Question sur les conséquences de l’ouverture à toutes les femmes de la procréation médicalement assistée

Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Assemblée nationale », nº 33 A.N. (Q), 18 août 2020

Boyer (Valérie), question écrite nº 21683 à la ministre des solidarités et de la santé sur les conséquences de l’ouverture à toutes les femmes de la procréation médicalement assistée [Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Assemblée nationale », nº 30 A.N. (Q), 23 juillet 2019, pp. 6836-6838].

Valérie Boyer (© D.R.)

Valérie Boyer (© D.R.)

Mme Valérie Boyer interroge Mme la ministre des solidarités et de la santé sur les conséquences de l’ouverture à toutes les femmes de la procréation médicalement assistée. Le principe de dignité occupe une place éminente parmi les valeurs protégées socialement et dans la hiérarchie des normes. Car si, comme le posait Emmanuel Kant, « ce qui a un prix peut être aussi bien remplacé par quelque chose d’autre à titre équivalent ; au contraire, ce qui est supérieur à tout prix, ce qui n’admet aucun équivalent, c’est ce qui a une dignité ». Il appartient au législateur de veiller à ce que ce principe soit strictement respecté, face aux évolutions sociétales et médicales, y compris lorsque la tentation d’y déroger est animée par des intentions louables. Tel est le cas lorsqu’est en cause la conception d’un enfant. Certains couples, qui ne peuvent en avoir par eux-mêmes, soit en raison de l’infertilité de la femme l’empêchant de porter l’enfant, soit parce qu’il s’agit de couples de personnes de même sexe, empruntent des chemins détournés pour y parvenir. Sans grande surprise, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu un avis favorable à l’accès de la PMA à toutes les femmes, comme il l’avait déjà fait en juillet [sic – lire juin] 2017. Pourtant, il n’y a pas de consensus sur la question de l’extension de la PMA. En effet, comme le rappelle le CCNE, « en particulier sur les conséquences pour l’enfant d’une institutionnalisation de l’absence de père, donc de l’absence de l’altérité “masculin-féminin” dans la diversité de sa construction psychique, mais aussi sur les risques possibles de marchandisation du corps humain accrus. En effet, cette demande d’ouverture doit être confrontée à la rareté actuelle des gamètes qui risque de provoquer un allongement des délais d’attente ou une rupture du principe de gratuité des dons. Cela pourrait ouvrir des perspectives de marchandisation des produits du corps humain et remettre en cause le système de santé français fondé sur des principes altruistes. Ces débats avaient d’ailleurs conduit et conduisent encore aujourd’hui une partie minoritaire des membres du CCNE à proposer, dans le cadre de l’avis 126 qu’en ce domaine le statu quo soit maintenu ». Les participants aux états généraux de la bioéthique se sont également déclarés très réservés sur l’extension de la PMA. Plus de 80 % des participants aux événements en région y étaient défavorables, et jusqu’à 89,7 % des contributions écrites sur le site internet. Cet avis ne saurait occulter les conséquences dangereuses d’un tel élargissement de la PMA qui consacre un véritable droit à l’enfant et laisse notamment le champ libre à une légalisation de la GPA dans un futur proche. Cette PMA élargie pose donc de nombreuses difficultés éthiques que l’on ne doit pas ignorer. Il faut le rappeler, la PMA est un ensemble de techniques médicales à disposition de tous les couples souffrant d’une pathologie de la stérilité ou ayant un risque de transmettre une maladie d’une particulière gravité. Il n’existe pas de discrimination en ce qui concerne la PMA : tous les couples ayant un problème médical constaté y ont accès. En l’occurrence, si des femmes, seules ou les couples de femmes, ne peuvent avoir un enfant, ce n’est pas en raison d’un problème médical. Le désir d’enfant serait un abus : il s’agirait d’un détournement de la médecine au profit de revendications sociétales. Son financement implique une incompatibilité majeure envers la sécurité sociale qui fonde son action sur le principe de solidarité, sur l’aide aux plus fragiles, ne permettant le remboursement d’actes médicaux seulement s’ils correspondent à un cas de maladie. Il est estimé, aujourd’hui, que le coût moyen d’une fécondation in vitro (FIV), s’élève en France à 4 100 euros qui comprennent les traitements, la ponction d’ovocytes, l’hospitalisation, et les actes eux-mêmes. C’est sur ces tarifs que la sécurité sociale remboursent [sic] aujourd’hui celles qui y ont droit. Mais il est important de préciser que ce montant ne tient compte, ni des arrêts de travail (trois jours minimum, cinq à sept le plus souvent), ni des frais annexes engagés au cours du processus par les établissements (l’accueil, l’organisation, le personnel). Selon les chiffres de l’assurance maladie, 288 millions d’euros auraient été dépensés de la sorte en 2014, année où 102 601 tentatives d’insémination artificielle, de FIV ou de transferts d’embryons congelés ont été décomptées. Deux ans plus tard, en 2016, le chiffre montait à 147 730. La PMA utilisée à d’autres fins que la médecine ouvrirait également la voie à un business très lucratif, comme par exemple avec les cliniques de procréation d’Espagne, de