La Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles a rendu aujourd’hui une décision intéressante quant à l’application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Nonobstant certaines particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche et le caractère très technique du sujet, elle pourrait aussi intéresser certains de nos lecteurs puisque les principes en cause ont une valeur pratiquement universelle.
En l’espèce, une Britannique naturalisée australienne et un Français s’étaient rencontrés en Australie en 2015, s’y étaient mariés deux ans plus tard, et y avaient eu une fille l’année suivante (§ 10). La famille avait déménagé en décembre 2019 en France, dans la région d’origine du père, où icelui avait trouvé un emploi avec une période d’essai de six mois. La mère avait quant à elle fait suspendre son contrat de travail en Australie jusqu’en janvier 2021 (§ 12).
La famille s’était rendue au Royaume-Uni pour passer la fête de Noël 2019 avec la famille de la mère. Le père était revenu seul en France au bout d’une semaine, en raison de ses engagements professionnels. La mère avait ensuite informé le père, au tout début de cette année, qu’elle estimait que leur relation était terminée et qu’elle n’avait pas l’intention de retourner en France avec leur fille (§ 13).
Le père avait alors formé une requête sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants afin que sa fille fût renvoyée en France.
Décision de première instance (§§ 16-25)
L’affaire fut soumise en avril dernier à la juge Frances Judd, siégeant à la High Court of Justice (Family Division).
Le père soutenait notamment que sa fille résidait habituellement en France, où la famille avait déplacé tous ses biens – chien compris – après avoir quitté son domicile en Australie, et que l’enfant y était inscrit en crèche (§ 14).
La mère faisait notamment valoir de son côté que l’enfant résidait toujours habituellement en Australie, que l’installation de la famille en France n’était que temporaire, que l’enfant n’y avait pas encore commencé la crèche et qu’elle-même avait toujours son emploi en Australie (§ 15).
La juge Frances Judd rejeta la requête du père dans une décision ex tempore où elle estimait notamment que l’enfant ne résidait pas habituellement en France car elle n’y avait pas atteint un degré d’intégration suffisant dans la vie familiale et sociale (§ 24).
Appel
Le père interjeta bien sûr appel de la décision, et ses avocats soulevèrent les moyens suivants :
- Ayant déterminé que l’enfant résidait toujours habituellement en Australie, la juge Frances Judd a eu tort de conclure qu’il n’y avait pas eu un non-retour illicite dans le champ d’application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (§ 26), puisque ladite Convention est engagée dès lors que l’enfant réside habituellement à la date du déplacement ou du non-retour illicite dans un État partie à la Convention (§ 27). Les avocats de la mère ont d’ailleurs admis que la Convention s’applique même si l’enfant réside habituellement à la date pertinente dans un État contractant autre que l’État dans lequel son retour est demandé (§ 40).
- En vertu de la même Convention, le tribunal avait de toute façon le pouvoir d’ordonner le retour d’un enfant dans un État autre que celui de sa résidence habituelle à la date du déplacement ou du non-retour illicite (§ 28). En effet :
- la Convention a été délibérément conçue de manière à laisser une telle option ouverte aux tribunaux (§ 29) ;
- les termes du préambule de la Convention stipulant qu’elle est établie « en vue de garantir le retour immédiat de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle » ne doivent pas être revêtus d’une importance excessive (§ 30) ;
- afin que ses objectifs soient respectés, la Convention doit être interprétée largement afin d’assurer une protection maximale aux enfants qui ont été enlevés et d’empêcher l’apparition d’une lacune contraire à l’intérêt des enfants enlevés ou retenus (§ 31) ;
- l’article 12 de la Convention doit être interprété comme enjoignant non seulement le retour d’un enfant dans l’État de sa résidence habituelle mais aussi son renvoi dans l’État d’où il a été éloigné et/ou son retour chez son principal responsable dans un autre État (§ 32).
- La juge Frances Judd a eu tort de considérer que l’enfant avait toujours sa résidence habituelle en Australie alors qu’elle résidait dorénavant en France de façon manifeste (§§ 34-36). Elle s’est trop concentrée sur la question de savoir si la vie de l’enfant en France reproduisait celle qu’elle avait eu auparavant en Australie et avait accordé un poids excessif aux doutes et aux sentiments de la mère à l’égard du déménagement (§§ 37-39).
De leur côté, les avocats de la mère firent notamment valoir que :
- La Convention ne permet pas le renvoi d’un enfant dans un État autre que celui de sa résidence habituelle, parce que le mot « retour » ne peut signifier un déplacement vers un troisième État (§ 41). Un tribunal aurait tout au plus le pouvoir d’ordonner le retour de l’enfant chez son principal responsable dans un État tiers (§ 42).
- Le préambule de la Convention est plus important que l’Explanatory Report on the 1980 HCCH Child Abduction Convention d’Elisa Pérez-Vera, sur lequel s’appuient les avocats du père et qui a été rédigé il y a quarante ans. Les avocats de la mère renvoient notamment sur ce point la Cour d’appel à la jurisprudence australienne In the Marriage Of: Stephanie Selina Hanbury-Brown (Appellant/Wife) and Robert Hanbury-Brown (Respondent/Husband) and Director General of Community Services (Central Authority) [1996] FamCA 23 et aux observations de la juge Brenda Hale dans la décision J (A Child) (Rev 2) [2015] UKSC 70 où elle a averti que « it would be unfortunate if words in the Explanatory Report were treated as if they were words in the Convention itself [1] » (§ 43).
