Une juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, Sandra Wilkinson, a rendu aujourd’hui une décision ordonnant qu’une « deuxième mère » doit être ajoutée à l’acte de naissance d’un garçon de deux ans et demi, de sorte que les trois membres d’une « triade polyamoureuse » soient enregistrés en tant que parents de l’enfant qu’ils élèvent ensemble. La juge Sandra Wilkinson a en effet estimé que le Family Law Act actuellement en vigueur en Colombie-Britannique comportait une lacune pour les enfants conçus dans des « familles polyamoureuses ».
En l’espèce, les requérants sont deux femmes et un homme – pseudonymisés Eliza, Olivia et Bill dans le jugement – vivant ensemble depuis 2017 dans le cadre d’une « relation polyamoureuse ». Selon eux, « this means that they each have a relationship with one another and each of their relationships with each other are considered equal » (§ 8). Une des deux femmes (Eliza) a eu un enfant – pseudonymisé Clarke dans le jugement – avec l’homme à l’automne 2018. Le trio était convenu dès avant la conception que l’autre femme serait impliquée dans la vie de l’enfant en tant que « full parent » (§ 10). De fait, cette implication s’est manifestée très tôt (§ 11) :
« Olivia went as far as inducing lactation so she would also be able to feed Clarke when he was born. In fact, Olivia was the first parent to feed Clarke after he was born. »
Cependant, conformément à la section 26 du Family Law Act, seuls les deux parents biologiques avaient pu être nommés sur l’acte de naissance de l’enfant (§ 1), alors que si l’enfant avait été conçu par procréation médicalement assistée, les trois adultes auraient pu conclure un accord pour être tous déclarés parents en vertu de la section 30 du Family Law Act. Cette discordance n’a pas été du goût de la juge Sandra Wilkinson :
« [68] […] I find that there is a gap in the [Family Law Act] with regard to children conceived through sexual intercourse who have more than two parents. The evidence indicates that the legislature did not foresee the possibility a child might be conceived through sexual intercourse and have more than two parents. Put bluntly, the legislature did not contemplate polyamorous families. This oversight is perhaps a reflection of changing social conditions and attitudes, as was found to be the case in A.A. and C.C., or perhaps is simply a misstep by the legislature. Regardless, the [Family Law Act] does not adequately provide for polyamorous families in the context of parentage. »
Le procureur général de la Colombie-Britannique s’était opposé à la requête, arguant que « this will open the floodgates for parentage declarations in the future » (§ 76). La juge Sandra Wilkinson lui a rétorqué :
« [76] […] I do not think this concern is warranted nor a reason to refrain from exercising my parens patriæ jurisdiction in the circumstances. […] It is uncommon for an individual to come to court wanting a parentage declaration. In fact, in many family law cases that come before the court, parents are trying to skirt their responsibilities, instead of secure them. »
La juge Sandra Wilkinson a également estimé qu’il appartenait au législateur de « clarify when (and if) a child may have more than two legal parents if they are conceived through sexual intercourse » (§ 77).
Le procureur général de la Colombie-Britannique avait aussi fait valoir que la deuxième femme aurait pu simplement être désignée comme tutrice légale de l’enfant, et que cela n’aurait constitué qu’une différence insignifiante avec sa reconnaissance comme parent (§ 41). La juge Sandra Wilkinson a ainsi répondu :
« [79] Currently, Olivia does not have any legal rights as a parent. She has also not applied for guardianship so she does not have any legal rights as a guardian. The fact that Olivia is not Clarke’s legal parent has practical and symbolic implications. While some of these practical implications would be “cured” if Olivia were to become Clarke’s guardian, guardianship is not equivalent. A declaration of parentage is a lifelong immutable declaration of status, and the rights and responsibilities that come along with that status. […]
« [80] […] A legal distinction between the relationships may create an inequity between their roles in Clarke’s life which would negatively impact Clarke. Recognition of Olivia as Clarke’s legal parent would also allow Olivia to access additional statutory and other benefits for Clarke which, in turn, would positively impact him. For example, Olivia testified that a declaration of legal parentage would mean that Clarke could be added to her employer’s extended health plan. »
Pour remédier à la lacune qu’elle estimait avoir décelée dans le Family Law Act, la juge Sandra Wilkinson a décidé d’exercer sa compétence parens patriæ – un principe de droit propre au régime de common law, permettant notamment aux tribunaux, après évaluation des circonstances particulières d’une affaire, de combler une lacune législative sans interférer avec les lois existantes – pour décider que la deuxième femme est un parent légal, aux côtés des parents biologiques de l’enfant, au motif qu’il est dans ses « best interests to have all of his parents legally recognized as such » (§ 82).
Le trio avait également avancé un argument fondé sur la section 15 de la Canadian Charter of Rights and Freedoms, selon lequel la loi est discriminatoire à leur égard en raison de leur situation familiale. Ayant déclaré la deuxième femme en tant que parent en vertu de sa compétence parens patriæ, la juge Sandra Wilkinson ne s’est pas prononcée sur ce moyen, mais a brièvement expliqué pourquoi il était voué à l’échec :
« [86] The petitioners have the burden of establishing that “family status” is an analogous ground. Whether family status is an analogous ground requires looking beyond the petitioners’ circumstances. This is because once an analogous ground is recognized in a Charter case, it is recognized for the purposes of all future potential Charter cases […].
« [88] While family status has come before the courts previously as a proposed analogous ground, it has yet to be found to be as such. […].
« [91] […] For a court to find there is a new analogous ground there needs to be a robust record with significant evidence and submissions. »
On relève que la juge Sandra Wilkinson conclut sa décision en affirmant que l’enfant « is being raised in a loving and supportive family by three highly capable parents » (§ 92).
Cette décision n’est que la plus récente d’une série d’autres rendues ces dernières années par des tribunaux canadiens dans des affaires plus ou moins similaires et qui ont peu à peu ébranlé les règles de la filiation. On peut notamment citer :
- la décision A.A. v. B.B., 2007 ONCA 2, rendue en 2007 par la cour d’appel de l’Ontario en faveur d’un couple de femmes qui voulaient que leurs deux noms soient inscrits comme mères à côté du nom de l’homme qui les avait aidées à fonder une famille ;
- la décision C.C. (Re), 2018 NLSC 71, rendue en avril 2018 par la Cour suprême de Terre-Neuve et Labrador en faveur des trois membres d’une relation polyamoureuse qui voulaient être tous identifiés sur l’acte de naissance d’un enfant – en l’espèce, la relation impliquait une femme et deux hommes, dont on ne savait lequel était le père biologique ;
- la décision Cabianca v. British Columbia (Registrar General of Vital Statistics), 2019 BCSC 2010, rendue en novembre 2019 par un autre juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, ayant statué qu’un homme qui avait donné son sperme à un couple de femmes pouvait avoir son nom inscrit sur les actes de naissance des enfants nés de chacune d’elles femmes – en l’espèce, des ententes écrites et verbales permettaient à plus de deux personnes d’être reconnues comme parents en vertu de la section 31 du Family Law Act.
Il faut enfin relever que la décision ici commentée a nécessité quatre avocats pour les requérants, lesquels devaient disposer des ressources financières idoines. Ce genre de requête n’est donc pas à la portée de tous.
- Références
- Supreme Court of British Columbia
Jugement du 23 avril 2021
British Columbia Birth Registration No. 2018-XX-XX5815, 2021 BCSC 767
Jugement archivé au format PDF (208 Ko, 27 p.).
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