celui qui les reçoit”.
« 3. Aux termes de l’article 373-2-2 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige : “En cas de séparation entre les parents, ou entre ceux-ci et l’enfant, la contribution à son entretien et à son éducation prend la forme d’une pension alimentaire versée, selon le cas, par l’un des parents à l’autre, ou à la personne à laquelle l’enfant a été confié. / Les modalités et les garanties de cette pension alimentaire sont fixées par la convention homologuée visée à l’article 373-2-7 ou, à défaut, par le juge. / Cette pension peut en tout ou partie prendre la forme d’une prise en charge directe de frais exposés au profit de l’enfant. / Elle peut être en tout ou partie servie sous forme d’un droit d’usage et d’habitation”.
« 4. Il résulte des dispositions citées aux points 2 et 3 qu’à l’exception de celles versées pour un enfant mineur résidant en alternance chez ses parents et pris en compte pour la détermination du quotient familial de chacun d’eux, les pensions alimentaires versées au titre de la contribution à l’entretien et l’éducation des enfants mineurs, y compris lorsqu’elles prennent la forme de prestations en nature, doivent être comprises dans les bases de l’impôt sur le revenu dû par le parent qui en bénéficie au titre de l’année au cours de laquelle celui-ci les a perçues, quelle que soit la répartition du quotient familial entre les deux parents. Par suite, c’est sans erreur de droit que la cour a jugé que [la mère] devait être imposée à raison des pensions alimentaires réglées en nature par [le père] en exécution de l’ordonnance de non-conciliation du 3 avril 2009 et du jugement de divorce du 28 septembre 2012, alors même que les dépenses correspondantes étaient directement prises en charge par [le père]. »
- Références
- Conseil d’État
3e–8e chambres réunies
Lecture du 5 juillet 2021
Décision nº 434517
Décision du 2 mai 2018 (tribunal administratif de Paris) archivée au format PDF (227 Ko, 4 p.).
Décision du 11 juillet 2019 (cour administrative d’appel de Paris) archivée au format PDF (134 Ko, 4 p.).
Décision du Conseil d’État archivée au format PDF (94 Ko, 3 p.).
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