- La possibilité pour un tribunal d’ordonner le retour dans un État tiers doit être examinée dans le cadre juridique plus large de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants et du Règlement (CE) nº 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit « règlement Bruxelles II bis ». En vertu de ces textes, les seuls tribunaux compétents au fond sont ceux de l’État où un enfant a sa résidence habituelle ; on ne peut donc envoyer un enfant dans un État dont les juridictions n’aurait pas compétence pour prendre des décisions au fond (§ 45).
- La décision de la juge Frances Judd sur la résidence habituelle de l’enfant relève du pouvoir souverain d’appréciation et la Cour d’appel n’a aucun motif pour l’infirmer (§ 48). Au demeurant, la question n’était pas de savoir si l’enfant avait toujours des liens avec l’Australie, mais si ses racines là-bas avaient été arrachées (§ 51).
En raison de l’importance des questions soulevées, l’International Centre for Family Law, Policy and Practice avait demandé à intervenir devant la Cour d’appel. L’organisation a fait valoir que l’article 12 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants doit être interprété comme autorisant une décision de retour vers un État tiers (§ 52). Cette approche est conforme à l’interprétation téléologique de la Convention puisqu’elle protège les enfants contre les effets préjudiciables d’un enlèvement international (§ 53) :
« This approach would ensure that the remedy of summary return would be available to a greater number of children. It would also promote the operation of the 1980 Convention as a deterrent to parental abduction. »
Détermination de la Cour d’appel
Après avoir exposé en détail les dispositions légales pertinentes (§§ 56-99), le juge Andrew Moylan s’est ainsi déterminé :
- La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants s’applique chaque fois que l’enfant a sa résidence habituelle dans un État contractant, autre que l’État requis, à la date du déplacement ou du non-retour illicite allégué (§ 101).
- La Convention s’applique donc dans cette affaire, même si la décision de première instance a conclu que l’enfant résidait habituellement en Australie et non en France (§ 102).
- La Convention permet d’ordonner le retour d’un enfant dans un État tiers (§ 104) :
- la Convention doit être interprétée de façon téléologique – comme l’avait dit la juge Elizabeth Butler-Sloss dans la décision Re F. (A Minor) (Abduction: Custody Rights Abroad) [1995] Fam 224, « it is the duty of the court to construe the convention in a purposive way and to make the convention work » (§ 105) ;
- les objectifs de l’article 12 de la Convention sont de protéger les enfants contre les effets néfastes d’un enlèvement, y remédier rapidement et décourager les enlèvements (§ 106) ;
- le préambule de la Convention énonce son objectif général quant à l’intérêt des enfants mais ne vise pas à définir la portée des décisions spécifiques qui peuvent être rendues en vertu de ses dispositions (§ 107) ;
- l’Explanatory Report on the 1980 HCCH Child Abduction Convention dit clairement que ce point a été expressément examiné au moment de la rédaction de la Convention et que n’a pas été acceptée « a proposal to the effect that the return of the child should always be to the State of its habitual residence » (§ 108) ;
- c’est d’ailleurs aussi la position du juge Anthony Hughes dans la décision C (Children), Re (Rev 1) [2018] UKSC 8, où il fait référence à l’Explanatory Report on the 1980 HCCH Child Abduction Convention et à la décision O v O [2013] EWHC 2970 (Fam) (§ 109) ;
- limiter la portée de l’article 12 de la Convention au seul retour dans l’État de résidence habituelle à la date pertinente ne favoriserait pas les objectifs de ladite Convention (§ 110).
« 117 Clearly, any such power must be used with consideration care so that it does not procure an effective relocation without any concomitant welfare enquiry. It is to be used only when it is, in effect, procuring the children’s return. The most obvious example when it might be used is when the child is being returned to his or her primary carer. Another example might be when, as in this case on the judge’s determination of habitual residence, the family has moved to a new state but has not yet become habitually resident there. »
Au demeurant, la question d’une ordonnance de retour dans un État autre que celui de la résidence habituelle ne se pose pas dans la présente affaire puisque le juge Andrew Moylan a conclu que l’enfant résidait en fait habituellement en France, et non en Australie, au moment de la rétention perpétrée par la mère en janvier dernier (§§ 121-130).
Le recours du père est donc accepté [2] et l’affaire renvoyée à une audience ultérieure (§ 131). Nous ne manquerons pas d’informer nos lecteurs de la suite donnée si elle parvient à notre connaissance.
Notes
- Cette citation est attribuée de façon erronée dans le jugement à J (A Child) (1996 Hague Convention) (Morocco) [2015] EWCA Civ 329.
- La législation du Royaume-Uni prévoit une autorisation préalable pour pouvoir faire appel d’une décision judiciaire (cf. section VIII des Civil Procedure Rules 1998 et sections 54 à 58 de l’Access to Justice Act 1999).
- Références
- England and Wales Court of Appeal (Civil Division)
Date : 10 septembre 2020
Décision : B (A Child) (Abduction: Habitual Residence) [2020] EWCA Civ 1187
Décision archivée au format PDF (397 Ko, 21 p.).
Attention ! La jurisprudence et la loi évoluent en permanence. Assurez-vous auprès d’un professionnel du droit de l’actualité des informations données dans cet article, publié à fin d’information du public.