Belgique et d’ailleurs. La clinique IVI en Espagne fait par exemple des offres commerciales en matière d’aide à la procréation médicalement assistée. « Avec IVI Baby, vous aurez votre bébé à la maison dans un délai maximum de 24 mois », peut-on lire sur leur site internet, instaurant même un principe de « satisfait ou remboursé ». Est-ce cela que les Français veulent dans leur société ? De plus, en France, seuls quelques centaines d’hommes (255 en 2015) entreprennent chaque année une démarche de don de gamètes, en l’occurrence de sperme. Pourtant, malgré ce chiffre particulièrement faible, le CCNE rend un avis favorable à l’élargissement de la PMA à toutes les femmes et se prononce également en faveur d’une levée de l’anonymat des donneurs. Dans son application pratique, l’élargissement de la PMA laisse donc présager une possible pénurie des dons de sperme, avec la tentation d’une rémunération des donneurs rompant ainsi avec la principe de non-marchandisation du corps humain. Selon l’Agence de la biomédecine, il manque aujourd’hui 300 dons de sperme par an pour pouvoir répondre à toutes les demandes de couples infertiles. Par conséquent, pour avoir accès à un don, il faut patienter entre 13 et 24 mois. Si la législation évolue, cela risque de rallonger les délais d’attente. Le CCNE met pour condition à l’extension de la PMA la diffusion « de campagnes énergiques, répétées dans le temps ». Qu’est-ce que cela signifie ? Que les campagnes deviendraient tout à coup 10, 20, 30 fois plus efficaces ? Qu’on va mettre la pression jusqu’à obtenir ce que les intéressés ne veulent pas faire ? Ce n’est ni sérieux, ni crédible. Alors comment font les autres pays, les quelques-uns qui ont étendu la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes ? Hélas, le fait est qu’ils n’échappent pas au commerce des gamètes. En effet, soit les États ont rendu les gamètes payantes, comme l’Espagne et le Danemark ; soit ils achètent à l’étranger, dans des pays où les gamètes sont rémunérés. En Belgique par exemple, dans 90 % des cas, les spermatozoïdes viennent du Danemark. La Grande-Bretagne a ainsi publiquement expliqué, le 31 août 2018, que si les accords sur le Brexit n’incluaient pas aussi la PMA, elle serait confrontée à une pénurie de gamètes parce qu’elle ne pourrait pas continuer à en acheter à d’autres pays. Au passage, elle a précisé qu’elle achetait près de 50 % de ses échantillons de sperme au Danemark. Si le législateur concrétise cela, la pénurie actuelle pourrait « s’accentuer », reconnaît Jean-François Delfraissy, le président du CCNE. Étendre la PMA, c’est démultiplier le besoin en apport de sperme, ce qui conduit, qu’on le veuille ou non, au commerce des gamètes. Or le CCNE souligne lui-même qu’« une fois le principe de la gratuité rompu sur les gamètes, on voit mal ce qui empêcherait de faire la même chose pour les autres produits et éléments du corps humain, y compris les organes (…). Il existe, comme le montre le marché international du sang et de ses dérivés, des gamètes, ou des mères porteuses, un immense vivier de personnes qui, en raison de leurs difficultés économiques, acceptent de vendre les éléments de leur corps ». Et d’ajouter que ce point « ne peut être ni évacué, ni minimisé ». Ce point est fondamental et on ne doit pas faire preuve de naïveté : si elle étend la PMA à des femmes fécondes mais ayant donc systématiquement besoin d’apport de sperme, la France participera au commerce international des gamètes. Et comme le dit le CCNE lui-même, ce seront ensuite les autres éléments du corps humain qui seront concernés. Il semble aussi peu cohérent et contradictoire d’affirmer que l’on peut consacrer d’un côté la PMA pour les couples de femmes, et d’un autre continuer à interdire la gestation pour autrui (GPA) aux couples d’hommes désirant accéder à la paternité et qui parfois vivent avec la même souffrance. Pourquoi mettrait-on en œuvre un droit à l’enfant pour les femmes, mais pas pour les hommes ? Tôt ou tard, au motif de l’égalité, la GPA serait également légalisée. Certains rétorquent que cela n’a rien à voir parce que la GPA est inacceptable en raison de l’exploitation des femmes qu’elle implique. Mais il convient de ne plus être naïf : si l’on est prêt à nier le fait que les enfants ont besoin de père, demain on niera le fait que les femmes sont exploitées dans le cadre de la GPA. Comme le journaliste Marc-Olivier Fogiel, on prétendra que « les femmes se réalisent en donnant leur enfant » ! Ce désir d’avoir un enfant peut être légitime mais cet élargissement de la PMA serait un saut anthropologique immense. Ainsi, c’est ouvrir « la boîte de Pandore » de la logique transhumaniste : augmenter les possibilités humaines par le recours à toutes les techniques possibles sous divers prétextes (primauté du droit à l’enfant, prévention de maladies, performances). Plus que jamais, il faut redoubler de vigilance face à l’élargissement de la PMA qui laisse entrevoir des bouleversements de grande ampleur. Si l’on tire ce « fil rouge », ce sont les valeurs éthiques et de solidarité que l’on détricote jusqu’à compromettre le système français de protection contre des dérives inacceptables. Elle souhaite obtenir des réponses à l’ensemble de ces questions, notamment éthiques.


