Petite chronique de jurisprudence : adoption, procréation médicalement assistée et paternité

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 14 octobre 2020, la Cour de cassation a rendu deux arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs, nonobstant leur caractère quelque peu atypique.

Contestation de paternité et procréation médicalement assistée

En l’espèce, une femme de quarante-huit ans et un homme de soixante-quatre ans, tous deux de nationalité française, s’étaient mariés en septembre 2012. Ils s’étaient peu après rendus en Espagne pour avoir recours à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur.

Le couple divorça par consentement mutuel en juin 2013, mais une petite fille naquit en novembre, reconnue par l’ex-mari. Icelui assigna la mère en contestation de paternité en janvier 2015. Un jugement de juillet 2016 ordonna avant dire droit une expertise biologique, qui conclut évidemment à l’absence de paternité biologique de l’ex-mari.

Estimant que « l’intérêt supérieur de l’enfant [était] d’avoir accès à ses origines et de pouvoir en conséquence bénéficier d’une filiation conforme à la vérité biologique », la cour d’appel d’Aix-en-Provence annula donc la reconnaissance de paternité en décembre 2018.

L’administrateur ad hoc – chargé de représenter l’enfant – et la mère formèrent alors chacun un pourvoi en cassation, soutenant notamment que la loi française n’était pas applicable au litige, que l’expertise biologique n’était pas recevable et que l’annulation de la reconnaissance de paternité portait une atteinte disproportionnée à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Joints en raison de leur connexité, les deux pourvois ont été rejetés aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, qui a d’abord examiné l’applicabilité de la loi française au litige :

« 6. L’article 311-20 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi nº 2019-222 du 23 mars 2019, dispose :
“Les époux ou les concubins qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur, doivent préalablement donner, dans des conditions garantissant le secret, leur consentement au juge ou au notaire, qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation.
“Le consentement donné à une procréation médicalement assistée interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d’effet.
“Le consentement est privé d’effet en cas de décès, de dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou de cessation de la communauté de vie, survenant avant la réalisation de la procréation médicalement assistée. Il est également privé d’effet lorsque l’homme ou la femme le révoque, par écrit et avant la réalisation de la procréation médicalement assistée, auprès du médecin chargé de mettre en œuvre cette assistance.
“Celui qui, après avoir consenti à l’assistance médicale à la procréation, ne reconnaît pas l’enfant qui en est issu engage sa responsabilité envers la mère et envers l’enfant.
“En outre, sa paternité est judiciairement déclarée. L’action obéit aux dispositions des articles 328 et 331.”

« 7. Ce texte régit les conditions de recevabilité d’une action en contestation de reconnaissance de paternité intervenant après recours à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur à l’étranger, lorsque cette action est soumise à la loi française, par application de l’article 311-17 du code civil, à raison de la nationalité française de son auteur et de l’enfant.

« 8. Il en résulte que cette action est recevable lorsqu’il est établi que le consentement, donné par l’auteur de la reconnaissance, à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, est privé d’effet par suite du dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps des époux intervenant avant la réalisation de la procréation médicalement assistée.

« 9. La cour d’appel, qui a fait application de ces dispositions, a relevé que l’enfant était issue d’un transfert d’embryon réalisé le 12 mai 2013, alors que les époux avaient présenté, le 3 mai, une requête conjointe en divorce ayant abouti le 11 juin 2013 à un jugement de divorce. Elle en a exactement déduit que le consentement de [l’ex-mari], donné le 1er novembre 2012, était privé d’effet en raison de la requête en divorce introduite avant la réalisation du transfert d’embryon. »

Sur la recevabilité de l’expertise biologique :

« 12. Selon l’article 310-3, alinéa 2, du code civil, si une action relative à la filiation est engagée, la filiation se prouve et se conteste par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l’action.

« 13. Selon l’article 332, alinéa 2, du code civil, la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père.

« 14. Il en résulte que, sous réserve de la recevabilité de l’action, l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder.

« 15. La cour d’appel ayant constaté que l’expertise avait établi que [l’ex-mari] n’était pas le père biologique de l’enfant, elle en a exactement déduit que l’acte de reconnaissance de paternité du 12 novembre 2013 devait être annulé. »

Sur l’atteinte disproportionnée à l’intérêt supérieur de l’enfant :

« 18. Aux termes de l’article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

« 19. Aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

« 20. Si l’action en contestation de paternité et la décision d’annulation d’une reconnaissance de paternité en résultant constituent des ingérences dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, elles sont prévues par la loi, à l’article 332, alinéa 2, du code civil précité, et poursuivent un but légitime en ce qu’elles tendent à permettre l’accès de l’enfant à la réalité de ses origines.

