Question sur la refondation de l’aide sociale à l’enfance

Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Assemblée nationale », nº 6 A.N. (Q), 9 février 2021

Ménard (Emmanuelle), question écrite nº 31877 au ministre de la Justice sur la refondation de l’aide sociale à l’enfance [Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Assemblée nationale », nº 33 A.N. (Q), 18 août 2020, p. 5539].

Emmanuelle Ménard (© D.R.)

Emmanuelle Ménard (© D.R.)

Mme Emmanuelle Ménard attire l’attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les conditions parfois alarmantes quant au placement d’enfants et au caractère abusif de certains d’entre eux. En France, en 2019, on comptait 330 000 enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Devant l’ampleur de ce phénomène, l’État a une lourde responsabilité vis-à-vis de ces enfants et de leurs parents. Malheureusement, les rapports inquiétants se succèdent. Le 22 avril 2020, la Cour des comptes publiait un référé à l’attention du Premier ministre établissant que « le pilotage national de la protection de l’enfance, qui associe de nombreuses instances, est jugé insatisfaisant depuis longtemps » et formulait cinq recommandations. Plus récemment, M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, dans une décision du 16 juillet 2020, rappelait lui aussi que « que le service public de la justice est défaillant, en ce qu’il ne garantit pas partout et pour tous le respect des droits et de l’intérêt supérieur des enfants parties à des procédures d’assistance éducative », formulant à son tour dix recommandations. Devant de telles demandes, une refondation de l’aide sociale à l’enfance ne devrait plus être qu’une question de temps. La question est latente depuis trop longtemps. Il faut repenser la façon dont les enfants sont placés. Une audition dans le cadre d’une mission d’information à l’Assemblée nationale sur l’aide sociale à l’enfance du 23 mai 2019 rappelait en effet que « outre que l’on peut s’interroger sur l’éventuel détournement d’argent public par des placements abusifs, les pratiques des services sociaux à l’égard des parents posent aussi des questions ». Elle lui demande donc quelle politique et selon quel échéancier le Gouvernement compte refonder l’aide sociale à l’enfance.


Réponse du ministère de la Justice publiée dans le Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Assemblée nationale », nº 6 A.N. (Q), 9 février 2021, pp. 1225-1226.

Éric Dupond-Moretti (© D.R.)

Éric Dupond-Moretti (© D.R.)