Réponse du ministère de la Justice publiée dans le Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Assemblée nationale », nº 33 A.N. (Q), 18 août 2020, p. 5566.

Éric Dupond-Moretti (© D.R.)

Éric Dupond-Moretti (© D.R.)

Il n’existe pas de « droit à l’enfant » et l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes n’instaure pas un tel droit. Comme l’a souligné le Conseil d’État dans son Étude adoptée en assemblée générale le 28 juin 2018, la notion de « droit à l’enfant » n’est pas une notion juridique dans la mesure où l’enfant est une personne et non une chose ou un bien. Il est sujet de droits et non l’objet d’un droit d’un tiers. Le projet de loi consacre, pour toutes les femmes, le droit d’accéder à une technique médicale permettant de procréer, ce qui n’est pas assimilable à un droit à l’enfant puisque l’objet de ce droit est l’accès à la technique et non à l’enfant. Les couples d’hommes ne peuvent pas revendiquer de bénéficier du même « droit à l’enfant » que les couples de femmes au nom de l’égalité puisque ce droit à l’enfant n’existe pas. Par ailleurs, le Conseil d’État rappelle dans son étude que l’ouverture de l’AMP à toutes les femmes ne relève pas du principe d’égalité. En effet, le Conseil constitutionnel a maintes fois jugé que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Dans sa décision nº 2013-669 DC du 17 mai 2013, le Conseil constitutionnel a précisé que réserver l’AMP aux couples hétérosexuels ne méconnaissait pas le principe d’égalité dans la mesure où « les couples formés d’un homme et d’une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe ». Il n’y a donc pas d’égalité à revendiquer en la matière. De la même façon que « les couples formés d’un homme et d’une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe », les couples formés de deux hommes sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples formés de deux femmes en ce que leur accès à la procréation nécessite l’intervention d’une mère porteuse. Si l’AMP peut être ouverte à toutes les femmes, et notamment aux couples de femmes, c’est parce que la tierce intervention qu’elle suppose, le don de sperme, n’est pas contraire à la loi et à nos principes, ce qui n’est évidemment pas le cas pour le fait de porter un enfant pour autrui. Il n’y a donc pas à craindre de glissement de l’AMP pour toutes à la GPA au nom du principe d’égalité. En outre, si le Comité consultatif national d’éthique a posé la question de la disponibilité limitée des ressources biologiques et celle du risque de « marchandisation » du corps humain, l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes ne remettra pas en cause le principe de non commercialisation du corps et de ses éléments, l’un des piliers des lois de bioéthique, qui vise à protéger la dignité de la personne et contribue à la qualité et à la sécurité du don. L’anonymat et la gratuité du don ne sont donc pas remis en cause. Enfin, le risque de pénurie de gamètes et de prolongation des délais d’attente n’est ni avéré ni inéluctable. Il repose, en effet, sur l’hypothèse d’une stagnation voire d’une diminution du nombre de donneurs. Or, ce nombre peut, au contraire, augmenter, l’adoption d’un nouveau modèle d’assistance médicale à la procréation plus en adéquation avec l’évolution de la société étant susceptible de susciter de nouvelles vocations de dons.


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