« 21. Après avoir constaté qu’elle était née d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur réalisée sans le consentement de [l’ex-mari], celui-ci étant privé d’effet, la cour d’appel a relevé que l’intérêt supérieur de l’enfant […] résidait dans l’accès à ses origines personnelles et que la destruction du lien de filiation avec [l’ex-mari] n’excluait pas pour l’avenir et de façon définitive l’établissement d’un nouveau lien de filiation.

« 22. Ayant ainsi statué en considération de l’intérêt de l’enfant, apprécié in concreto, elle a pu en déduire, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, que l’annulation de la reconnaissance de paternité ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, justifiant légalement sa décision au regard des exigences conventionnelles susvisées. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 14 octobre 2020
Nº de pourvoi : 19-12373 et 19-18791

Établissement de la filiation d’un enfant adopté et respect de la vie privée

En l’espèce, une jeune fille au pair anglaise avait été engagée en 1954 par un couple marié vivant en France afin de s’occuper de leur jeune fils. Suite à une relation adultère avec le mari, la jeune fille au pair s’était retrouvée enceinte et avait donné naissance à une petite fille en avril 1955 au Royaume-Uni. Déclaré par la mère, le père n’avait pas reconnu l’enfant mais avait été condamné en novembre 1959 par la cour d’appel de Versailles à payer à la mère de l’enfant la somme mensuelle de 50 000 anciens francs à titre de subsides, qu’il avait cessé de payer après quelques années. La mère étant décédée en 1963, les services sociaux anglais s’étaient rendus en France pour prendre contact avec le père mais n’y étaient pas parvenus. L’enfant fut finalement adoptée au Royaume-Uni en août 1966, à l’âge de huit ans, par un cousin de sa mère et son épouse.

Devenue adulte, elle assigna en juillet 2010 son père biologique en recherche de paternité, d’abord pour obtenir la reconnaissance juridique légitime de sa filiation, puis – le père biologique étant décédé en septembre 2011 – réclamer un tiers de la succession…

L’action fut déclarée irrecevable par le tribunal de grande instance de Versailles en octobre 2010, puis par la cour d’appel de Versailles en mars 2014, mais ce dernier arrêt fut cassé en octobre 2015 au motif que les juges du fond n’avaient pas établi si les règles de droit anglais applicables permettaient ou non la recherche des parents biologiques malgré une filiation préexistante et avaient relevé d’office que l’établissement d’une filiation contredisant une filiation légalement établie était contraire à l’ordre public français (arrêt du 7 octobre 2015, pourvoi nº 14-20144).

Statuant comme juridiction de renvoi, la cour d’appel de Paris considéra en novembre 2017 que la loi anglaise n’était pas contraire à l’ordre public français et qu’elle faisait « obstacle à la reconnaissance d’un lien de filiation qui viendrait contredire celui créé par l’adoption ». Elle déclara néanmoins recevable l’action en recherche de paternité en vertu du droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme) et ordonna une expertise biologique, avant d’admettre en mars 2019 la filiation entre la requérante et son père biologique.

Le fils légitime du père biologique forma alors un pourvoi en cassation, soutenant notamment qu’une personne ne peut se voir reconnaître deux filiations paternelles, l’une adoptive et l’autre biologique.

Le pourvoi a été accepté aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, qui a cassé les deux arrêts au visa de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

« 4. Aux termes de ce texte, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

« 5. Pour déclarer l’action de [la demanderesse] recevable, après avoir énoncé à bon droit que la loi anglaise compétente faisait obstacle à la reconnaissance d’un lien de filiation qui viendrait contredire celui créé par l’adoption, laquelle produisait les effets de l’adoption plénière du droit français, en application de l’article 370-5 du code civil, l’arrêt retient que le droit au respect de la vie privée et familiale impose d’établir un juste équilibre dans la pondération des intérêts concurrents, à savoir, d’un côté, le droit de [la demanderesse] de connaître son ascendance et de voir établir légalement celle-ci, de l’autre, le refus [de son père biologique] lorsqu’il était vivant, puis de son héritier […], qui se sont opposés systématiquement aux demandes de [la demanderesse] et, enfin, l’intérêt général lié à la sécurité juridique. Il relève, d’abord, que l’intérêt [du] seul héritier […] qui avait connaissance de l’existence et du souhait de [la demanderesse] de renouer avec sa famille d’origine, au moins depuis 2008, puis de voir reconnaître son lien de parenté, est de moindre importance que l’intérêt de [la demanderesse]. Il énonce, ensuite, que, si le droit anglais empêche l’établissement d’une autre filiation en présence d’une adoption, il n’interdit pas pour autant la remise en cause de cette adoption dans certaines circonstances. Il ajoute, enfin, que l’adoption de [la demanderesse] a été obtenue dans des conditions particulières, alors que les assistants sociaux avaient adressé plusieurs lettres restées sans réponse à [son père biologique], qu’ils s’étaient rendus en France afin de le rencontrer, sans parvenir à entrer en contact avec lui, que seule l’épouse de celui-ci avait contacté téléphoniquement les enquêteurs sociaux, en indiquant qu’elle désapprouvait cette adoption, sans donner de motifs, que le désintérêt [de son père biologique] à l’égard de [la demanderesse] avait été constant jusqu’à ce qu’elle reprenne contact avec lui en 2008 et, encore, que, bien que condamné à payer des subsides par un arrêt de la cour d’appel de Versailles, en 1959, il avait cessé ses paiements quelques années après, ce qui avait contraint les époux […] à demander l’adoption de la mineure afin d’obtenir des prestations familiales pour l’élever.

