La Cour supérieure du Québec a rendu aujourd’hui une décision en matière d’aliénation parentale qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs : tout en reconnaissant l’attitude aliénante d’une mère envers sa fille, il a été jugé préférable de maintenir leur relation malsaine afin de préserver « la sécurité émotive de l’enfant » (§ 98)…
En l’espèce, une femme et un homme avaient entretenu une relation parsemée de ruptures et de reprises de 2003 à 2015. Leur vie commune s’était quelque peu stabilisée à compter de la naissance d’une petite fille en 2009 (§§ 4-5). Il est à noter que « l’enfant est atteinte de surdité bilatérale partielle importante et nécessite, depuis presque toujours, différents suivis en lien avec cette condition médicale » (§ 6). Les parents avaient fini par se séparer en juillet 2015 (§ 7), en convenant que la résidence de leur fille serait fixée chez sa mère. Le père avait accepté de se contenter d’un droit d’accès (dénomination québécoise du droit de visite et d’hébergement français) « une fin de semaine sur deux, et trois soirées sur deux semaines, de même que deux périodes de quelques jours durant les vacances estivales » (§ 11).
La mère avait initié une procédure en juillet 2017 pour demander que les contacts du père avec sa fille fussent établis d’entente entre les parties et suivant le désir de l’enfant – laquelle n’avait alors que sept ans – au motif qu’icelle refusait de voir son père (§§ 13-14). La fillette n’ayant plus eu de contact avec son père depuis le mois de juin, les parents étaient quand même parvenus à s’entendre en août sur la nomination d’un psychologue, le docteur Richard Comtois, pour procéder à une expertise psychologique visant à évaluer la situation existante et les capacités des parents, ainsi qu’à déterminer les meilleures modalités de garde pour l’enfant (§ 15). Alléguant notamment que sa fille vivait un conflit de loyauté et que la mère ne lui donnait pas d’informations sur l’enfant, le père avait également initié une procédure en octobre 2017 pour demander la garde partagée (dénomination québécoise de la résidence par alternance française) de l’enfant (§ 16).
Le docteur Richard Comtois rendit son rapport d’expertise en février 2018. Le jugement d’aujourd’hui cite de larges extraits de sa conclusion (§ 17), qui aura été déterminante dans l’affaire. Le psychologue affirme avoir décelé une « situation clinique hautement préoccupante » d’aliénation parentale et n’avoir identifié « rien de particulièrement toxique chez le père qui viendrait cautionner [cet] état de fait ». Il considère cependant prématuré d’opter pour une garde partagée, eu égard à l’état potentiellement réversible de la situation ainsi qu’aux besoins affectifs et moraux de l’enfant.
S’appuyant sur le rapport d’expertise, le père avait amendé en octobre 2019 sa requête pour demander la garde exclusive (dénomination québécoise de la résidence principale française) de sa fille ainsi que des droits d’accès médiatisés pour la mère (§ 19) – durant l’audience finale du 8 décembre dernier, il avait même demandé la déchéance partielle de l’autorité parentale de la mère (§ 20). Dans l’intervalle, une décision provisoire rendue en février 2020 avait ordonné aux parents d’entreprendre un processus de coaching parental (§ 38).
Dans la décision rendue aujourd’hui, la Cour supérieure du Québec a donc tranché sur la demande de garde exclusive de la fillette et de déchéance partielle de l’autorité parentale de la mère au regard de l’aliénation parentale subie par l’enfant. Il est intéressant de relever que les juridictions québécoises, contrairement aux françaises et en dépit d’un féminisme d’État pourtant virulent, ont parfaitement intégré la notion d’aliénation parentale et disposent de l’arsenal documentaire adéquat. C’est ainsi que la décision cite largement, outre une jurisprudence bien établie, les travaux de l’universitaire Francine Cyr pour rappeler ce qu’est la notion d’aliénation parentale (§§ 64-66), avant de conclure sur ce point :
« [67] De l’avis du Tribunal, la preuve démontre qu’il existe une situation d’aliénation parentale dans le dossier. L’expert Comtois le suggère clairement et le Tribunal a lui-même pu constater, lors de ses courtes rencontres avec l’enfant, que celle-ci démontrait la plupart des huit critères permettant de reconnaître une situation d’aliénation parentale de l’enfant :
« 1. une campagne de dénigrement de l’enfant à l’égard du parent rejeté ;
« 2. l’enfant parlant du rejet du parent en utilisant des raisons qui ne tiennent pas la route ;
« 3. un manque d’ambivalence chez l’enfant ;
« 4. un manque de culpabilité chez l’enfant qui se croit justifié de dénigrer son parent ;
« 5. l’animosité de l’enfant s’étend à l’entourage du parent aliéné ;
« 6. l’enfant se présente comme l’allié du parent aliénant ;
« 7. l’emprunt par l’enfant de propos tenus par le parent aliénant ;
« 8. l’enfant se présente comme penseur indépendant à l’abri de toute influence. »
Ayant dressé ce constat, le juge a soigneusement analysé l’ensemble du dossier pour prendre une décision dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Il a été admis que les deux parents avaient « des capacités parentales satisfaisantes » (§ 80), mais leur fille a « des besoins affectifs importants » (§ 81) et particuliers, notamment en raison de sa surdité bilatérale partielle, qui l’ont amenée à développer une « relation fusionnelle-symbiotique » (§ 126) avec sa mère.
L’expression des désirs de la fillette doit par ailleurs être prise en considération : « elle ne veut tout simplement pas voir son père qu’elle considère méchant » (§ 100). Ce critère doit cependant être nuancé au regard de l’aliénation parentale qui influence le jugement de l’enfant (§§ 102-103).
Priorisant le rétablissement progressif de la relation entre la fillette et son père, la Cour supérieure du Québec a donc décidé de maintenir « l’octroi de la garde de l’enfant […] auprès de la mère » (§ 121), ordonnant également l’application et le respect des modalités d’accès du père convenues à la séparation des parties (§§ 122-123). Le jugement rappelle aussi aux parents que « l’autorité parentale demeure partagée en tout temps » (§ 128) et leur ordonne de ne pas se dénigrer devant leur enfant (§ 131).
- Références
- Cour supérieure du Québec
Décision 2021 QCCS 223 du 11 janvier 2021
Décision archivée au format PDF (620 Ko, 22 p.).
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