La question du placement des enfants relève de la politique de protection de l’enfance qui est une politique publique décentralisée soumise au principe de subsidiarité de l’intervention judiciaire et à un cadre strict imposé par la loi (I). Par ailleurs, pour assurer une meilleure cohérence et convergence des pratiques sur tout le champ de la protection de l’enfance, et notamment sur le sujet du placement, une refonte actuelle de la gouvernance nationale de la protection de l’enfance est en cours de mise en œuvre par le Gouvernement (II). – le placement d’un enfant soumis au principe de subsidiarité et à un cadre strict imposé par le loi : Le conseil départemental est compétent en matière de protection de l’enfance depuis la loi du 22 juillet 1983 qui lui a transféré la responsabilité des services d’aide sociale à l’enfance. Il s’est par la suite vu confier le rôle de chef de file en la matière depuis la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, qui a également posé le principe de subsidiarité de l’intervention judiciaire par rapport à l’intervention administrative. Ce sont donc les services de l’aide sociale à l’enfance, par délégation du Président du conseil départemental, qui sont en charge de la protection administrative des enfants. Il s’agit de mesures de protection mises en œuvre à la demande des parents ou avec leur accord, s’ils (ou l’un d’eux) sont « confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de leurs enfants mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social » (art. L 221-1 du code de l’action sociale et des familles). Le placement d’un enfant intervient donc, en principe, en l’absence de danger grave et immédiat, avec l’accord des parents sous la responsabilité du conseil départemental. L’intervention judiciaire, qui relève de la responsabilité de l’État, n’intervient qu’à titre subsidiaire lorsque la protection administrative s’est montrée inefficace ou insuffisante, lorsqu’il est impossible, pour le département, d’intervenir auprès d’une famille du fait d’un refus ou d’une impossibilité de coopération de la part de celle-ci, ou lorsqu’il existe un danger grave et immédiat pour l’enfant, notamment en cas de maltraitance (art. L 226-4 du code de l’action sociale et des familles). Le placement judiciaire en assistance éducative est une mesure de protection des enfants très encadrée par les textes en raison de l’atteinte importante portée au droit à la vie privée et familiale des parents comme des enfants. Il s’agit d’une mesure de dernier recours, limitée aux situations les plus graves. L’article 375-2 du code civil prévoit, en effet, que le placement n’intervient que lorsque le maintien du mineur dans sa famille n’est pas possible, en raison d’une situation de danger pour sa santé, sa sécurité, sa moralité ou lorsque ses conditions d’éducation ou de développement sont gravement compromises. Les décisions en assistance éducative sont prises par le juge des enfants à l’issue d’un débat contradictoire, au cours duquel l’enfant et ses parents ont chacun la possibilité de s’exprimer après avoir consulté leur dossier. Les parents ont droit à l’assistance d’un avocat pour les aider à faire valoir leurs arguments. C’est dans ce cadre que le caractère absolument nécessaire du placement doit être débattu, à la lumière de tous les éléments de contexte et d’analyse dont le juge peut disposer. Lorsque les parents ou les enfants ne sont pas en accord avec la décision rendue, ils ont, en outre, la possibilité de faire appel de cette décision dans un délai de 15 jours suivant sa notification. Lorsqu’ils estiment que le placement aurait des conséquences graves pour leur enfant, les parents peuvent, en outre, saisir en référé le premier président de la cour d’appel aux fins de voir suspendre l’exécution provisoire qui assortit habituellement les décisions d’assistance éducative. La mesure de placement ordonnée, qui peut durer jusqu’à deux ans en application de l’article 375-1 du code civil, peut-être, à tout moment, modifiée ou rapportée par le juge des enfants soit d’office, soit à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public, conformément à l’article 375-6 du code civil. Ainsi, si les parents constatent que la mesure de placement ne se déroule pas de manière satisfaisante, ils peuvent en alerter à tout moment en cours de mesure le juge des enfants qui organisera alors une audience pour réexaminer la situation. Par ailleurs, afin d’améliorer les informations dont disposent les juges des enfants pour chacun des enfants dont ils sont saisis, le budget prévu pour le financement des mesures judiciaires d’investigation éducative a été augmenté de 4,2 M€ en 2019 et 4,7 M€ en 2020, permettant la création de nouveaux services d’investigation éducative et le renforcement de services existants. Ces mesures visent notamment à permettre un meilleur suivi des mineurs et de leurs familles, contribuant ainsi à limiter les mesures de placement. Par ailleurs, l’État s’est engagé dans une démarche partenariale renforcée avec les départements en mettant en place un processus de contractualisation initié avec 30 départements dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022 pour amplifier le déploiement des actions de prévention dans le domaine de la protection de l’enfance. Cette démarche sera étendue à l’ensemble des départements en 2022. – la refonte de la gouvernance de la protection de l’enfance : S’agissant du pilotage national de la protection de l’enfance, celui-ci est intrinsèquement complexe, la politique publique de protection de l’enfance faisant l’objet d’une compétence partagée entre l’État et les départements, impliquant l’intervention de nombreux acteurs. La création d’un secrétaire d’État à la protection de l’enfance et des familles montre l’importance de ce sujet pour le Gouvernement. La stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022 a mis en exergue le besoin, exprimé depuis longtemps, de réformer la gouvernance en la matière dans le respect de la décentralisation pour assurer une cohérence plus forte et gagner en lisibilité des instances et des actions. Ce besoin a été corroboré par le référé relatif à la gouvernance de la protection de l’enfance publié par la Cour des comptes en avril 2020, dans lequel est proposée une nouvelle gouvernance au niveau national et déconcentré, et par le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) relatif à la création d’un organisme national dans le champ de la protection de l’enfance publié en juin 2020. Par la suite, une mission de préfiguration du nouvel organisme de gouvernance de la protection de l’enfance a été confiée par le Gouvernement à l’IGAS. Le ministère de la justice, notamment son Inspection générale et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, est étroitement associé à ces travaux, en tant qu’acteur majeur de cette politique publique fortement judiciarisée – 80 % des mesures de protection mises en œuvre par les conseils départementaux étant ordonnées par un juge des enfants. Le Gouvernement est donc pleinement engagé dans une réforme de la gouvernance nationale de la protection de l’enfance qu’il entend rendre opérationnelle au 1er janvier 2022.


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