« 6. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses énonciations, d’une part, que [la demanderesse], qui connaissait ses origines personnelles, n’était pas privée d’un élément essentiel de son identité, d’autre part, que [son père biologique], puis son héritier […], n’avaient jamais souhaité établir de lien, de fait ou de droit, avec elle, de sorte qu’au regard des intérêts de [l’héritier], de ceux de la famille adoptive et de l’intérêt général attaché à la sécurité juridique et à la stabilité des liens de filiation adoptifs, l’atteinte au droit au respect de la vie privée de [la demanderesse] que constituait l’irrecevabilité de l’action en recherche de paternité ne revêtait pas un caractère disproportionné, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

La Cour de cassation avait déjà écarté l’établissement d’une filiation biologique dans plusieurs affaires où les requérants invoquaient le droit au respect de la vie privée et familiale – voir par exemple : arrêt du 6 juillet 2016, pourvoi nº 15-19853 (prescription quinquennale de l’action en contestation de paternité), arrêt du 5 octobre 2016, pourvoi nº 15-25507 (stabilité du lien de filiation), arrêt du 9 novembre 2016, pourvoi nº 15-25068 (prescription décennale de l’action en recherche de paternité).

Rappelons par ailleurs que le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales comprend notamment « le droit de connaître son ascendance » (voir par exemple : arrêt Jäggi v. Suisse du 13 juillet 2006, requête nº 58757/00, § 25 ; arrêt Pascaud v. France du 16 juin 2011, requête nº 19535/08, § 48 ; arrêt Canonne v. France du 2 juin 2015, requête nº 22037/13, § 28) ainsi que le droit à « la détermination juridique de [la] filiation » (arrêt Mennesson v. France du 26 juin 2014, requête nº 65192/11, § 46). La Cour européenne des droits de l’homme rappelle régulièrement que « les personnes essayant d’établir leur ascendance ont un intérêt vital, protégé par la Convention, à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle » (arrêt Jäggi v. Suisse du 13 juillet 2006, requête nº 58757/00, § 38, et arrêt Pascaud v. France du 16 juin 2011, requête nº 19535/08, § 62 ; voir aussi l’arrêt Godelli v. Italie du 25 septembre 2012, requête nº 33783/09, §§ 46 et 54). Elle attache également une importance particulière à la dimension biologique de la filiation et rappelle aussi régulièrement que l’impossibilité de faire prévaloir la réalité biologique sur une présomption légale de paternité porte atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale (voir par exemple : arrêt Pascaud v. France du 16 juin 2011, requête nº 19535/08 ; arrêt Ostace v. Roumanie du 25 février 2014, requête nº 12547/06 ; arrêt Mennesson v. France du 26 juin 2014, requête nº 65192/11 ; arrêt Mandet v. France du 14 janvier 2016, requête nº 30955/12 ; arrêt Çapin v. Turquie du 15 octobre 2019, requête nº 44690/09). Ce droit au respect de la vie privée et familiale n’est cependant pas absolu car il peut entrer en conflit avec d’autres intérêts, auquel cas il est nécessaire de mettre en balance les intérêts en présence : celui de l’enfant, celui de la famille légale (notamment adoptive), celui de la mère ou du père biologique, ou celui de la société (voir par exemple : arrêt Odièvre v. France du 13 février 2003, requête nº 42326/98 ; arrêt Jäggi v. Suisse du 13 juillet 2006, requête nº 58757/00).

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 14 octobre 2020
Nº de pourvoi : 19-15783

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