Recours d’un père pour récupérer ses droits

Courts and Tribunal Judiciary

Siégeant à la High Court of Justice (Family Division), la juge Frances Judd a autorisé aujourd’hui le recours d’un père contre une décision rendue en février dernier, qui limitait ses relations avec ses enfants à des rencontres médiatisées et restreignait l’exercice de son autorité parentale [1].

En l’espèce, un couple marié en 2010 avait eu deux enfants, nés en 2011 et 2013. La famille avait vécu en Extrême-Orient, puis aux États-Unis, où les parents s’étaient séparés en 2017. Dans le cours de la longue procédure judiciaire qui avait suivi la séparation, un rapport d’évaluation demandé par un tribunal américain à un psychologue avait recommandé la mise en œuvre d’une résidence par alternance des enfants chez leurs parents, ce que le tribunal avait ordonné (§ 2). La mère ayant ensuite demandé à pouvoir déménager au Royaume-Uni, le tribunal avait rendu un nouveau jugement en mai 2018, autorisant le déménagement dans des conditions précises – les enfants devaient notamment passer la majeure partie des périodes de vacances scolaires avec leur père – et rejetant les allégations mutuelles de violence conjugale (§ 3). Le père ayant manifesté le mois suivant son intention de s’installer lui aussi au Royaume-Uni, le tribunal dut revenir sur sa décision précédente et accorda au père un droit de visite et d’hébergement élargi (un weekend sur deux, ainsi que du mercredi au vendredi dans l’intervalle), tandis que la mère devait constituer une caution de 50 000 dollars à remettre au père en cas de non-respect de la décision ; les deux parents furent également enjoints de suivre un cours de coparentalité avant leur départ des États-Unis (§ 4).

La mère et les enfants, puis le père, vinrent vivre en Angleterre en juillet 2018. Les enfants y commencèrent leur scolarité en septembre. Ayant cependant conservé sa compétence, le tribunal américain rendit un nouveau jugement en décembre sur les modalités de prise en charge des enfants, la contribution à leur entretien et leur éducation, ainsi que la possibilité de faire suivre une thérapie aux enfants. La compétence du tribunal américain fut formellement abandonnée dans une dernière ordonnance rendue en février 2019 (§ 5).

Un des enfants dut être opéré au début de l’année 2019, et un incident se produisit lors du premier rendez-vous à l’hôpital : la mère allégua que le père avait eu un comportement violent, lui claquant une porte à la figure alors qu’il portait dans ses bras le plus jeune des enfants. La mère saisit alors les juridictions anglaises en mars 2019 afin qu’elles enquêtent sur ces faits et statuent sur de nouvelles modalités de prise en charge des enfants (§§ 6-7).

La mère retira sa demande d’enquête lors d’une première audience, où elle déclara que les enfants devaient continuer à voir leur père, reconnaissant même qu’ils étaient heureux de partir en vacances avec lui. Un différend apparut cependant à ce sujet, le père tenant pour le maintien des dispositions prises aux États-Unis lui accordant la majeure partie des périodes de vacances scolaires, la mère voulant que ce temps soit réduit (§§ 8-9).

Un agent du Children and Family Court Advisory and Support Service rédigea un premier rapport en septembre 2019, après s’être entretenu séparément avec les deux enfants et leurs parents – mais sans avoir vu les enfants avec l’un ou l’autre de leurs parents. L’aîné avait notamment déclaré qu’il était heureux d’aller chez son père et qu’il voulait le voir davantage. Son jeune frère avait déclaré que son père cuisinait bien mais qu’il criait sur ses enfants, notamment quand ils se chamaillaient. Il avait également dit qu’il se sentait mal quand son père parlait mal de sa mère et qu’il se sentait davantage en sécurité chez sa mère. Il est à noter que les deux enfants avaient signalé l’année précédente à un médecin que leur père était méchant et qu’il leur criait dessus, mais que seul le plus jeune a maintenu ces propos (§§ 10-11).

