Les robes noires iront au bal masquées

Conseil d'État

Précisons-le d’emblée, cette petite chronique de jurisprudence a surtout pour objet de montrer à quel point un groupe social peu nombreux mais bien organisé peut agir beaucoup plus efficacement qu’une foule d’individus dispersés. Que les pères qui ont des oreilles pour voir et des yeux pour entendre – ou l’inverse – méditent la leçon, qui vaut bien un plumage, sans doute. Statuant en urgence, le Conseil d’État a en effet reconnu aujourd’hui que les avocats, « qui, en leur qualité d’auxiliaires de justice, concourent au service public de la justice », devaient être aidés par l’État à se procurer des masques de protection.

En l’espèce, l’ordre des avocats au barreau de Marseille et l’ordre des avocats au barreau de Paris, les 6 et 8 avril dernier respectivement, avaient demandé au juge des référés de constater la carence de l’État dans l’organisation du service public de la Justice pendant la crise sanitaire et d’enjoindre aux autorités publiques de mettre systématiquement des blouses et masques de protection, des gants et du gel hydroalcoolique à disposition des avocats dans les locaux de garde à vue et des juridictions. La Conférence des Bâtonniers, le Conseil national des barreaux, la Fédération nationale des unions des jeunes avocats, l’ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine, l’ordre des avocats du barreau du Val-de-Marne, l’ordre des avocats du barreau de Versailles et le Syndicat des avocats de France étaient intervenus le 13 avril pour soutenir ces recours.

Le Conseil d’État a rejeté aujourd’hui les deux requêtes pour des motifs très pragmatiques (les mesures demandées ne pouvant être prises à très bref délai) mais a cependant reconnu la responsabilité de l’État :

« 18. Il appartient à l’État d’assurer le bon fonctionnement des services publics dont il a la charge. Il doit, à ce titre, dans le cadre de la lutte contre le covid-19, veiller au respect des règles d’hygiène et de distance minimale entre les personnes afin d’éviter toute contamination. Il doit également, lorsque la configuration des lieux ou la nature même des missions assurées dans le cadre du service public conduisent à des hypothèses inévitables de contacts étroits et prolongés, mettre à disposition des intéressés des équipements de protection, lorsqu’ils n’en disposent pas eux-mêmes. Cependant, face à un contexte de pénurie persistante à ce jour des masques disponibles, il lui appartient d’en doter d’abord ses agents, à l’égard desquels il a, en sa qualité d’employeur, une obligation spécifique de prévention et de sécurité pour garantir leur santé et, tant que persiste cette situation de pénurie, d’aider les avocats qui, en leur qualité d’auxiliaires de justice, concourent au service public de la justice, à s’en procurer lorsqu’ils n’en disposent pas par eux-mêmes, le cas échéant en facilitant l’accès des barreaux et des institutions représentatives de la profession aux circuits d’approvisionnement. Pour le gel hydro-alcoolique, pour lequel il n’existe plus la même situation de pénurie et les avocats sont donc en mesure de s’en procurer par eux-mêmes, il appartient à l’État d’en mettre malgré tout à disposition, lorsque l’organisation des lieux ou la nature même des missions ne permettent pas de respecter les règles de distanciation sociale.

« 19. Il s’ensuit qu’eu égard à l’office du juge des référés, qui ne peut ordonner que des mesures susceptibles d’être prises à très bref délai, aux mesures prises par le Gouvernement […] et aux moyens dont dispose actuellement l’administration, il n’apparaît pas, en l’état de l’instruction et à la date de la présente ordonnance, que l’absence de distribution de masques de protection aux avocats lors des entretiens de garde à vue dans les locaux des commissariats, lors de la préparation de la défense dans le cadre des comparutions immédiates et, plus généralement, dans les circonstances où la présence d’un avocat est requise auprès d’un justiciable pour l’exercice des droits de la défense révélerait une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées justifiant que le juge des référés ordonne les mesures de sauvegarde demandées. »

L’ordre des avocats au barreau de Paris a rapidement publié un communiqué de presse pour souligner que « le Conseil d’État refuse ainsi d’admettre l’idée avancée par le gouvernement selon laquelle le caractère libéral de la profession d’avocat les priverait de la protection sanitaire qui leur est due par l’État lorsqu’ils exercent les droits de la défense » et annoncer que « sans attendre et devant l’incapacité actuelle du gouvernement à remplir son obligation d’aide, [il mettra] à disposition, dès demain, des masques pour les avocats de permanence qui exercent la défense pénale d’urgence ».

Pour notre part, nous soulignons que les justiciables n’auront pas été l’objet de beaucoup de considération de la part de ceux qui prétendent assurer la défense de leurs droits : seul l’ordre des avocats au barreau de Paris avait demandé qu’ils puissent également bénéficier d’équipements prophylactiques.

Références
Conseil d’État
Juge des référés
Lecture du 20 avril 2020
Ordonnance nº 439983/440008
Mise à jour du 21 avril 2020

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