Ayant trouvé que les déclarations de la mère étaient plausibles et que sa description du père était conforme à ce qu’il avait pu lui-même constater, l’agent du Children and Family Court Advisory and Support Service recommanda une expertise psychiatrique, des rencontres médiatisées entre les enfants et leur père ainsi qu’un suivi médical d’icelui (§ 12). L’expertise psychiatrique conduite par la suite n’ayant décelé ni maladie mentale ni trouble de la personnalité chez le père, l’agent du Children and Family Court Advisory and Support Service rédigea un addendum à son rapport avec cette recommandation (§ 14) :

« I acknowledge that domestic abuse allegations are disputed, but in the event that clarity is provided either by admissions being made or via fact finding hearing, risks to [the children] would be reduced by their father’s attendance on a Domestic Abuse Perpetrator’s programme. »

Lors des trois jours d’audience finale en janvier dernier, la mère demanda que fussent adoptées les recommandations de l’agent du Children and Family Court Advisory and Support Service : rencontres médiatisées entre les enfants et leur père ainsi qu’une restriction de l’exercice de l’autorité parentale d’icelui (§ 15). De son côté, le père se disputa avec son avocat après le premier jour d’audience et comparut seul les deux suivants (§ 17). Acceptant les allégations de violence portées contre le père, le jugement rendu le 18 février dernier suivit les recommandations de l’agent du Children and Family Court Advisory and Support Service (§§ 18-19).

Le père interjeta évidemment appel de la décision, et la juge Frances Judd a donc autorisé aujourd’hui le recours, aux motifs suivants :

  1. Outre que la position de la mère a changé d’une audience à l’autre, le père a été désavantagé par des recommandations de l’agent du Children and Family Court Advisory and Support Service basées sur des constatations informelles. Le jugement de première instance s’est également appuyé sur deux brèves lettres d’un médecin ayant vu les enfants, sans qu’icelui ait été appelé à témoigner et auquel aucune question n’avait donc pu être posée pour obtenir des éclaircissements souhaitables sur les propos tenus par les enfants (§§ 26-28).
  2. La conclusion selon laquelle les relations avec leur père causait un préjudice aux enfants dépendait essentiellement de l’appréciation du comportement du père. Or, l’agent du Children and Family Court Advisory and Support Service avait recommandé des rencontres médiatisées sans avoir eu l’occasion d’observer les enfants avec leur père. Une évaluation détaillée de la relation du père avec ses enfants figurait par ailleurs dans le rapport d’expertise psychologique réalisé au cours de la procédure américaine, qui avait débouché sur des décisions très favorables au père. Bien que l’actuelle procédure ne soit pas liée par icelles, la décision de mettre fin à tout contact direct entre les enfants et leur père demandait des arguments de grand poids, lesquels n’ont pas été donnés (§§ 29-30).
  3. Enfin, le juge de première instance n’a pas mis en balance le préjudice que pouvait causer aux enfants la perte immédiate de leurs relations habituelles avec leur père et le risque que pouvait éventuellement leur faire courir le comportement de leur père vis-à-vis de leur mère. Au lieu de supprimer complètement tout contact direct, un autre arrangement aurait pu être envisagé, au moins de façon provisoire (§ 31).

En raison de la difficulté du litige à trancher et de la nécessité de le réexaminer correctement, la juge Frances Judd a refusé de rétablir la précédente décision rendue aux États-Unis, comme l’avait demandé l’avocat du père, et l’affaire a été renvoyée à une nouvelle audience (§ 32).

Références
England and Wales High Court (Family Division)
Date : 7 septembre 2020
Décision : F v G [2020] EWHC 2396 (Fam)
Note
  1. La législation du Royaume-Uni prévoit une autorisation préalable pour pouvoir faire appel d’une décision judiciaire (cf. section VIII des Civil Procedure Rules 1998 et sections 54 à 58 de l’Access to Justice Act 1999).

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